Pour Robert Malley, ex-conseiller de Barack Obama et ancien négociateur américain de l’accord sur le nucléaire iranien, il fait peu de doutes que Donald Trump va « tuer » mardi ce texte voulu par son prédécesseur démocrate.
« Les Européens doivent maintenant faire en sorte que l’Iran reste dans l’accord » s’ils veulent vraiment le sauver, prévient celui qui préside désormais le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), dans un entretien accordé à l’AFP à Washington.
QUESTION: Pourquoi cet accord conclu en 2015, et que le président américain menace de quitter dès mardi, est-il si important?
REPONSE: C’est un accord qui permet d’obtenir ce que l’administration américaine, la communauté internationale et tous les pays qui l’ont négocié lui avaient assigné comme objectif: faire en sorte que l’Iran ne puisse jamais se doter de la bombe nucléaire. Et aujourd’hui, ce n’est pas moi qui le dis mais l’Agence internationale de l’énergie atomique qui vérifie l’attitude iranienne, ainsi que tous les autres pays qui l’ont négocié, y compris ceux qui étaient réputés plus sévères comme la France, mais aussi le département d’Etat et la Maison Blanche elle-même: ils ont tous certifié mois après mois que l’Iran respecte scrupuleusement l’accord.
Et il s’agit du régime d’inspection le plus global jamais négocié avec un pays qui n’ait pas été vaincu lors d’une guerre. S’ils tentent de tricher, il y a tellement de signaux d’alarme (…) que cela sera découvert à coup sûr.
QUESTION: Le président américain dit qu’il a de graves « lacunes » et même les Européens, après l’avoir défendu mordicus, reconnaissent des problèmes. N’est-ce pas une victoire diplomatique pour Donald Trump?
REPONSE: En toute honnêteté oui, il a réussi à faire évoluer le récit. Deux raisons à cela: d’une part, les Européens tentent de l’apaiser, c’est leur stratégie, plutôt que d’entrer dans une confrontation avec lui, ils tentent de le convaincre en lui donnant le sentiment qu’il a gagné. Mais je crois qu’ils tentent tous de dire la même chose, essentielle à leurs yeux: +préservez l’accord+, même s’ils reconnaissent qu’il y a d’autres questions à gérer.
Franchement, je crois que si Trump voulait pouvoir revendiquer une victoire, il le pourrait. Il pourrait dire: « sans moi l’Europe ne se serait jamais autant préoccupée du programme iranien de missiles balistiques, de l’attitude régionale de l’Iran ».
Mais tout ce qu’on a vu sous cette administration ne donne qu’une indication, qu’il veut se retirer de l’accord. Parce qu’il pense que c’est un héritage de son prédécesseur et que tout ce qu’a fait son prédécesseur est un désastre. Parce que c’était une promesse de campagne et que c’est un président qui veut pouvoir dire qu’il a tenu ses promesses. Et parce que c’est une position soutenue par beaucoup de ceux qu’il écoute, les Israéliens, certains pays du Golfe, ses propres conseillers.
Notre pari est donc qu’il va se retirer.
QUESTION: C’est donc la mort de l’accord? Ou les Européens peuvent-ils encore le sauver?
REPONSE: Soit Trump se retire, soit il y reste pour l’instant mais ne fait que reporter sa décision, tout en réclamant encore aux Européens de le durcir. Cela ne ferait qu’entretenir l’incertitude actuelle, qui dissuade très fortement les investissements en Iran.
Il est donc clair que les Etats-Unis veulent tuer l’accord. C’est pour cela que ICG dit que les Européens (…) doivent maintenant faire en sorte que l’Iran reste dans l’accord. Ce sera très dur. Nous tentons de montrer ce que les Européens peuvent faire pour minimiser l’impact d’un rétablissement des sanctions américaines: essayer de protéger les entreprises européennes qui seraient exposées aux sanctions, essayer de regrouper de plus petites entreprises moins exposées aux Etats-Unis afin qu’elles travaillent collectivement en Iran.
Préserver l’accord est une meilleure solution pour l’Europe et pour l’Iran. Notre message aux Iraniens est le suivant: mieux vaut avoir une certaine continuité dans les relations commerciales avec l’Europe et isoler les Etats-Unis plutôt que d’être isolés et avoir les Européens et les Américains sur votre dos. Car la vérité c’est que si demain (mardi, ndlr) les Etats-Unis rétablissent les sanctions et que la réponse iranienne est aussi un retrait de l’accord, l’Europe n’aura pas le choix. Elle rejettera peut-être la responsabilité sur le président Trump (…) mais elle rétablira aussi ses sanctions si l’Iran relance son programme nucléaire.