En Ukraine, l’antisémitisme radical et florissant, les autorités restant les bras croisés

Une vague d’antisémitisme a déferlé sur l’Ukraine. Rien que dans les trois dernières semaines, un leader d’extrême-droite a appelé publiquement à nettoyer l’Ukraine des « zhidi » (insulte équivalente à youpin), un mémorial de l’Holocauste a été incendié à Ternopil,

des centaines de personnes ont défilé à travers Lviv en l’honneur d’une unité SS en faisant des saluts nazis, des graffitis « Mort aux youpins » ont été peints dans deux villes, la tombe d’un rabbin célèbre a été vandalisée, un camp de Roms a été attaqué et brûlé à Kiev par des militants d’extrême-droite, et des centaines d’autres ont participé à un concert néo-nazi, exhibant des svastikas et faisant le salut nazi.

Des jeunes, pratiquement des enfants, marchent au centre-ville de Kiev et scandent des slogans nazis, 2017Ce déferlement de haine a attiré l’attention du Congrès Juif Mondial, qui a publié une courte vidéo condamnant la montée de l’antisémitisme.

Peu après, le président ukrainien Petro Poroshenko a publié un communiqué de presseaffirmant sa détermination à combattre l’antisémitisme. En retour, Ronald Lauder, président du CJM (Congrès Juif Mondial), a remercié Poroshenko pour sa déclaration et s’est déclaré « satisfait ».

Mais nous devrions pas pousser tout de suite un soupir de soulagement. Malheureusement, l’enthousiasme du CJM à accepter les paroles de Poroshenko est prématuré. Durant les quatre dernières années de gouvernement de Poroshenko, l’Ukraine a connu une hausse constante de l’antisémitisme, notamment l’apologie des collaborateurs du régime nazi, le vandalisme de sites juifs et les menaces publiques envers les Juifs – et la fréquence des incidents antisémites semble s’accélérer.

D’ailleurs, le lendemain de la publication de sa promesse vide par Poroshenko, si chaleureusement accueillie par Lauder, le ministre des affaires étrangères ukrainien a catégoriquement nié la montée de l’antisémitisme en Ukraine. Comment Poroshenko pourrait-il combattre l’antisémitisme quand son propre Ministère des affaires étrangères (sur lequel il a théoriquement autorité) refuse de reconnaître le problème ?

C’est la publication dans le Tweeter du Congrès juif international:

 

« L’Ukraine connaît actuellement une nouvelle vague d’antisémitisme sans précédent. Rien que le mois dernier, il y a eu plus de 12 incidents d’antisémitisme bien documentés. Ça doit s’arrêter. »

Après que le WJC a salué l’engagement de Poroshenko à combattre l’antisémitisme et d’autres formes de haine, un maire ukrainien a été pris en train de prononcer un discours au vitriol sur les Juifs cherchant à tuer les Gentils ; le consul ukrainien à Hambourg a été suspendu suite à des accusations pour avoir écrit des messages antisémites sur Facebook, y compris imputant aux Juifs la Seconde Guerre mondiale ; la tombe de la fille d’un rabbin vénéré a été profanée pour la cinquième fois en deux ans ; des voyous d’extrême droite ont pris d’assaut la maison d’un copropriétaire d’une chaîne de télévision ; le gang néonazi C14 a réalisé un autre pogrom contre les Roms, incendiant un campement à Lviv ; et des ultranationalistes affiliés au bataillon néonazi Azov ont mis fin à un événement LGBT parrainé par Amnesty International et Human Rights Watch à Kiev tandis que que les autorités refusaient d’agir.

Porochenko est devenu président à la suite du soulèvement sanglant de Maidan de 2013-2014, au cours duquel des Ukrainiens ordinaires sont morts pour le droit de vivre dans une nation occidentale démocratique. Mais au mieux, le gouvernement de Poroshenko a ignoré le problème de l’antisémitisme en son sein ; au pire, il l’a activement encouragé.

Célébrer les massacres de Juifs

La marche du 28 avril à Lviv, au cours de laquelle un millier de personnes ont honoré le SS Galichina, une division ukrainienne de la Waffen-SS d’Hitler, n’était pas un événement isolé planifié par un groupe marginal. La marche était le point culminant d’une célébration d’une semaine de la SS Galichina promue par le conseil municipal de Lviv. Assez bizarrement, cela comprenait un concours incitant les adolescents à soumettre des dessins de fans sur les SS.

