Pour la liberté de TV « Liberté »

Le 14 juin, Youtube a décidé brutalement de supprimer la chaîne de TV Libertés en invoquant une prétendue violation mineure des règles régissant les citations d’un média par un autre. Cette décision bafouant les libertés fondamentales soulève l’indignation de Me Nicolas Gardères, avocat et maître de conférence à Sciences Po.

TV Libertés est une grosse webtélé fondée en 2014. A grands traits, sa ligne éditoriale va de la droite des Républicains à celle du Front national. Elle est un peu le média de l’establishement natio-catho, où viennent parler cadres du FN, intellos semi-réprouvés à la Alain de Benoist, curetons tradis, demi-habiles de droite en tout genre, écrivains réacs maudits, etc. Par hypothèse libertaire et foi en l’impératif dialogique, j’y ai moi-même participé pendant plusieurs années à une émission de débats, dans le souci d’affronter la bête dans son antre et sur ses thèmes obsessionnels (islam, immigration, identité, avortement, homosexualité…). Une approche du combat politique que l’on peut critiquer, mais que j’assume totalement et sans rien renier de mon intégrisme libéral. Peu importe, là n’est plus la question.

Et l’Etat de droit, bordel ?

En effet, le 14 juin, Youtube a décidé brutalement de supprimer la chaîne de TV Libertés, comptant une centaine de milliers d’abonnés. Cette décision parfaitement arbitraire et reposant fallacieusement sur une prétendue violation mineure des règles régissant les citations d’un média par un autre (violation qui serait intervenue quelques heures avant la suppression pure et simple de la chaîne…) pose un grave problème de libertés fondamentales.

C’est un truisme de rappeler qu’Internet a totalement bouleversé le rapport à l’expression et l’exercice de cette liberté matricielle. Il a d’ailleurs rendu, en grande partie, obsolète le dispositif répressif français du droit pénal de la presse. Des milliers d’infractions pénales (injures, diffamations, incitations à la haine…) sont ainsi commises chaque jour sur le territoire français, sans être presque jamais poursuivies devant les tribunaux.

Que l’on déplore ou non l’existence de restrictions pénales sur l’expression, il n’est pas contestable que celles-ci s’exercent dans le respect des règles de l’Etat de droit, c’est-à-dire notamment suivant les principes fondamentaux de la procédure pénale, le régime juridique de la loi 1881 sur la liberté de la presse et les droits de la défense.

La Toile de l’arbitraire

Sur Internet, il n’existe rien de tel. L’arbitraire y règne en maître et Youtube, Facebook ou Twitter suspendent ou suppriment les comptes des contrevenants aléatoires sans aucun discernement, ni aucun contrôle réel (comme les très rares actions en justice conduites à ce jour le démontrent). Que des sociétés privées fassent respecter leur règlement intérieur est entendu, mais les GAFA ne sont plus de simples sociétés privées se contentant de vendre des produits sur un marché. Youtube, Facebook et Twitter sont devenus les principaux canaux d’expression publique au monde. De ce fait, n’importe laquelle de ces sociétés a aujourd’hui plus de capacité à restreindre la liberté d’expression d’une population que ne l’a une démocratie libérale comme la France. Elles sont très tranquillement en train d’établir des sociétés parallèles totalitaires, au sein desquelles n’importe qui peut disparaître n’importe quand, virtuellement supprimé dans les caves de ces Loubiankas virtuelles.

En outre, ces souverains virtuels peuvent utilement collaborer (sûrement le font-ils déjà d’ailleurs) avec les Etats, pour que ces derniers puissent exercer une censure que leurs ordres juridiques libéraux leurs interdisent.

Quand le gouvernement applaudit la censure

La future loi sur les fake news vient d’ailleurs bien rappeler que l’Etat français n’a pas renoncé à sa mission de répression du discours et d’hygiène mentale.

La suppression de pages Facebook de groupuscules d’extrême droite, comme récemment celle de Génération Identitaire, a été acclamée par le gouvernement, ce qui laisse l’amer sentiment d’une externalisation, d’une privatisation de la censure.

Avec la suppression de la chaîne de la facho-placide TV Libertés, un cap orwellien a encore été franchi.