Comment les choses se présentent-elles avec Donald Trump à la Maison Blanche ? Et que nous dit le fait d’avoir un président raciste, misogyne, xénophobe et erratique, qui continue de bénéficier d’un soutien incontestable de sa base, sur l’état de la politique américaine et les dangers pour l’avenir de la démocratie aux États-Unis et dans le monde dans son ensemble ? Noam Chomsky partage ses réflexions sur ces questions et d’autres sujets connexes dans une entrevue exclusive avec C. J. Polychroniou pour Truthout.
C.J. Polychroniou : Noam, cela fait déjà 14 mois que Donald Trump est en poste à la Maison-Blanche, mais nous devons parfois nous pincer pour nous assurer que ce n’est pas un cauchemar qu’un homme raciste, misogyne et homophobe qui ne se soucie apparemment que de lui-même dirige la nation la plus puissante du monde. Mais, vraiment, à quel point est-ce grave d’avoir Trump à la Maison Blanche ?
Très grave. Alors que Trump entamait sa deuxième année de mandat, le Bulletin of Atomic Scientists a avancé son Doomsday Clock de deux minutes de minuit [horloge du jugement dernier NdT], faisant état de ses préoccupations croissantes au sujet des armes nucléaires et du changement climatique. C’est l’heure la plus proche d’une catastrophe terminale depuis 1953, lorsque les États-Unis et l’URSS ont fait exploser des armes thermonucléaires. C’était avant la publication du Trump’s Nuclear Posture Review, [bilan sur la stratégie nucléaire de Trump, NdT] qui augmente considérablement les dangers en abaissant le seuil d’attaque nucléaire et en développant de nouvelles armes qui augmentent le danger d’une guerre ultime.
En ce qui concerne le changement climatique, Trump est complètement désastreux, tout comme l’ensemble des dirigeants républicains. Tous les candidats des primaires républicains ont nié que ce qui passe est réel ou ont dit… que nous ne devrions rien faire à ce sujet. Et ces attitudes contaminent la base républicaine. La moitié des républicains nient que le réchauffement climatique est en cours, tandis que 70 pour cent disent que, qu’il le soit ou non, l’homme n’est pas responsable. De tels chiffres seraient choquants n’importe où, mais ils le sont particulièrement dans un pays développé disposant de ressources inégalées et d’un accès facile à l’information.
Il est difficile de trouver des mots pour décrire le fait que le pays le plus puissant de l’histoire du monde non seulement se retire des efforts planétaires pour faire face à une menace vraiment existentielle, mais se consacre aussi à accélérer la course au désastre, tout cela pour mettre plus d’argent dans des poches trop remplies. L’attention limitée accordée au phénomène n’est pas moins étonnante.
Lorsque nous nous penchons sur des questions graves quoique de moindre importance, la conclusion est la même : catastrophique. Alors que les bouffonneries de Trump occupent l’attention des médias, ses associés au Congrès ont travaillé intensément pour promouvoir les intérêts de leurs électeurs actuels – richesse immense et pouvoir des grandes entreprises – tout en démantelant ce qui a de la valeur pour la population en général et les générations futures. Les leaders républicains ont raison de considérer le projet de loi fiscale comme leur plus grand triomphe. Joseph Stiglitz qualifie à juste titre le triomphe du « The US Donor Relief Act of 2017 », d’énorme cadeau à leurs électeurs actuels – et à eux-mêmes. Comme il le souligne, les dirigeants républicains « se gavent – Trump, Kushner et beaucoup d’autres dans son administration sont parmi les plus grands gagnants – pensant que c’est peut-être leur dernière chance de participer à une telle fête ». Et « Après moi, le déluge » – littéralement dans ce cas.
