Rare grève du Bazar de Téhéran, contre la chute du rial iranien

Les commerçants du Grand Bazar de Téhéran ont observé un rare mouvement de grève lundi contre la dépréciation continue de la monnaie iranienne, et des échauffourées ont opposé de jeunes manifestants aux forces de l’ordre, dans un climat de ressentiment contre la situation économique.

Sur fond de spéculation et de craintes pour l’économie, la baisse du rial s’est accélérée depuis l’annonce, en mai, du retrait des Etats-Unis de l’accord international sur le nucléaire iranien de 2015, qui ouvre la voie à un renforcement des sanctions économiques américaines contre l’Iran.

Le rial iranien a perdu près de 50% de sa valeur en six mois et le billet vert s’échange désormais autour de 85.000 rials pour un dollar sur le marché parallèle.

Traditionnellement conservateur, le puissant « bazar », comme on surnomme en Iran le milieu des commerçants traditionnels, a soutenu la révolution islamique de 1979, mais il a usé de son influence à plusieurs reprises depuis lors pour faire reculer des projets politiques qu’il estimait allant à l’encontre de ses intérêts.

« Les exigences des commerçants du Bazar sont légitimes, ils veulent que la situation du marché des changes soit clarifiée une fois pour toutes », a déclaré à l’agence Isna Abdollah Esfiandari, chef du conseil central d’administration du Bazar de Téhéran.

« Nous espérons que l’on va se pencher sur leurs problèmes et que demain (mardi), le Bazar pourra retrouver une activité normale. »

Les marchands « protestent contre le taux de change élevé, la fluctuation des devises étrangères […] le blocage des marchandises à la douane et le manque de critères clairs pour le dédouanement, et le fait que, dans ces conditions, ils ne peuvent pas prendre de décisions ni vendre leurs biens », a ajouté M. Esfiandari.

Dans les rues couvertes du Grand Bazar à proximité de la place aux Herbes (Meidoun-é Sabzeh), on ne trouve pas une boutique ouverte. Les passants longent une succession de rideaux métalliques fermés.

« C’est comme ça dans tout le bazar », assure un marchand de tapis de 45 ans ayant grandi dans la boutique familiale avant de la reprendre, « c’est la première fois de ma vie que je vois ça ».

« Tout est lié, [la chute de la monnaie nationale] affecte tous les secteurs » de l’économie, ajoute-t-il.

« Les boutiques sont fermées depuis le matin », témoigne un autre marchand de tapis. « La police anti-émeutes est intervenue le matin » contre une manifestation de bazaris, « a arrêté deux hommes et le calme est revenu. »

Un marché « secondaire »

Pour tenter de contenir la dégradation du rial, le gouvernement a imposé en aval un taux de change officiel fixe pour le dollar (1 dollar égale 42.000 dollars iraniens).

Celui-ci doit être utilisé impérativement pour les importations, mais plusieurs importateurs se plaignent depuis des semaines que la Banque centrale tarde à leur allouer les devises dont ils ont besoin pour réaliser leurs transactions.

Face au mécontentement, plusieurs responsables iraniens ont fait des annonces à caractère économique lundi.

« Les gens doivent savoir que, même dans les circonstances les plus critiques, il sera alloué suffisamment de devises au taux officiel pour la fourniture des biens essentiels et vitaux », a déclaré le premier vice-président, Eshagh Jahangiri, cité par l’agence officielle Irna.

Parlant sur la télévision d’Etat, le gouverneur de la Banque centrale, Valiollah Seif, a annoncé de son côté la création d’un marché « secondaire » de change, aux contours devant encore être définis, mais qui permettrait à certains importateurs de se procurer les devises dont ils ont besoin, auprès d’exportateurs « non-pétroliers », sans passer par la Banque centrale.

Dans ce climat de ressentiment, des heurts ont eu lieu en milieu d’après-midi dans le centre de la capitale. Parallèlement, des vidéos fleurissaient sur les réseaux sociaux semblant témoigner d’autres affrontements entre mécontents et policiers à Téhéran.

Jugeant que « les informations diffusées sur les réseaux sociaux doivent être traitées avec la plus grande prudence », une source diplomatique note néanmoins que « des manifestations d’ampleur variable ont été enregistrées à Téhéran au cours de la journée ».

Vers 15H30, des policiers anti-émeutes ont utilisé des gaz lacrymogènes au croisement des avenues Ferdowsi et Jomhouri-yé Islami, dans le centre de Téhéran contre quelques dizaines de jeunes qui leurs lançaient des pierres ou divers projectiles, selon un journaliste de l’AFP.

Les contestataires –dont certains scandaient « Iraniens, Iraniens, soutenez-nous! »– se sont dispersés lorsque les policiers commençaient à faire mouvement vers eux.