Après le message cinglant du président de l’Assemblée de Corse envoyé dimanche au premier ministre, le président de l’exécutif corse Gilles Simeoni veut lui consulter sa majorité avant de décider s’il se rendra à Matignon le 2 juillet.
Le ballet des ministres en Corse, amorcé après la visite d’Emmanuel Macron le 8 février, n’est pas encore terminé mais cela n’a pas empêché Jean-Guy Talamoni d’annoncer son absence à une réunion de clôture des négociations sur l’avenir de l’île proposée par Edouard Philippe le 2 juillet. Dans une lettre au ton cinglant envoyée dimanche, l’indépendantiste Talamoni a rappelé au premier ministre «l’appréciation extrêmement négative» de la majorité corse concernant les rencontres ministérielles organisées sur l’île depuis quatre mois. «Notre profonde conviction, insiste l’élu, est qu nos différentes demandes ont été traitées par le mépris et que Paris a fait ce qu’il avait déjà décidé de faire avant même l’ouverture des débats».
Edouard Philippe n’a probablement pas été surpris par la position de Jean-Guy Talamoni. L’élu corse avait déjà choisi de ne pas rencontrer les ministres lors de leurs visites parce qu’il ne souhaitait pas soutenir l’illusion d’un «véritable dialogue» entre l’Etat et la Corse. Il a même dénoncé le «caractère purement protocolaire», voire «fictif» de ces déplacements ministériels. Estimant que sa présence le 2 juillet reviendrait à «avaliser» le résultat d’un «faux dialogue», et à consentir au mépris des «institutions légitimes des Corses», Talamoni a donc pris la décision de refuser l’invitation de Matignon. Son message s’inscrit dans la logique d’une dégradation des relations entre la Corse et Paris depuis la dernière visite du chef de l’Etat sur l’île de Beauté en février.
Les «natios» dénoncent un «piège de communication»
Si Talamoni a pris la liberté d’exprimer sa colère, il l’a fait sous l’impulsion politique de son mouvement indépendantiste Corsica Libera mais aussi en tant que président de l’Assemblée corse. Il veut ainsi dénoncer le «piège de communication» tendu selon lui par le gouvernement. Son courrier est aussi une mise en demeure adressée à l’Etat pour qu’il ouvre «enfin le dialogue» avec la société corse gouvernée par des nationalistes «élus à 57%», rappelle-t-il au Figaro. Talamoni refuse de clôturer un cycle «durant lequel il ne s’est rien passé mais où les Corses ont été pris pour des idiots». «Ces visites ministérielles sont pires qu’un fiasco! C’est de la communication pure parce qu’il n’y avait aucune volonté d’avancer» accuse-t-il encore.
Sur le fond, Gilles Simeoni partage largement les principaux constats ainsi que le sentiment de «gâchis» évoqués par Jean-Guy Talamoni mais le président de l’exécutif corse veut se donner le temps de consulter sa majorité avant de prendre une position sur le sujet en fin de semaine, probablement vendredi, et de dire si lui aussi, boudera la réunion du 2 juillet avec Edouard Philippe. Dans son entourage, certains plaident pour l’élaboration d’une réponse «étoffée» et «concertée». Ils croient la méthode plus efficace et soulignent les obligations auxquelles est soumis Simeoni en tant que «patron opérationnel» de l’île chargé des affaires courantes, confronté à des urgences dans de nombreux domaines (économiques, sociaux, transports, emploi, énergies…). Aujourd’hui, le président de l’exécutif corse ne veut pas se lancer dans une guerre frontale avec l’Etat.
Simeoni ne veut pas une «Corse à l’arrêt»
«Le problème est à la fois politique, institutionnel et constitutionnel. De plus, y compris sur les dossiers techniques, il n’y a pas de véritable dialogue», déplore Gilles Simeoni. La situation lui apparaît «très paradoxale» parce qu’il entend des ministres réclamer un échange sur les compétences de l’île mais ne constate «aucune réponse sur les déchets, la contractualisation financière, le statut fiscal, l’énergie… Nous sommes totalement dans une impasse». Simeoni va chercher un moyen de faire partage ces constats avec les Corses sans mettre la collectivité dans une situation de dialogue totalement rompu avec l’Etat parce qu’il ne veut pas une «Corse à l’arrêt». En même temps, il ne veut pas donner le sentiment à ses interlocuteurs parisiens que les urgences du quotidien l’obligent à les suivre sans protester.
Membre de l’association Régions de France, présidée par Hervé Morin, la collectivité corse fustige enfin une méthode du gouvernement centralisatrice qu’elle juge «inefficace» et «contre-productive». Comme dans d’autres collectivités françaises, le ton monte contre le gouvernement et l’Elysée en Corse. «L’Etat considère que le problème est réglé mais il se trompe. Le problème ne fait que commencer», prévient Gilles Simeoni.