Quatre colombes s’envolent dans le ciel gris d’Erevan, la capitale arménienne, sous le regard de Gayané qui pleure à chaudes larmes. « Je suis tellement heureuse », sanglote-t-elle. Son héros Nikol Pachinian, figure de la fronde arménienne, vient d’être élu Premier ministre par le Parlement.
« J’attendais ce moment depuis si longtemps. Pachinian va tout changer en Arménie », affirme Gayané, 29 ans, alors que son pays, ex-république soviétique du Caucase du Sud, a été secoué pendant trois semaines par des protestations antigouvernementales dénonçant la pauvreté et la corruption.
En séchant ses larmes « de joie », elle filme avec son smartphone les dizaines de milliers de sympathisants de Nikol Pachinian réunis sur la place de la République, au coeur d’Erevan, qui exultent dès que les résultats du vote des députés s’affichent sur les deux écrans géants installés sur la place, haut lieu de la contestation.
Le son des vuvuzelas se mêle aussitôt à celui des klaxons et aux cris de joie, et des drapeaux arméniens s’agitent dans l’air chargé d’une fine pluie.
« Moi, c’est le style de Pachinian qui me plaît. Il est simple », explique Karen, 25 ans, qui a accroché un ruban aux couleurs du drapeau arménien — rouge, bleu, orange — autour du cou de son chien Zievs.
Car c’est l’image d' »homme du peuple » que cultive Nikol Pachinian, député d’opposition et ancien journaliste de 42 ans. Depuis le 13 avril, il a manifesté avec des dizaines de milliers de personnes contre Serge Sarkissian, l’ancien président devenu Premier ministre pour quelques jours, et son Parti républicain au pouvoir.
Le 23 avril, M. Sarkissian a démissionné face à la colère des Arméniens qui lui reprochaient de ne pas avoir su lutter assez efficacement contre la corruption pendant ses dix années à la tête de l’Arménie (2008-2018) et de vouloir s’accrocher au pouvoir.
Mais la première tentative de Nikol Pachinian de se faire élire comme chef du gouvernement le 1er mai a échoué, ses adversaires du Parti républicain ayant fait bloc contre lui. Dans la foulée, il avait appelé à paralyser pacifiquement la capitale Erevan et plusieurs villes de province.
Le lendemain, il disait avoir suffisamment de voix pour être élu par ses pairs. Chose faite mardi. Seul candidat en lice, il a obtenu 59 voix, alors qu’il avait besoin de 53 suffrages pour être élu. 42 députés ont voté contre lui.
– « Transformer l’économie » –
Dans les rues adjacentes à la place de la République, d’antiques Volga et de rutilantes BMW bloquent la circulation. Leurs propriétaires ont poussé à fond la musique pour célébrer la victoire de M. Pachinian.
Pour Minas Sarkissian, 28 ans, c’est la promesse de Nikol Pachinian de lutter contre la corruption — mal « endémique » dans ce pays de 2,9 millions d’habitants, selon Transparency International — qui compte.
Mais pas seulement. « Je suis cuisinier dans un restaurant mexicain, mais je travaille aussi comme serveur pour joindre les deux bouts », raconte Minas, qui gagne « entre 400 et 500 dollars par mois ».
« Ce n’est pas assez pour vivre. Et je ne peux jamais partir en vacances », confie-t-il, en se disant convaincu que M. Pachinian est capable de « transformer l’économie » et aider ses compatriotes, dont quelque 30 % vivent sous le seuil de pauvreté, selon les statistiques officielles.
Une heure après le vote du Parlement, la clameur redouble lorsque Nikol Pachinian monte sur la scène de la place de la République.
Il a troqué son habituel treillis militaire pour un costume-cravate et avec sa barbe poivre et sel, le tout nouveau chef du gouvernement arménien lance: « A partir de maintenant, plus personne ne pourra violer les droits et les libertés du peuple arménien ».
Sa voix se casse à force de hurler dans le micro, et les « Nikol! Nikol! » repartent de plus belle.
Mais au milieu de cet enthousiasme, Haïk, juriste de 27 ans, tempère. « Je ne veux pas me faire trop d’illusions. Je ne suis pas pessimiste mais je pense que les gens devraient plus souvent compter sur eux-mêmes pour changer leur propre vie », dit-il.