« Mon but était de rester en vie »: le journaliste russe Arkadi Babtchenko est monté au créneau jeudi pour justifier l’incroyable mise en scène de son faux assassinat, qui a suscité une levée de boucliers.
Après le soulagement, la réapparition lors d’une conférence de presse-spectacle mercredi de ce reporter chevronné, donné la veille tué de trois balles dans le dos à l’entrée de chez lui à Kiev où il s’est exilé, a suscité de nombreuses interrogations.
Le procédé a été justifié comme nécessaire pour déjouer une tentative d’assassinat bien réelle organisée, selon Kiev, par les services secrets russes, visant Arkadi Babtchenko mais aussi une trentaine d’autres personnes, en remontant de l’exécutant aux commanditaires.
« Mon but était de rester en vie et d’assurer la sécurité de ma famille. C’est la première chose à laquelle je pensais. Les standards journalistiques, c’est la dernière chose à laquelle je pensais à ce moment », a expliqué le journaliste et écrivain de 41 ans devant la presse.
« Bien sûr que c’est gênant (…) mais je n’avais pas d’autre choix. Mes amis, tous ceux qui disent que cela mine la confiance dans le journalisme, qu’auriez-vous fait à ma place? », a-t-il lancé, expliquant qu’on lui avait dit que sa tête avait été mise à prix.
Premier haut responsable européen à réagir, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, attendu jeudi soir à Kiev, a affirmé que ce coup de théâtre « posait beaucoup de questions », et appelé à « faire la lumière » sur « un événement qui est pour beaucoup de gens incompréhensible dans le cadre de l’Etat de droit ».
Les dirigeants des forces de l’ordre ukrainiens doivent rencontrer vendredi à huit clos les diplomates occidentaux pour leur présenter des preuves supplémentaires sur cette affaire, a indiqué à l’AFP une source ukrainienne.
L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a condamné une simulation « navrante » et « une nouvelle étape dans la guerre de l’information » entre Kiev et Moscou.
Une autre organisation, la Fédération internationale des journalistes (IFJ), a qualifié l’affaire d' »intolérable et inacceptable », tandis que le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a dénoncé des mesures « extrêmes » à même de « miner la confiance du public » dans les médias.
Dès mercredi soir, Moscou avait dénoncé une « provocation antirusse ».
« Cette histoire est, et c’est le moins qu’on puisse dire, étrange. Je ne suis pas sûr qu’ici la fin justifie les moyens », a renchéri jeudi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Arkadi Babtchenko, qui a préparé pendant des semaines la mise en scène avec les services ukrainiens, a assuré jeudi n’avoir « pas cru tout de suite » dans la version des services secrets ukrainiens mais avoir été convaincu au bout de plusieurs rencontres.
Il a raconté en détail comment il avait été recouvert de sang de porc par un maquilleur chez lui. « Et je suis mort », a-t-il raconté. Commence alors un longue nuit pendant laquelle il est d’abord emmené à la morgue, puis dans un lieu sécurisé.
Interrogé pour savoir s’il allait s’expliquer devant les organisations de journalistes, il a répondu: « Je prévois de dormir, de me reposer, et même de picoler et de m’endormir ivre, sans penser à rien pendant deux-trois jours ».
Un conseiller du ministre de l’Intérieur, le député Anton Guerachtchenko, a expliqué que cette mise en scène était nécessaire pour « remonter et documenter toute la chaîne, du tueur à gages aux organisateurs et aux commanditaires », en les persuadant que « la commande a bien été exécutée ».
Une cour de Kiev a maintenu jeudi soir en détention provisoire pour au moins 60 jours l’Ukrainien arrêté mardi et présenté comme « organisateur » d’une tentative de meurtre de Babtchenko recruté par « les services de sécurité russes », a rapporté l’agence Interfax-Ukraine.
Cet homme, Boris Guerman, directeur d’une entreprise ukraino-allemande fabriquant des armes, a rejeté ces accusations, affirmant s’occuper de démasquer des agents de Moscou sur la demande du service de renseignement ukrainien, selon la même source.
Arkadi Babtchenko a quitté la Russie en février 2017, assurant être victime de « harcèlement ». Il a d’abord vécu en République tchèque et en Israël, avant de s’installer à Kiev où il anime une émission de télévision.
L’annonce de sa fausse mort intervenait moins de deux ans après l’assassinat du journaliste russo-bélarusse Pavel Cheremet, dont la voiture avait explosé en plein centre de Kiev.
M. Babtchenko se disait menacé après avoir accusé la Russie du conflit dans l’est de l’Ukraine.