Les 27 pays membres de l’Union européenne se réunissent, jeudi et vendredi, pour un Conseil européen qui sera en grande partie consacré à la crise migratoire. Ce sommet pourrait définitivement mettre en lumière la fin du projet européen.
Emmanuel Macron peut remiser ses projets européens et son ambition d’apparaître comme le sauveur de l’Europe. Alors qu’il imaginait, il y a encore quelques mois, que le Conseil européen des jeudi 28 et vendredi 29 juin lui permettrait de faire valider la création d’un budget de la zone euro, c’est une tout autre histoire qui devrait s’écrire à Bruxelles. La crise migratoire qui agite actuellement l’Europe devrait en effet dominer les débats. Et sur ce sujet comme sur la zone euro, une chose est sûre : il n’y aura pas d’accord des 27.
Pour Patrick Martin-Genier, professeur à Sciences-Po spécialiste de l’Union européenne, auteur de « L’Europe a-t-elle un avenir ? » (Studyrama), interrogé par France 24, la crise actuelle qui secoue l’UE devrait marquer la fin de la construction européenne.
France 24 : Le sommet européen de jeudi et vendredi s’annonce particulièrement tendu. L’Union européenne a-t-elle déjà connu une crise politique aussi grave ?
Patrick Martin-Genier : La crise actuelle est clairement l’une plus graves crises qu’ait connues l’UE. Il y en a déjà eu par le passé. On se souvient en 1965 de la politique de la chaise vide du général de Gaulle, qui était hostile à l’intégration et qui dura six mois. Il y a également eu la crise provoquée par Margaret Thatcher dans les années 1980, concernant les prix agricoles. On se souvient enfin des crises provoquées par l’effondrement du mur de Berlin et de l’Union soviétique.
Jusqu’à présent, le projet européen s’est toujours relevé de toutes ces crises. Mais depuis 2015, l’Europe n’a pas su faire face à la crise migratoire car elle ne s’est pas donné les outils nécessaires pour y répondre. Cette crise migratoire s’est doublée d’une crise politique majeure car nous avons assisté à une montée en puissance, depuis trois ans, des partis politiques nationalistes, populistes, xénophobes qui exploitent les peurs des peuples européens.
Brexit, avenir de la zone euro, crise migratoire… Les sujets qui fâchent ne manquent pas. Dans ce contexte, ce sommet peut-il déboucher sur des positions communes ?
La réponse est non et a déjà été annoncée, notamment par Angela Merkel et Emmanuel Macron qui ont parlé de solutions bilatérales ou trilatérales pour avancer sur la crise migratoire. Les blocages au sein de l’UE sont tels qu’il ne peut y avoir d’avancées concrètes. Les pays de Visegrad ne veulent pas de migrants, l’Italie ne veut pas de centres fermés. Il n’y a que l’augmentation des moyens de l’agence Frontex qui met tout le monde d’accord. Quant au budget de la zone euro, ça se présente mal étant donné l’affaiblissement d’Angela Merkel. Même si un communiqué laissera sans doute penser que les 27 sont d’accord, beaucoup de pays y sont clairement opposés.
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Est-on en train d’assister à la fin du principe de solidarité au sein de l’UE ?
Pour la première fois dans l’histoire de l’UE, nous avons des partis au pouvoir qui remettent en cause les valeurs européennes de tolérance, de démocratie, de solidarité, d’État de droit. C’est une Europe d’extrême droite qui se construit. Les élections européennes de mai 2019 seront très importantes car si ces partis obtiennent une majorité au Parlement européen, on aura une dérive encore plus marquée.
Ce processus historique est-il irréversible ? Ou, pour reprendre le titre de votre livre, l’Europe a-t-elle encore un avenir ?
On peut se poser la question. L’Europe telle qu’on l’a connue jusqu’à présent est morte. Le contexte a changé, il est impossible d’avancer à 27. L’élan suscité par l’élection d’Emmanuel Macron est terminé, le charme est rompu. Il y a aujourd’hui un retour en force de l’Europe intergouvernementale. Jean Monnet disait : ‘l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises’. Il va falloir mener une réflexion approfondie sur ce qu’on doit faire ensemble pour réinventer une autre Europe, peut-être plus modeste dans la démarche, mais qui donnerait plus de place à la démocratie et aux citoyens.