La grande victoire (républicaine) donne un avantage supplémentaire. Elle fait exploser le déficit (une marque de fabrique des républicains depuis Reagan), ce qui signifie qu’ils peuvent passer à la réduction des droits, comme l’architecte en chef, Paul Ryan, l’a annoncé tout de suite avec bonheur. Les États-Unis se classent déjà au bas de l’échelle des pays [Organisation de coopération et de développement économiques] – les 35 pays les plus riches et les plus développés – pour ce qui est des mesures de justice sociale. Le triomphe républicain le fera plonger encore plus bas. L’escroquerie fiscale n’est que le plus en vue des stratagèmes mis en œuvre sous le couvert de la bouffonnerie Trump pour se mettre au service de la richesse et du pouvoir des entreprises tout en nuisant à la population sans importance.
Beaucoup d’autres politiques sont tout simplement [inadmissibles], comme l’initiative du Département de sécurité intérieure de Trump de séparer les enfants, voire les nourrissons, de leurs mères afin de décourager l’immigration – 700 familles ont été divisées de cette façon depuis octobre, selon une enquête du New York Times. Beaucoup de ces familles fuient les conséquences meurtrières des politiques américaines : le Honduras est la principale origine de la migration des réfugiés depuis que les États-Unis, presque seuls, ont appuyé le coup d’État militaire qui a évincé le président élu et l’élection frauduleuse qui a suivi, déclenchant ainsi un règne de terreur.
Nous devons également subir la vue de Trump hurlant de terreur parce qu’une caravane de victimes [venant du Honduras, NdT] a atteint le Mexique, la plupart espérant s’y installer. La suggestion de Trump selon laquelle ces victimes menacent la sécurité des États-Unis rappelle Reagan en train d’attacher ses bottes de cow-boy et d’appeler à un état d’urgence nationale parce que les troupes nicaraguayennes étaient à deux jours de marche du Texas et qu’elles étaient sur le point de nous submerger. Il est étonnant que de telles prestations ne suscitent pas un profond embarras national.
Dans la mesure où la politique est l’art du possible, diriez-vous que Trump a été cohérent jusqu’à présent avec les promesses qu’il a faites aux électeurs pendant la campagne de 2016 ?
Dans certains cas, oui. Il exauce les souhaits des évangéliques qui représentent une grande partie de sa base électorale. Il augmente considérablement le budget militaire, comme il l’a promis… La plupart de ses promesses sont à peu près aussi près de se réaliser que son engagement à “drainer le marais”, qui est maintenant débordant. L’Agence de protection de l’environnement de [Scott] Pruitt est un cloaque, bien que le démantèlement des efforts pour faire face à l’impact du changement climatique soit beaucoup plus grave que les détournements d’argent systématiques, qui semblent avoir été une spécialité de Pruitt bien avant qu’on ne lui remette le boulet de démolition.
On n’a pas besoin de Comey (ex-directeur de la FBI) pour nous dire que Trump est moralement inapte.
En ce qui concerne le commerce, bien que les politiques, dans la mesure où elles sont cohérentes, soient généralement nuisibles, la rhétorique n’est pas complètement fausse. Ainsi il est vrai que la Chine utilise des dispositifs qui violent les règles de l’Organisation mondiale du commerce – des dispositifs qui étaient essentiels à la croissance des sociétés riches, de l’Angleterre aux États-Unis et au-delà, et qui sont maintenant interdits par les accords sur les droits des investisseurs mal qualifiés « d’accords de libre-échange ». Il s’agit d’une illustration classique de ce que les historiens de l’économie appellent « donner un coup de pied dans l’échelle » : D’abord nous grimpons, puis nous donnons un coup de pied dans l’échelle pour que vous ne puissiez pas suivre.
Et Trump a raison de dire que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) devrait être revu. Les partenaires de l’ALENA ont présenté des propositions sensées. Par exemple, le Canada a proposé que l’ALENA révisé interdise les lois anti-syndicats des États-Unis, appelés lois sur le droit au travail dans la novlangue. Ces lois deviendront bientôt une politique fédérale, semble-t-il, sous la Cour (Suprême) réactionnaire de Roberts, qui a été rendue plus extrême par les manœuvres parlementaires honteuses de (chef de la majorité républicaine au Sénat) McConnell pour empêcher même la nomination d’Obama, ouvrant la voie à la nomination de Neil Gorsuch – un autre cadeau à l’extrême droite.