Comment une ville européenne en vient-elle à glorifier une unité SS dont les membres ont prêté un serment personnel de loyauté à Hitler ? Il est alors utile d’avoir une bonne dose de révisionnisme historique. L’année dernière, le directeur de l’Institut ukrainien de la mémoire nationale – un département officiel du gouvernement de Kiev – a déclaré que les combattants SS Galichina étaient en fait des « victimes de guerre ». Ceci, bien sûr, soulève la question : si les SS étaient des victimes, qu’ont fait les Juifs et d’autres ethnies pour avoir été massacrés ?

La SS Galichina est loin d’être le seul groupe paramilitaire issu de la Seconde Guerre mondiale approuvé par les autorités ukrainiennes modernes. En 2015, le Parlement ukrainien a adopté des lois proclamant l’Organisation des nationalistes ukrainiens, qui a collaboré avec les nazis et a été responsable de la liquidation de milliers de Juifs, et l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, qui a procédé au nettoyage ethnique de 70 000 à 100 000 Polonais, ainsi que d’autres ethnies de son propre chef, comme héros de l’Ukraine.

Grâce aux lois de Kiev, ainsi qu’aux campagnes publiques menées par l’Institut de la mémoire nationale (dont le budget en 2018 est d’environ deux millions de dollars), ces bouchers sont aujourd’hui célébrés dans tout le pays.

Il n’est pas surprenant que cette glorification des antisémites par l’Etat s’accompagne souvent de manifestations antisémites. Le 1er janvier 2017, des milliers de personnes ont défilé à Kiev en l’honneur du leader de l’OUN, Stepan Bandera. Des slogans « Jews Out ! »ont résonné dans la foule, mais le lendemain, la police a nié avoir entendu quoi que ce soit d’antisémite. En juin dernier, Lviv a organisé un festival de trois jours en l’honneur du chef de l’UPA Roman Shukhevych, et une synagogue a été incendiée pendant les festivités. En novembre, Radio Free Europe a rapporté avoir vu des saluts nazis alors que 20 000 hommes brandissant des flambeaux défilaient en l’honneur de l’UPA , vandalisant les monuments commémoratifs de l’Holocauste et les sites religieux

Vandaliser les monuments commémoratifs de l’Holocauste et les sites religieux

Les vandales antisémites en Ukraine ne se soucient guère d’originalité. Le mémorial de l’Holocauste récemment incendié à Ternopil a été profané à quatre reprises au cours de l’année écoulée. Mais ce n’est qu’un seul mémorial : d’autres sites de l’Holocauste, centres juifs, cimetières, tombes et lieux de culte sont régulièrement vandalisés avec des croix gammées, des runes SS et des insultes.

Le vandalisme généralisé a atteint un point tel que le ministère israélien des Affaires étrangères a pris la mesure inhabituelle d’exiger publiquement que les autorités ukrainiennes commencent à enquêter sur ces agressions. Un appel similaire a été lancé par le directeur du Comité juif ukrainien dans un éditorial du New York Times, qui soulignait l’apathie du gouvernement concernant la protection des sites religieux et des sites de l’Holocauste.

Menacer publiquement les Juifs

L’incident du 2 mai à Odessa, lorsque Tetiana Soikina, responsable régionale de l’organisation ultranationaliste le Secteur Droit, a promis de se débarrasser des « youpins », survient au milieu d’une série d’appels similaires à la violence de la part de personnalités publiques. En mars 2017, la députée Nadiya Savchenko, autrefois célébréepar les médias occidentaux sous le nom de « Ukrainian Nelson Mandela », a explosé dans une tirade antisémite en direct à la télévision. « Pourquoi personne ne parle de ce que les gens disent… youpins d’aujourd’hui ? » a demandé un interlocuteur. « Bonne question », a répondu Savchenko. « Oui, notre gouvernement a du sang non ukrainien, pour ainsi dire. Que faut-il faire à ce sujet ? Nous devons penser et agir ».

