Londres, Paris, Washington : Le nouvel axe du mal

Guillaume Berlat, spécialiste français pour les problèmes du Proche et Moyen-Orient, présente son avis sur la coalition des trois Etats – dangereuse pour la Syrie, à voire – la communauté internationale.

Dans un État de droit « on ne peut pas se faire justice soi-même » sinon on serait dans une forme de loi de la jungle où seuls les plus forts gagneraient, nous rappelle fort à propos le site du ministère français de la justice1.

Or, c’est justement tout le contraire que fait le président de la République, notre fringuant Emmanuel Macron – « garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités »2 – lorsqu’il décide de s’associer, le 14 avril 2018, à des frappes contre des objectifs militaire syriens (prétendus liés à un programme chimique clandestin) en compagnie d’une « coalition avec les États-Unis et le Royaume-Uni » (une sorte de coalition de volontaires) en raison du franchissement d’une « ligne rouge fixée par la France en mai 2017 ».

Alors que les médias moutonniers n’ont de cesse de louer la clairvoyance et le volontarisme de notre nouveau « DiplomatorTerminator »3, il est utile, si ce n’est indispensable, de s’interroger le plus sérieusement du monde, sur la légalité au regard du droit international existant d’une telle expédition conduite par une sorte de quarteron de chefs d’État et de gouvernement, en mal de notoriété et de reconnaissance. À y regarder de plus près, la situation se présente de manière plus contrastée que l’on veut bien nous le dire dans les milieux bien informés !

RÉPONSE PROBLÉMATIQUE : MACRON, LE LIQUIDATEUR4

Commençons par le début, ce que déclare la présidence de la République après les frappes dites ciblées et ce que nous montre Paris Match (le poids des mots, le choc des photos) dans une photo du PC Jupiter (cela ne s’invente pas)5. Ensuite, nous pourrons en tirer quelques remarques préliminaires.

Communiqué de la présidence de la République (14 avril 2018)

« Le samedi 7 avril 2018, à Douma, des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été massacrés à l’arme chimique, en totale violation du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

Les faits et la responsabilité du régime syrien ne font aucun doute. La ligne rouge fixée par la France en mai 2017 a été franchie.

J’ai donc ordonné aux forces armées françaises d’intervenir cette nuit, dans le cadre d’une opération internationale menée en coalition avec les Etats-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni et dirigée contre l’arsenal chimique clandestin du régime syrien. Notre réponse a été circonscrite aux capacités du régime syrien permettant la production et l’emploi d’armes chimiques.

Nous ne pouvons pas tolérer la banalisation de l’emploi d’armes chimiques, qui est un danger immédiat pour le peuple syrien et pour notre sécurité collective. C’est le sens des initiatives constamment portées par la France au Conseil de Sécurité des Nations unies.

La France et ses partenaires reprendront, dès aujourd’hui, leurs efforts aux Nations unies pour permettre la mise en place d’un mécanisme international d’établissement des responsabilités, prévenir l’impunité et empêcher toute velléité de récidive du régime syrien.

Depuis mai 2017, les priorités de la France en Syrie sont constantes : terminer la lutte contre Daech, permettre l’accès de l’aide humanitaire aux populations civiles, enclencher une dynamique collective pour parvenir à un règlement politique du conflit, afin que la Syrie retrouve enfin la paix, et veiller à la stabilité de la région.

Je poursuivrai ces priorités avec détermination dans les jours et les semaines à venir.

Conformément à l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, le Parlement sera informé et un débat parlementaire sera organisé, suite à cette décision d’intervention de nos forces armées à l’étranger ».

REMARQUES PRELIMINAIRES

À ce stade, nous nous limiterons à deux simples remarques.

La première correspond au membre de phrase suivant du communiqué jupitérien : « Les faits et la responsabilité du régime syrien ne font aucun doute ». Ce qui dans le langage courant signifie que les autorités françaises possèdent la preuve incontestable qu’il y aurait eu utilisation d’une arme chimique (le chlore en tant que tel n’en est pas une6), que cette utilisation est sans conteste le fait des autorités syriennes et qu’il ne pourrait, en aucune manière, avoir eu « manipulation » intérieure (les rebelles de la Ghouta orientale) ou extérieure (un service de renseignement « russophobe »). On se demande dans ces conditions pourquoi la France, si attachée au multilatéralisme n’a pas attendu les résultats de la visite des inspecteurs de l’OIAC qui devaient arrivée en Syrie le 14 avril 2018, juste après les frappes de la coalition, pour agir7.

Et si preuves intangibles, il y avait pourquoi ne pas les avoir produites urbi et orbi ? En fait de preuves, on nous ressert le même plat qu’en 2013, une synthèse de notes de renseignement. En vérité, nous ne disposons d’aucune preuve au sens où l’entend le juriste René Capitant : « démonstration de l’existence d’un fait matériel ou d’un acte juridique dans les formes admises par la loi ».