La proposition canadienne a été largement rapportée dans la grande presse canadienne, mais, bizarrement, ici elle est absente des discussions sur la révision de l’ALENA, qui s’en tiennent aux propositions de Trump.
Les allégations de collusion continuent de hanter la présidence de Donald Trump, principalement en raison de ses liens présumés avec la Russie et Poutine, et l’ancien directeur du FBI James Comey a déclaré dans un récent entretien avec ABC News que Trump est « moralement inapte » à être président. Que pensez-vous de tout cela, et qu’est-ce que le mépris de Trump pour la loi et le fait que sa base refuse de l’abandonner nous disent de l’état actuel de la démocratie américaine et de la politique américaine en général ?
On n’a pas besoin de Comey pour nous dire que Trump est moralement inapte. Il l’a clairement fait comprendre pendant les primaires, sinon avant. Le fait que le Bureau ovale en vienne à ressembler à une cour d’école pendant une sale journée est peut-être désagréable, mais cela ne figure pas parmi les principaux méfaits de l’administration, à mon avis… Même chose avec ses liens présumés avec la Russie et Poutine. Beaucoup plus grave est la clique qui l’entoure maintenant. C’est bien triste qu’on en soit réduits à espérer que le Général [James] Mattis surveillera… les autres. La nomination de Bolton, en particulier, devrait faire frissonner n’importe qui.
Quant à la base de Trump, elle est en effet très loyale. La plupart des électeurs de Trump sont relativement aisés et probablement assez satisfaits des politiques ultra-réactionnaires. Un autre segment important est celui des Blancs sans formation supérieure, un groupe qui a voté massivement pour Trump (un avantage de 40 %). Ce groupe fait l’objet d’une analyse détaillée dans le numéro actuel (printemps 2018) du Political Science Quarterly [bulletin trimestriel de science politique : NdT]. Elle a constaté que le racisme et le sexisme étaient des facteurs beaucoup plus importants dans leur vote que les questions économiques. Si tel est le cas, ce groupe a peu de raisons de s’opposer à la tournure des événements, et il en va de même pour les évangéliques blancs qui ont donné 80 pour cent de leur vote à Trump. Parmi les électeurs de Trump de la classe ouvrière, blancs et en colère à juste titre, beaucoup aiment apparemment le regarder faire des pieds de nez aux élites détestées, même s’il ne remplit pas ses promesses faites aux [électeurs de la classe ouvrière], ce que beaucoup n’ont jamais cru dès le départ.
Ce que tout cela nous dit, encore une fois, c’est que les programmes néolibéraux qui ont concentré la richesse dans quelques mains – alors que la majorité stagne ou décline – ont aussi gravement sapé le fonctionnement de la démocratie par des mécanismes connus, conduisant à la colère, au mépris des forces et institutions politiques centristes dominantes, et souvent à des attitudes et à des comportements antisociaux – à côté de réactions populaires très prometteuses, comme le remarquable phénomène [Bernie] Sanders, [Jeremy] Corbyn en Angleterre et des développements positifs ailleurs également.
Ryan, un architecte influent de la plate-forme économique républicaine, a annoncé qu’il se retire du Congrès. Pensez-vous que sa décision a été motivée par la crainte qu’une « vague bleue » [démocrate, NdT] puisse arriver en novembre à la suite d’un retour de bâton contre Trump et le Trumpisme ?
On parle beaucoup de la façon dont ce personnage « admirable », qui a ébloui les médias avec des feuilles de calcul frauduleuses, veut passer du temps avec sa famille. Ce qui est beaucoup plus probable, je pense, c’est qu’il a décidé de quitter le Congrès parce qu’il avait atteint ses objectifs de longue date, en particulier avec la « Loi sur l’aide aux donateurs de 2017 » et les réductions du déficit qui ouvrent la voie à une réduction drastique des droits : santé, sécurité sociale, pensions – tout ce qui compte pour les gens en dehors des privilégiés. Et peut-être préfère-t-il être se mettre au vert quand il deviendra trop difficile de cacher ce qui est fait à la population dans son ensemble et que quelqu’un devra affronter la tempête.
