Bruxelles vise les États américains qui votent Trump

L’Union européenne choisit d’augmenter les droits de douane de 182 produits américains en provenance d’États qui ont voté… Trump. Représailles chirurgicales.

La réaction européenne à la guerre commerciale lancée par Donald Trump entre en vigueur ce vendredi 22 juin. En coordination avec les États membres, les taxes douanières de 182 produits américains seront ainsi relevées à 25 %. La Commission a pris soin de sélectionner une liste de produits de manière à viser essentiellement les États américains qui ont voté Trump en 2016. Une manière de faire pression sur Washington en déstabilisant l’assise électorale du président américain, à quelques mois des élections de mi-mandat (midterm elections) du 6 novembre prochain.

Trump s’est fait élire sur la promesse de relocaliser des industries dans les États américains qui ont souffert de la mondialisation. L’Europe, en représailles, tente de démontrer à ce même électorat que personne ne sort gagnant d’une guerre commerciale… Dans le détail, la Commission a réparti ses représailles sur trois grands types de biens : un tiers sur l’acier et l’aluminium, puisque c’est l’objet de l’attaque américaine, un tiers sur certains produits agricoles, et un dernier tiers qui vise des produits industriels manufacturés. Rien n’a été laissé au hasard.

L’Europe compte sur le bon sens des farmers

S’agissant des produits agricoles, la Commission vise le Midwest, plus spécialement la « Cornbelt » (ceinture de maïs) qui s’étale entre l’Iowa et l’Ohio. À l’exception de l’Illinois (qui a voté Hillary à 55,2 %), Trump a fait basculer dans son camp l’Iowa (51,1 %) et l’Ohio (51,3 %). En cas de nouvelle élection, ces deux « swings states » pourraient revenir dans le camp démocrate. Ainsi, la Commission a décidé de rehausser les droits de douane du maïs. Mais elle vise également le riz, principalement produit en Arkansas, un État qui a voté Trump à 60,6 %, ainsi qu’en Louisiane (58,1 % en faveur de Trump)… Les farmers sont des chefs d’entreprise rationnels. Si les contre-mesures européennes font décroître leurs exportations de riz en Europe, il y a des chances qu’ils se posent des questions sur la politique anticommerciale du locataire du Bureau ovale…

Dans le même ordre d’idée, la production d’airelles (la canneberge) est également dans le collimateur de Bruxelles. Cette fois, c’est le Winsconsin, premier État producteur aux États-Unis, qui souffrira des mesures de rétorsion européennes. Trump a arraché cet État d’une courte tête avec 47,2 %, devant Hillary Clinton (46,5 %) et Gary Johnson du parti libertarien (3,6 %). La production de tabac verra également ses droits douaniers rehaussés. Ici, c’est la Caroline du Nord (arrachée par Trump à 49,8 %) qui en souffrira le plus. Le Bourbon du Kentucky (qui vote Trump à 62,5 %) n’échappe pas à la hausse des droits de douane. Les travailleurs des distilleries des prairies verdoyantes du Kentucky réviseront peut-être à la baisse leur enthousiasme pour Trump…

L’industrie nautique américaine subit la double peine

S’agissant des produits manufacturés, la Commission a cherché des biens qui nécessitent de l’acier et de l’aluminium pour que les industries visées subissent une sorte de « double peine ». L’industrie du nautisme américain, qui emploie 650 000 salariés et pèse plus de 38 milliards d’euros, était déjà alarmée par la politique commerciale de Trump et l’avait fait savoir. Le nautisme américain subira, en plus, une hausse des taxes douanières. Les manufactures de yacht de luxe et de bateaux de plaisance sont situées en Floride (Trump à 48,6 %), au Missouri (Trump à 57,9 %), en Indiana (Trump à 56,5 %), au Michigan, au Wisconsin… Même traitement pour les mythiques Harley-Davidson, dont le siège social historique est à Milwaukee (Wisconsin). Elles sont assemblées au nord de Kansas City, la capitale d’un État où Trump s’est imposé à 56,2 %.

Arrêtons ici cette énumération navrante, car l’Europe n’est pas censée agir comme agresseur, mais en défense d’une politique commerciale incompréhensible. « Donald Trump ne cherche pas à établir un accord gagnant-gagnant. Il cherche à battre l’Europe », explique-t-on à Bruxelles. Un diplomate européen, récemment en visite à Washington, ajoute que le président américain est « de plus en plus seul à décider » et « loin de l’inquiéter, cette solitude le conforte dans l’idée qu’il a raison contre tous… »

L’Europe suit les règles de l’OMC à la lettre

Quel sera l’impact des contre-mesures européennes ? La Commission évalue l’impact à 2,8 milliards d’euros. C’est énorme au regard de la précédente guerre commerciale UE-États-Unis qui, à partir de 1988, avait porté sur le bœuf aux hormones. L’interdiction par l’Europe de cette importation américaine avait déclenché une contre-mesure américaine, dans le cadre de l’OMC, portant sur une centaine de millions de dollars… Là, nous sommes dans des montants plus de dix fois supérieurs.

Les mesures de Trump sur l’acier et l’aluminium européens devraient avoir un impact de 6,4 milliards d’euros, selon la Commission. Dans ce nouveau bras de fer, l’Europe suit, à la lettre, les règles de l’OMC qui prévoient une réponse en deux temps. Il est prévu qu’un État peut relever ses tarifs douaniers afin de protéger son marché intérieur quand il constate une importation subite et massive d’un produit ou une baisse brutale de prix d’un produit d’importation. Dans ce cas, il applique une « mesure de sauvegarde ». Les autres États ont alors le droit de prendre une « mesure de rééquilibrage » en appliquant une hausse des tarifs douaniers, pas nécessairement dans le même secteur. C’est exactement ce que fait l’Union européenne en l’occurrence : la mesure de rééquilibrage porte sur les 2,8 milliards d’euros évoqués plus haut.

Trump joue à quitte ou double

Et pour le reste ? Là encore, l’Union européenne applique le droit. Elle a parallèlement déposé une plainte contre les États-Unis devant l’OMC qui sera amené à prendre une sanction. Si dans les trois ans, l’OMC n’a pas tranché le litige, alors l’UE sera en droit d’infliger de nouveaux droits douaniers à hauteur de 3,6 milliards d’euros. Évidemment, les Européens souhaitent ne pas en arriver là et aspirent à trouver un terrain d’entente avec les États-Unis.

Les midterms de novembre seront un bon indicateur : si Trump est conforté, la guerre commerciale pourrait prendre un tour dramatique. Si Trump perd la majorité à la chambre des représentants et subit un reflux au Sénat (renouvelé partiellement), peut-être entendra-t-il le signal ? En attendant, le président américain prépare de nouvelles mesures unilatérales sur les automobiles (les Allemands sont en première ligne). Il a lancé une enquête. Pour des raisons électoralistes, il pourrait publier ses nouvelles mesures juste avant les midterms… Un pari à quitte ou double.

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