La seconde correspond au membre de phrase suivant du même communiqué : « La ligne rouge fixée par la France en mai 2017 a été franchie ». Ne s’agirait-il pas d’une violation flagrante d’un grand principe du droit selon lequel on ne peut être juge et partie à la même cause. La seule autorité incontestable pour définir quand et comment la norme internationale a été violée est l’OIAC (à la date du 14 avril 2018, ses inspecteurs n’avaient pas été sur le terrain). La seule autorité incontestable pour décider de l’opportunité de sanctionner le délinquant est le Conseil de sécurité de l’ONU et non la France. Nous avons donc sciemment contourné ces deux organismes. Pourquoi ? Et cela alors même que nous nous présentons comme des parangons de vertu en termes juridiques à l’ONU (Cf. discours du président de la République devant l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2017). Mais, heureusement, BHL vient apporter sa caution philosophico-morale à l’expédition syrienne et à Jupiter, par voie de conséquence dans la même livraison de Paris Match8.

De proche en proche, nous arrivons à un problème de droit international plus grave qui dépasse largement le simple cadre de la Syrie.

MÉPRIS DE LA CHARTE DE L’ONU : LA FIN DU MULTILATÉRALISME

Cette question peut s’apprécier à trois niveaux.

Légitimité n’est pas légalité. Que n’a-t-on entendu comme âneries débités sur un ton sérieux à 3 heures du matin par les duettistes Parly/Le Drian (« frappes circonscrites, proportionnées et légitimes ») ! Soit ces deux ministres régaliens ont une connaissance limitée du droit international, soit ils ont sciemment tordu le droit positif pour justifier ex post une opération présentée comme moralement indispensable mais juridiquement illégale. À cet égard, les propos extravagants tenus par Donald Trump relèvent de la morale (barbarie, criminels, monstres…) et non du droit tel qu’il ressort des concepts précis contenus dans la Charte de l’ONU. Quant au terme de légitimité employé à Paris, il signifie selon le Petit Robert : « qualité de ce qui est juste, équitable, raisonnable ».

En droit, on condamne sur la base de la preuve d’une violation d’une règle de droit et non sur la base d’un soupçon qui contreviendrait à l’équité et à la raison. De qui se moquent le trio de comiques Macron/Le Drian/Parly ? Auraient-ils consommé quelques substances euphorisantes ou illicites avant de nous livrer ces monuments d’ineptie juridique ? De la même manière, contrairement à ce qu’affirme le ministre des Affaires étrangères, la résolution 2118 du Conseil de sécurité ayant pour objet l’utilisation d’armes chimiques en Syrie, adoptée à l’unanimité le 27 septembre 2013, précise que c’est aussi le Conseil de sécurité qui prend la décision d’intervenir militairement et non tel ou tel État. Nuance, mais nuance de taille… Une possibilité d’intervention prévue en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU est considérée par la France comme une autorisation permanente d’intervention. On croit rêver en attendant pareilles coquecigrues de la part d’experts9.

Morale n’est pas droit. La Charte de l’ONU est très claire pour celui qui veut bien la lire sérieusement. Elle n’est pas et n’a jamais été un code moral. Certains diplomates peu suspects de complaisance envers le régime syrien et le pouvoir russe relèvent – ce que tout homme censé ne peut que constater – la contradiction à vouloir « restaurer le droit », d’une part tout en s’affranchissant des bases juridiques pour justifier une action coercitive, de l’autre. En effet, les galipettes américano-britannico-françaises n’entrent dans aucun des trois cas de figure prévus par la Charte de l’ONU : mandat express du Conseil de sécurité de l’ONU (la Russie ayant opposé son veto au projet de résolution occidental, comme la Chine du reste), légitime défense prévue à l’article 51 (le régime syrien a-t-il attaqué l’un des trois États attaquant ?) ou une demande de la Syrie (comme le font les pays africains qui appellent l’ancienne colonie à la rescousse quand les choses vont mal).

Or, rien de tout cela. Nous sommes dans un cas d’école patent de violation du droit international par ceux qui s’en réclament et qui condamnent ceux qui s’en exonèrent. Nous sommes en présence d’une « opération militaire internationale unilatérale »10. Qu’on fait les Occidentaux pour faire avancer la paix en Syrie ? Ils prétendent faire la guerre ciblée pour faire avancer la cause de la paix. Le pape François le regrette le 15 avril 2018.

Contourner n’est pas jouer. Au train où vont les choses, le risque est grand que l’ONU subisse le même sort funeste que la Société des nations (SDN) avec la Seconde Guerre mondiale. Et, la France aura contribué à cet enterrement de première classe d’une organisation internationale au sein de laquelle elle occupe une place privilégiée par son statut de membre permanent. Rappelons que tout ordre sur lequel repose un système de sécurité collective requiert la trilogie suivante : une norme, un juge chargé de vérifier la conformité ou la violation du comportement par rapport à la norme et un gendarme pour la faire respecter en cas de besoin11. Pour prévenir toute confusion, il doit exister une stricte séparation entre le juge et le gendarme. Ce qui n’a certainement pas été le cas dans l’affaire des frappes ciblées du 14 avril 2018. En effet, le trio occidental infernal s’est investi du rôle de juge et de celui de gendarme quoi qu’en dise l’ambassadeur de France auprès de l’ONU, François Delattre dans ses diatribes russophobes et délirantes. Ce qui n’est pas dans son rôle de diplomate en charge de trouver des solutions et non de créer des problèmes.

Avant de passer au filtre du Conseil de sécurité de l’ONU, l’affaire aurait dû être étudiée et expertisée par l’organisation internationale des armes chimiques (OIAC basée à La Haye) qui a la charge exclusive de vérifier la mise en œuvre de la convention de 1993.

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