En ce qui concerne les affaires étrangères, quels sont, selon vous, les éléments les plus menaçants de la gestion de la politique étrangère américaine par Trump ?
Trump a hérité de multiples crises. Ses propres politiques ont été largement incohérentes, mais il a été cohérent dans certaines régions, principalement au Moyen-Orient. Il a apporté un solide soutien à la guerre saoudienne au Yémen, une catastrophe majeure, et se réjouit des énormes ventes d’armes à la dictature. En décembre dernier, les agences de l’ONU ont averti que le blocus saoudien du Yémen pourrait conduire à « l’une des plus grandes famines des temps modernes ». Le Yémen connaît déjà la pire épidémie de choléra au monde, qui est hors de contrôle. Le blocus saoudien entrave les importations de denrées alimentaires, de médicaments et de carburant dont le pays a désespérément besoin.
« Rendre sa grandeur à l’Amérique » signifie une grande capacité de destruction, et c’est là que cesse la grandeur.
Outre le désastre humain qu’elle crée, la dictature saoudienne, toujours avec le ferme soutien des États-Unis, semble vouloir faire avancer les projets des talibans et de l’EI de destruction d’antiquités précieuses. Passant en revue la destruction systématique par l’Arabie saoudite, le président de l’Organisation des antiquités et des musées du Yémen affirme que les attaques contre 60 sites sont « une campagne volontaire pour détruire le patrimoine du Yémen et démoraliser ses citoyens ». Les experts occidentaux s’accordent à dire que la destruction semble délibérée, en se basant sur les informations fournies par [l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture] consistant en bombardements qui ciblent des sites du patrimoine culturel, sans objectif militaire.
L’attaque menée par les États-Unis contre l’EI à Raqqa a détruit la ville, et rien n’est fait pour reconstruire ou aider les victimes. Sous l’influence de Nikki Haley, l’une des figures les plus sinistres (et, semble-t-il, ambitieuse) de l’administration, Trump a fortement réduit le financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies, qui maintient à peine en vie des millions de réfugiés palestiniens. En général, « rendre sa grandeur à l’Amérique » signifie une grande capacité de destruction, et c’est là que s’arrête la grandeur. Ce n’est pas tout à fait nouveau, mais c’est maintenant porté à un niveau supérieur et cela devient une question de principe.
En mai, Trump refusera vraisemblablement de renouveler l’allègement des sanctions contre l’Iran, comme l’exige l’accord nucléaire iranien (JCPOA). Cela ne constitue pas un retrait formel, même si c’est l’effet probable. Même si les signataires européens persistent formellement, les conséquences seront graves en raison du rôle central des États-Unis dans le système financier international – sans parler du danger que leur obstination puisse susciter la colère de l’imprévisible Trump, qui peut faire beaucoup de dégâts s’il est fâché. Un retrait effectif pourrait fournir une ouverture pour le nouveau conseiller à la sécurité nationale, Bolton, un véritable criminel de guerre qui appelle publiquement à bombarder l’Iran, probablement en collaboration avec Israël et avec l’approbation tacite de l’Arabie saoudite. Les conséquences pourraient être terribles.
Il y a un débat très animé sur la question de savoir si l’Iran a violé le JCPOA, contrairement à la ferme conclusion du directeur général [de l’Agence internationale de l’énergie atomique], Yukiya Amano, le 5 mars 2018, selon laquelle « l’Iran met en œuvre ses engagements en matière nucléaire ». Mais nous n’entendons pratiquement rien au sujet des violations américaines, bien qu’elles aient été suffisamment claires. Ainsi, le JCPOA engage les signataires à soutenir la mise en œuvre réussie de l’accord, y compris dans leurs déclarations publiques, et à s’abstenir de tout effet négatif sur les relations commerciales et économiques avec l’Iran qui serait en conflit avec leurs engagements à la mise en œuvre réussie du JCPOA. Les États-Unis ont clairement violé tous ces engagements, ce qui a de graves conséquences.
