Réunis dimanche à Bruxelles, les dirigeants de seize pays de l’Union européenne ont constaté leurs divergences avant le sommet curcial des Vingt-Huit prévu jeudi.
Constat de désaccord. Le rendez-vous à seize devait renouer les fils, il n’a fait que confirmer des déchirements tous azimuts sur la question migratoire. Malgré l’urgence et les bonnes intentions, il n’y a pas de «solution européenne» en gestation, face à un engrenage politique qui menace la liberté de mouvement et, à terme, l’intégrité de l’UE.
Angela Merkel, menacée à demeure par ses alliés bavarois de la CSU, est la plus nette. Elle n’espère plus de «solution complète» sur la gestion des migrants lors du sommet européen en bonne et due forme qui devait faire la décision jeudi. Elle s’attend au contraire à un morcellement. «Il y aura des accords bilatéraux et trilatéraux pour s’entraider […] sans toujours attendre le reste des 28 États», a dit la chancelière en arrivant à Bruxelles.
Réponse à plusieurs vitesses
Emmanuel Macron, partisan affiché du remède «européen» jusqu’à ces derniers jours, est désormais nuancé. Il défendait dimanche «une coopération entre les membres de l’UE, que ce soit une coopération à 28 ou entre plusieurs États qui décident d’avancer ensemble». Cette réponse à plusieurs vitesses serait une concession à l’urgence, explique-t-on dans son entourage. L’Élysée garde l’espoir de ramener un jour tout le monde à bord, Italie, Autriche, Nordique et même l’Europe centrale, qui a snobé le rendez-vous de Bruxelles. Mais ce sera d’abord en ordre dispersé.
Les lignes de fractures sont connues. À l’intérieur de l’espace Schengen, elles portent sur le contrôle des frontières nationales et sur la répartition des demandeurs d’asile. C’est Horst Seehofer, baron bavarois et ministre allemand de l’Intérieur, qui a mis le feu aux poudres. Contre l’avis de la chancelière, il veut que la police puisse systématiquement refouler à la frontière les migrants déjà enregistrés comme demandeurs d’une protection dans d’autres pays de l’UE. Cet automatisme serait contraire aux procédures européennes établies (règlement de Dublin).
Ironie de la donne frontalière au cœur de l’Europe, le projet Seehofer ferait voler en éclats l’«axe alpin» que le ministre allemand voulait nouer, afin de durcir le statut des demandeurs d’asile, avec ses deux collègues autrichiens et italiens (tous deux venus de l’extrême droite). Si les refoulés devaient revenir sur leurs pas, ce serait à destination de l’Autriche puis de l’Italie. L’Italien Matteo Salvini, avec un demi-million d’irréguliers sur les bras, refuse par avance de les reprendre. En retour, l’Autriche de Sebastian Kurz menace de fermer en plein été le Brenner, point de passage le plus fréquenté entre le centre et le sud de l’Europe.
Mouvements «secondaires»
La question de ces mouvements «secondaires» à l’intérieur de l’UE est aussi sensible et clivante entre la France et l’Italie, de Vintimille jusqu’à Barcelonnette. Le premier ministre italien, Giuseppe Conte, a songé à boycotter le minisommet de dimanche si Paris et d’autres capitales passaient trop de temps à un dossier qu’il considère comme subalterne. Emmanuel Macron en fait au contraire une priorité, malgré les récriminations de Rome: «La France n’a de leçon à recevoir de personne, dit-il, nous sommes le deuxième pays d’accueil des demandeurs d’asile cette année.» D’après des chiffres avancés par l’Élysée, l’Hexagone en aurait accepté 26.000 au premier semestre et la Botte quelque 18.000 seulement.
Des centres pour migrants, et où?
La seconde déchirure porte sur le contrôle des migrants aux frontières externes de l’UE, c’est-à-dire en Méditerranée. Les arrivées sont en chute libre sur les côtes européennes depuis le pic de 2015. Les demandes d’asile ont diminué de 44 % l’an dernier, et, d’après les chiffres du ministère italien de l’Intérieur lui-même, les arrivées par la mer ont encore baissé de 77 % cette année.
Pourtant la caisse de résonance politico-électorale a redoublé avec l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Italie et en Autriche, ainsi que la poussée de l’AfD en République fédérale. Sur ce front-là, c’est Matteo Salvini, patron de la Ligue devenu ministre de l’Intérieur, qui a fourni l’étincelle en repoussant en mer l’Aquarius et ses 629 passagers. L’Italie, lestée par une géographie qui en fait le point de chute obligé des trois quarts des nouveaux arrivants, jure qu’elle n’en peut plus.
Les Vingt-Huit – groupe de Visegrad compris – sont à peu près d’accord pour intensifier les mesures prises depuis 2015: renforcer la coopération avec les pays d’Afrique, soutenir les gardes-côtes libyens, accélérer les renvois vers les pays d’origine pour les déboutés de l’asile. Mais ils divergent sur le sort à leur réserver. Paris et Madrid proposent de créer «sur le sol européen» des centres fermés où les migrants attendraient d’être fixés. Rome redoute de devoir encore les abriter. Quant à l’Autriche elle voudrait ouvrir ces centres de tri dans les Balkans ou de l’autre côté de la Méditerranée.