À peine deux mois plus tard, un général des services de sécurité ukrainiens a publié des menaces manifestes, promettant d’exterminer les « zhidi », ce qui a incité la Ligue Anti-Diffamation (ADL) à exiger son éviction par Poroshenko (aucune mesure n’a été prise). Quelques mois plus tard, le responsable régional du parti d’extrême droite Svoboda s’est déchaîné dans un discours antisémite, après que des juifs locaux ont protesté contre le fait qu’une statue de Symon Petliura, un autre « héros » ukrainien responsable des pogroms de masse, ait été érigée. « Habituez-vous à nos règles ou soyez punis », a dit le chef Svoboda, encourageant ses compatriotes ukrainiens à « remettre les minorités à leur place ».

Malheureusement, les fonctionnaires et les dirigeants des partis qui ont fait de telles déclarations l’ont fait en toute impunité. Et, bien que Poroshenko ait promis une réaction « immédiate » des forces de l’ordre aux menaces publiques de Soikina, un porte-parole du ministère ukrainien de l’Intérieur a déclaré que l’appel de Soikina à nettoyer le pays des Juifs n’était pas « intrinsèquement discriminatoire ni un appel à la violence ». Il est fort probable que Soikina, comme les autres, ne subira aucune conséquence pour ses actes.

Persécution des Roms

L’histoire nous apprend que qui s’attaque aux Roms finit, tôt ou tard, pas s’attaquer aux Juifs.

Une courte vidéo des récents pogroms anti-Roms est glaçante : des voyous cagoulés pourchassent des femmes et des enfants terrifiés au milieu d’une capitale européenne, alors que la fumée noire du tabor (campement) rom en flammes remplit l’arrière-plan. Les femmes appellent une l’aide qui ne vient pas. En fait, lorsque la police, honteuse, a fini par ouvrir une enquête, elle a qualifiée l’affaire de « hooliganisme », ce qui montre l’indifférence choquante avec laquelle les Roms sont considérés.

Mais l’aspect le plus inquiétant ici est qu’il s’agit au moins du quatrième pogrom anti-Roms en Ukraine au cours des deux dernières années.

En septembre 2016, deux douzaines de Roms ont été contraints de fuir un village d’Odessa après que les habitants ont incendié leurs maisons. Le gouverneur d’alors d’Odessa a réagi en louant les actions des villageois, déclarant que le village avait été pendant longtemps un repaire « d’asociaux » et qu’il partageait pleinement les préoccupations de la foule. La seule chose que la police a faite, c’est de garantir un « couloir sûr » pour que les Roms puissent évacuer. En mai 2017, un Rom a été tué lors d’une attaque à Kharkov ; selon des témoins, les autorités locales ont été impliquées dans la fusillade. Le même mois, un groupe d’hommes a attaqué des familles roms dans une gare de Kiev.

Les récents pogroms anti-roms de Kiev se distinguent cependant par le fait qu’elles ont été revendiquées avec fierté par C14, un gang néo-nazi qui a gagné en influence au cours de l’année écoulée. Les actions de C14 ont conduit Amnesty International à publier une déclaration urgente avertissant que les radicaux « se sentent intouchables… les autorités, le plus souvent, n’agissent pas », et n’importe qui, y compris les Juifs, pourraient être les prochains sur la liste.

Les exemples ci-dessus ne représentent qu’une petite partie du caractère profondément inquiétant de l’antisémitisme et de l’incapacité ainsi que du refus de Poroshenko d’affirmer la primauté du droit. Ils n’incluent pas les attaques généralisées contre les communautés LGBT, ni la façon dont les groupes d’extrême droite perturbent les tribunaux au mépris des forces de l’ordre. Mais ils devraient être suffisants pour démontrer qu’il faudrait être d’une naïveté consternante pour accorder le moindre crédit aux promesses creuses de Poroshenko.

Les Juifs américains devraient absolument se réjouir du caractère démocrate de Poroshenko, mais seulement après que les organisations chargées de surveiller l’antisémitisme mondial auront confirmé que la situation en Ukraine s’améliore, et non le contraire. D’ici là, « la satisfaction » est la dernière chose que ceux qui s’intéressent à l’antisémitisme devraient ressentir à propos de l’Ukraine.