Au Tchad, des enfants dansent pour sortir de la rue

A Ndjamena, au Tchad, la compagnie Tchado Star utilise la danse comme outil de réinsertion pour les enfants des rues. Aleva Ndavogo Jude est danseur et chorégraphe professionnel.

Formé à l’Ecole des sables de Dakar en danses contemporaines et traditionnelles d’Afrique, il utilise son art pour éloigner les orphelins de Ndjamena des mauvaises fréquentations et pour tenter de les sortir de la misère.

On les appelle « les enfants des rues ». Abandonnés, souvent maltraités, ils vivent dehors à la merci de tous, aussi peu considérés que les ordures d’une ville qui n’a apparemment rien prévu pour eux et qui préférerait les cacher. Et parce qu’en tant que danseur, Aleva Ndavogo Jude sait ce qu’est la générosité d’un geste, d’une intention et les transformations que cela peut engendrer, il leur a tendu la main il y a trois ans. En utilisant la danse, sa passion, il tente de les soustraire aux violences, aux drogues ou aux embrigadements terroristes.

Aujourd’hui, ce sont plus de 300 enfants répartis sur quatre sites de Ndjamena qui participent aux ateliers. Ils ont entre 6 et 20 ans et chaque jour, en plein air, autour d’Aleva ou d’un des trois autres danseurs de la compagnie, ils utilisent leurs corps pour s’exprimer, pour évacuer et pour reprendre pied, pas à pas. Hip-hop, coupé décalé, ndombolo… Que les gestes soient hésitants ou déjà bien assurés, c’est une évidence, ils sont doués. Et la danse leur rend leur liberté et leur dignité.

La danse, un art engagé

Aleva Ndavogo Jude en est persuadé, la culture peut contribuer à changer un pays. Et c’est pour cette raison qu’il a préféré agir tout de suite, sur le terrain, en dansant avec les enfants, sans passer par la case récolte de fonds. « Il fallait que les gens voient, qu’ils se rendent compte de l’importance de cette démarche. Il fallait commencer vite… ». L’association Tchado Star ne bénéficie en effet pour le moment d’aucun soutien financier de l’Etat ou d’ONG. « Nous cherchons désormais des organismes impliqués dans la protection de l’enfance pour appuyer notre travail sur le terrain, car nos moyens propres ne suffisent plus. On a rencontré la première dame, Hinda Déby Itno, mais également la ministre de la Jeunesse et des Sports tchadienne. On espère que les choses vont avancer afin que notre projet prenne un nouvel essor », explique le jeune Tchadien. Pour le moment, grâce à ses fonds propres et à l’argent récolté avec les spectacles, il a pu trouver un local qui accueille déjà une centaine d’enfants encadrés par une équipe de seize personnes. Quatre sont inscrits au lycée, six ont entamé une formation en mécanique et quatre en menuiserie. Ils ne gagnent pas encore d’argent mais ils peuvent manger et se former.

Aleva Ndavogo Jude évalue à environ 1 300 enfants errants dans la capitale. Il y a donc un besoin urgent de voir plus grand pour garantir leur santé et leur sécurité.
Un enfant, une famille

Jusqu’à preuve du contraire, « la rue n’a jamais enfanté. Ces enfants sont bien les enfants d’un père et d’une mère, ils sont nos frères donc nous devons être responsables vis-à-vis d’eux », résume Aleva Ndavogo Jude dont l’idée est de réinsérer autant que possible les enfants dans leur famille respective. A force de travaux d’approche, de discussions avec les enfants, avec un grand-parent, un oncle, une tante, un retour au sein d’une cellule familiale est parfois possible. « Quand ils sont entourés, ils ne sont plus des proies », explique le danseur qui n’hésite pas à prendre sous son aile, chez lui, les plus isolés, les plus fragiles.

Avec le spectacle Djago Djago, joué en février 2018 à l’Institut français du Tchad, le chorégraphe a questionné cette « irresponsabilité » de la société dans un décor envahi de plastique, d’ordures en tout genre dans lequel les enfants, joyeux, dansaient et s’entraidaient. Sur des pancartes : les mots « enfant, espoir, société, amour, rue »… Une histoire universelle qu’Aleva Ndavogo Jude continue de danser. Il sera début juillet à New York, puis Paris où il sera en résidence jusqu’en octobre 2018 à la Cité internationale des Arts. Son travail de création se construira autour d’un souvenir, celui d’Hadje, une jeune orpheline accro à l’antalgique Tramadol avec qui il dansait et qui n’a pas survécu à quatre années passées dans la rue. Elle avait 12 ans.

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