« Le risque terroriste existe désormais pour toutes les compétitions sportives mondialisées. Elles attirent les caméras, donc les terroristes », affirme Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste de la géopolitique du football.
Le groupe État islamique (EI) est moribond en Irak et en Syrie, mais la menace qu’il fait planer sur le Mondial en Russie (14 juin-15 juillet) est réelle et doit être prise au sérieux, assurent des experts.
A l’automne, des photo-montages grossiers publiés par la Wafa Media Foundation, un organe de propagande officieux de l’EI, ont commencé à apparaître sur les réseaux sociaux : les stars planétaires Lionel Messi, Neymar, l’entraîneur de l’équipe de France Didier Deschamps en combinaisons oranges, couteaux sous la gorge, gisant sur le sol ou périssant dans des flammes.
Les menaces, en anglais ou en français, sont explicites : « Vous ne serez pas en sécurité tant que ce ne sera pas notre cas dans les pays musulmans ! » ou « Nous allons continuer à vous terroriser et à ruiner vos vies ! ».
Brian Glyn Williams et Robert Troy Souza, les auteurs d’un rapport publié la semaine dernière par le Combating Terrorism Center (CTC) de West Point, intitulé « La menace de l’État islamique contre la Coupe du monde de la Fifa 2018 », soulignent que « les médias pro-EI ont lancé une campagne sans précédent sur les réseaux sociaux pour appeler à des attaques contre le tournoi ».
« Au cours des dernières années, il y a eu en Russie de nombreuses attaques terroristes réussies ou de nombreux complots déjoués dont les auteurs étaient liés ou inspirés par l’EI », ajoutent-ils. « Cela laisse penser que le groupe est en mesure de lancer des attaques pendant la Coupe du monde ».
Ces attaques peuvent être menées, soulignent les deux experts américains, par des « loups solitaires », individus isolés motivés par la propagande en ligne de l’EI ou par des jihadistes russes ou originaires de républiques du Caucase récemment rentrés de Syrie et d’Irak, après la déroute de l’EI sur les terres de son éphémère « califat » autoproclamé.
« Le risque existe »
Le Center for Strategic and International Studies (CSIS) estime à environ 8.500 le nombre de jihadistes originaires de Russie ou des républiques d’Asie centrale ayant rejoint les rangs de l’EI ou d’autres groupes jihadistes au Moyen Orient. Si le nombre exact de ceux qui sont revenus dans leurs pays est inconnu, il est certain qu’au cours des mois qui ont précédé sa déroute territoriale, l’EI a donné pour instruction à certains d’entre eux de former des cellules dormantes, pour passer à l’action le moment venu. Les autorités russes ont elle-même averti des risques liés au retour des jihadistes, d’autant plus forts que la Russie a lancé en 2015 une intervention militaire en soutien au régime syrien, lui permettant de reprendre l’avantage sur le terrain.
Intervention ou pas, le Mondial-2018 aurait de toutes façons attiré l’attention des groupes jihadistes violents, assure à l’AFP Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste de la géopolitique du football.
« Le risque terroriste existe désormais pour toutes les compétitions sportives mondialisées. Elles attirent les caméras, donc les terroristes », dit-il. « L’intervention russe en Syrie est un facteur aggravant, mais ce n’est pas ce qui crée le problème ».
Cibles molles
Il rappelle que pour l’Euro en France en 2016, comme pour les JO de Londres en 2012 ou ceux de Rio en 2016, les mesures de sécurité avaient été draconiennes. En mars 2016, trois mois avant le premier match de l’Euro en France, un jihadiste endurci avait été arrêté en région parisienne, « avec sûrement l’Euro en ligne de mire », avait assuré le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls.
« Aujourd’hui, dès qu’il y a un événement sportif mondialisé, le budget le plus important est le budget sécurité », poursuit Pascal Boniface.
Qu’elles soient ou non suivies d’actes concrets, les menaces de l’EI ou de ces sympathisants, mises en ligne en quelques clics, ne coûtent rien. Elles induisent des dépenses de sécurité globales qui se chiffrent en dizaines, voire en centaines de millions de dollars.
Avec 64 matchs organisés dans douze stades de onze villes russes différentes, le Mondial-2018 « ne manquera pas de cibles molles qui pourraient être prises pour cible, même si les lieux officiels seront transformés en ‘cibles durcies’, protégées par de multiples couches de sécurité », estime le rapport du CTC.
A Moscou, les autorités se veulent rassurantes. Les JO d’hiver de Sotchi, en 2014, étaient proches de la région troublée du Caucase et se sont déroulés sans anicroche, rappellent-elles. « Notre dispositif de sécurité prévoit toutes les menaces éventuelles, tous les risques » a assuré récemment à l’AFP Alexeï Sorokine, directeur du Comité d’organisation du Mondial. « Tout est sous contrôle et j’espère qu’on pourra trouver un bon équilibre entre confort et sécurité, sans pencher d’un côté ou de l’autre. »