Le Premier ministre hongrois sera absent de la réunion sur l’immigration à Bruxelles. Mais il a quelques idées très arrêtées sur la question.
Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, ne sera pas présent dimanche, à Bruxelles, lors de la réunion d’urgence convoquée par Jean-Claude Juncker pour tenter de trouver un compromis sur la réforme de l’asile et de l’immigration. Ni lui ni les trois autres dirigeants du « groupe de Visegrad » (Pologne, République tchèque et Slovaquie), un bloc de pays d’Europe centrale qui rejette toute idée de solidarité dans ce domaine. Cette déchirure ne présage rien de bon quant à l’avenir de l’Union européenne à 27.
L’absence du dirigeant hongrois n’est pas très surprenante en soi. Son discours virulent contre Bruxelles et Jean-Claude Juncker prononcé le 16 juin au prétexte d’honorer la mémoire d’Helmut Kohl constitue un acte de rupture pure et simple avec les instances européennes. Il accuse la Commission de Bruxelles d’être « pro-immigration » et « pro-migrant », notamment à travers la proposition budgétaire du cadre multiannuel (2021 – 2027) dont la discussion commence.
Les conseils d’Orban à Merkel
Effectivement, la proposition budgétaire réoriente une partie des fonds qui allaient traditionnellement au rattrapage économique des pays de l’Est vers… une meilleure protection des frontières du Sud. La Hongrie y perd (une quinzaine de milliards sur la période), l’Italie – qui doit faire face à la vague migratoire – y gagne. Ce qui explique en partie le courroux du dirigeant hongrois. Mais il est fallacieux de dire que la Commission est pro-immigration puisqu’il s’agit au contraire de renforcer l’agence Frontex avec un renfort de 10 000 garde-frontières d’ici 2027… C’est bien trop long, il faut en convenir, mais il ne tient qu’à la volonté des États membres d’accentuer l’effort de mutualisation des moyens. Dans ce domaine où la souveraineté nationale prévaut, la Commission ne peut se permettre des propositions trop audacieuses.
À l’origine, Viktor Orban n’était pas contre l’idée de soulager la Grèce et l’Italie d’une partie des demandeurs d’asile qui ont afflué en Europe en 2015. Mais il voulait être libre de les choisir selon un critère religieux pour préserver la Hongrie chrétienne. Ce qui le gênait, c’était moins de donner l’asile que la confession musulmane des demandeurs d’asile. Il ne s’en cache pas dans son discours du 16 juin quand il se pique de donner un « conseil » à Angela Merkel qui avait déclaré, dans son premier discours au Bundestag, après sa réélection : « L’islam fait désormais partie de l’Allemagne. » Viktor Orban rebondit : « Si l’Islam fait partie de l’Allemagne, en termes musulmans, cela signifie que l’Allemagne fait partie de l’Islam. C’est quelque chose qui mérite d’être médité. » Pour le dirigeant hongrois, l’Europe est avant tout chrétienne et doit se dresser contre « cette invasion ». En somme, on reprend les Croisades, mais défensivement cette fois.
Le jour où Orban a sauvé l’Europe
Pour le Premier ministre hongrois, non seulement il faut empêcher toute entrée, mais « la seule question est de savoir ce que nous devrions faire avec ceux qui sont déjà entrés ». Orban propose de les « ramener à demeure » et se dit prêt à aider les autres pays dans ce domaine. En fait, la chancelière ne lui reproche pas d’avoir protégé la frontière de la Hongrie (par une clôture). Les griefs de Merkel à l’encontre d’Orban portent sur le fait qu’il ne pratique aucune distinction entre les réfugiés politiques (journalistes ou juges persécutés, par exemple), les réfugiés de guerre (les Syriens, en l’occurrence) et les migrants économiques qui, eux, en effet, n’ont pas vocation à demeurer sur le sol européen. Jamais, dans ses discours, Orban ne fait mention des réfugiés qui, en vertu des conventions internationales (la convention de Genève de 1951), ont le droit à l’asile (le temps que dure la situation qui justifie leur mise à l’abri). Le conflit porte exactement sur ce point.
Les Hongrois rétorquent que lorsque l’Allemagne a ouvert ses portes très largement, « soudainement, tout le monde était Syrien ». Et de nombreux candidats à l’asile ont détruit ou abandonné leurs papiers d’identité de sorte que les douaniers hongrois ont rapidement été dans l’incapacité d’organiser la sélection et, devant l’urgence, ont fermé la frontière précipitamment. Orban considère que, ce jour-là, il a sauvé l’Autriche et l’Allemagne et rempli ses devoirs de « bon Européen ». À ce titre, il n’aurait donc pas de leçon à recevoir d’une chancelière qui a précipité un mouvement de foule considérable.
Les flux migratoires ont été réduits, mais le mal est fait
Trois ans plus tard, les flux en Mediterranée ne sont plus du tout du même ordre. Les entrées irrégulières sont même inférieures à ce qu’elles étaient avant la crise (voir statistiques plus bas). Mais le mal est fait et l’insécurité identitaire qui ronge l’Europe et dont profitent les populistes est durablement installé dans les esprits. Au point de fragiliser le patient édifice construit depuis les années 1950. Les Européens doutent au moment où tous les périls extérieurs (Russie menaçante à ses portes, Chine surpuissante, isolationnisme américain) militent pour leur union, seule planche de salut.
Pourtant, l’Union européenne n’est pas restée les bras ballants. Sans le claironner tous les jours, elle travaille. Moyennant finances, des accords ont été passés avec les États riverains, dont la Turquie qui, à elle seule, héberge près de 4 millions de demandeurs d’asile. Un nombre considérable, inenvisageable pour un pays européen… Précisément, grâce à l’accord avec la Turquie d’Erdogan, les flux du côté est de la Méditerranée ont chuté de 97 % par rapport à mars 2016. Par la route centrale (Libye, Italie), les flux migratoires ont fléchi de 77 % en un an si l’on compare les six premiers mois de l’année. En revanche, via la route ouest (Espagne), les flux ont continué à augmenter (+ 5 222 personnes sur le premier semestre 2018) mais ils sont faibles au regard des autres voies de passage. Par ailleurs, 17 accords de réadmission pour faciliter les retours des migrants illégaux dans leur pays d’origine ont été passés dans le monde (Serbie, Albanie, Pakistan, Russie…), et six autres ces deux dernières années (Afghanistan, Gambie, Côte d’Ivoire, Bengladesh, Éthiopie, Guinée).
Fermeture ou ouverture, deux conceptions des valeurs chrétiennes
Ces faits ne convaincront jamais Viktor Orban de la pertinence d’une action collective et concertée. Le dirigeant hongrois évolue, lui, sur un autre plan, plus métaphysique. « Le temps est venu pour une renaissance démocrate chrétienne, pas un front anti-populiste », estime-t-il. Contrairement à la politique libérale, la politique chrétienne est capable de protéger les gens, nos nations, nos familles, notre culture enracinée dans le christianisme, et l’égalité entre les hommes et les femmes. En d’autres termes, notre mode de vie européen. »
Il est curieux qu’au nom des mêmes valeurs chrétiennes, le pape François appelle, quant à lui, à ce « que chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère, chaque sanctuaire d’Europe accueille une famille ». Après avoir chapitré la chancelière Merkel, Viktor Orban aurait-il des conseils en chrétienté à prodiguer au pape ?