France – Russie: « Tout dépendra du courage de Macron »

L’orateur national de LFI, Djordje Kuzmanovic, spécialiste de la défense, revient sur la visite de Macron en Russie.

Djordje Kuzmanovic, est orateur national de La France insoumise, spécialiste des questions internationales et de défense. Entretien. 

Quel premier bilan dressez-vous de la visite d’Emmanuel Macron en Russie ?

C’est un bilan mitigé. Les apparences sont sauves mais les avancées concrètes dépendront du courage politique de Macron et de la réalité de sa velléité d’indépendance affichée face aux Etats-Unis d’Amérique. Mais on peut en douter compte tenu de ses reculades successives dès que Washington a haussé le ton.

On peut noter des avancées sur deux sujets fondamentaux pour la paix dans le monde : la Syrie, d’abord, avec la proposition conjointe de travailler à une sortie de crise par la négociation politique incluant tous les acteurs du conflit, à rebours de l’attitude de blocage incarnée par le précédent président François Hollande. L’Iran, ensuite, avec la volonté affichée de tout mettre en oeuvre pour faire respecter l’accord de Vienne sur le nucléaire, mis à mal par la décision unilatérale des Etats-Unis.

En revanche, les sujets qui fâchent, comme l’affaire Skripal et les expulsions massives de diplomates, n’ont pas été abordés, sûrement pour éviter les blocages. Plus ennuyeux, la source principale des tensions entre l’Occident et la Russie, à savoir le déploiement du bouclier anti-missile initié en mai 2012 par Barack Obama, n’a pas été évoqué. Officiellement, ce « bouclier » avait pour but de contrer la menace balistique iranienne. La conséquence en a été la hausse des tensions militaires en Europe et la relance dramatique de la course aux armements, y compris nucléaires. Qui culmine avec le déploiement en cours d’une division blindée US et de batteries de missiles Patriot en Pologne, et la réplique russe avec l’installation de missiles Iskander à Kaliningrad. La situation en Ukraine a été à peine effleurée.

On ne se rend pas assez compte de combien la paix est menacée. Le niveau des instruments de désescalade et de règlement des conflits est très inférieur à celui du temps de Brejnev, quand les accords d’Helsinki ont pu être négociés. C’est pourquoi, lors de son récent déplacement en Russie, Jean-Luc Mélenchon a insisté sur la nécessité de banaliser les relations avec la Russie et de reprendre la direction de la table des négociations plutôt que celle des états-majors.

Comme sur d’autres dossiers, il semble l’avoir fait, mais cela cache assez mal les limites de son attitude de vassalité face aux Etats-Unis. Lors du Forum économique international de Saint-Petersbourg, Emmanuel Macron semble avoir suivi partiellement la ligne proposée par Jean-Luc Mélenchon lors de sa conférence à la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe, le 10 mai dernier. À savoir : considérer la Russie non pas comme un ennemi, mais comme un partenaire, et initier une coopération culturelle, scientifique et commerciale en levant les sanctions qui nuisent principalement aux industriels et aux producteurs français. Ainsi, des entrepreneurs français, accompagnant le président, ont signé une cinquantaine de contrats. Rien d’étonnant, vu que la France est le deuxième investisseur direct en Russie. Pour le moment nos entreprises sur place font le dos rond et nous sommes loin des Allemands et des Chinois, beaucoup plus pragmatiques.

Ici encore, le problème aura été le silence et donc le déni de l’influence des Etats-Unis sur l’avenir de nos partenariats économiques avec la Russie : pas un mot sur les sanctions qu’impose Washington ! En Russie, comme en Iran, on verra de quel bois est faite « l’indépendance » dans laquelle Emmanuel Macron a déclaré vouloir inscrire sa politique étrangère.

Compte tenu de l’extraterritorialité du droit étatsunien, des sanctions colossales qui pèsent sur nos entreprises si elles commercent avec des pays sous sanction des Etats-Unis, il faudra effectivement un président d’une grande force, et le sens de la souveraineté nationale (chose qu’il a assez peu démontrée, notamment quand on songe à sa responsabilité dans la vente du fleuron industriel stratégique qu’était Alstom pour notre pays au profit des USA et des grandes banques).

A-t-il su entamer le travail consistant à arrimer la Russie à l’Europe ?

C’est sûrement là que la prestation d’Emmanuel Macron a été la plus faible. Il a certes prononcé quelques phrases de communication assez classiques, comme enjoindre à Vladimir Poutine d' »ancrer la Russie dans l’Europe » Passons sur la condescendance, elle aussi classique, de tels propos quand on pense à combien la Russie est historiquement et culturellement partie intégrante de l’Europe par l’opéra, le ballet, la littérature, les arts et les sciences. Le problème n’est pas là, mais vient de l’extension de l’OTAN à l’est et de son besoin de se créer un ennemi pour justifier son existence.

Vous semble-t-il avoir convaincu l’opinion française vendredi soir depuis Saint-Petersbourg ?

Sur le citoyen moyennement ou peu connaisseur des questions géopolitiques en général et des relations franco-russes en particulier, la communication présidentielle fera effet et Emmanuel Macron semblera être l’homme de la situation. Les citoyens plus avertis et les spécialistes savent, eux, qu’il s’agit là surtout de poudre aux yeux et que de l’attitude aux actes, il y a souvent un océan, que le Président actuel franchit rarement, sauf quand il s’agit de venir en aide aux plus riches.

Créer les conditions d’une paix durable en Europe, dans le monde, ou favoriser les échanges économiques, culturels et scientifiques avec la Russie exigent d’avoir un président ayant à coeur les intérêts du peuple français et le sens de l’indépendance nationale ; deux choses qu’Emmanuel Macron est très loin d’avoir prouvées.

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