Comme toujours, le moyen le plus évident d’atténuer la menace que les programmes nucléaires iraniens sont censés poser : la création d’une zone exempte d’armes nucléaires dans la région. La voie est libre. La proposition est fortement soutenue par l’Iran, les États arabes et le monde en général. Mais il y a un obstacle. Elle a été régulièrement bloquée par les États-Unis, pour des raisons bien connues : Les armes nucléaires d’Israël. Il n’est pas non plus tenu compte du fait que les États-Unis [et] le Royaume-Uni se sont spécialement engagés à travailler pour atteindre cet objectif, s’y étant engagés dans la résolution [du Conseil de sécurité] des Nations unies qu’ils ont invoquée dans une pour trouver une justification à leur invasion de l’Irak.
Le trumpisme est l’une des nombreuses manifestations des effets des politiques néolibérales de la génération passée.
Il y a plus à dire sur cette région troublée, mais il y a aussi des crises ailleurs. L’une concerne la Corée du Nord, et ici il pourrait y avoir des lueurs d’espoir. Jusqu’à présent, Trump a accepté les efforts des deux Corée pour améliorer leurs relations et a accepté de mener des négociations avec le dictateur nord-coréen Kim Jong Un qui semblent prometteuses. Si ces initiatives réussissent, elles pourraient aller aussi loin que l’accord de septembre 2005 dans lequel la Corée du Nord s’engageait à abandonner « toutes les armes nucléaires et les programmes d’armement existants ». Malheureusement, l’administration Bush a immédiatement violé tous ses engagements découlant de l’accord, et la Corée du Nord a poursuivi ses programmes d’armes nucléaires. Nous pouvons espérer que Trump sera prêt à accepter le succès de la dénucléarisation de la péninsule et d’autres mesures d’accommodement. Et s’il veut se vanter de cette réussite comme une démonstration de son génie de négociateur, ce sera parfait.
Cela n’épuise en aucune façon les questions de politique étrangère qui devraient être abordées sérieusement – des sujets qui nous mèneraient loin.
Quel est votre sentiment général au sujet du trumpisme? De quoi s’agit-il vraiment, et pensez-vous que le trumpisme nous montre l’avenir de la politique de droite aux États-Unis ?
Le Parti démocrate est maintenant divisé entre les gestionnaires néo-démocrates orientés vers les donateurs et une base sociale-démocrate militante de plus en plus importante.
Le trumpisme est l’une des nombreuses manifestations des effets des politiques néolibérales de la génération passée. Celles-ci ont conduit à une concentration extrême de la richesse et à une stagnation pour la majorité des gens. Il y a eu des krachs répétés des institutions financières déréglementées, chaque fois plus graves que les précédents. L’éclatement des bulles a été suivi d’énormes renflouements publics pour les auteurs de ces actes, tandis que les victimes ont été abandonnées. La mondialisation a été conçue pour mettre les travailleurs du monde entier en concurrence les uns avec les autres, tandis que le capital privé est couvert d’avantages. Les institutions démocratiques se sont érodées. Comme déjà mentionné, tout cela a conduit à la colère, à l’amertume, souvent au désespoir – un effet remarquable est la mortalité croissante chez les Blancs d’âge moyen découvert par Anne Case et Angus Deaton, analysée comme des cas de « morts par désespoir », un phénomène inconnu dans les sociétés qui fonctionnent. Bien qu’il y ait des variations d’un endroit à l’autre, certaines caractéristiques sont communes. Le premier est le déclin des partis centristes qui ont longtemps dominé la vie politique, comme nous le constatons lors d’élections successives. Aux États-Unis, ces dernières années, chaque fois que des candidats se sont levés de la base dans les primaires républicaines, les puissances établies ont pu les écraser et imposer leur propre choix : Mitt Romney étant le plus récent. En 2016, pour la première fois, ils n’ont pas pu le faire, mais ils se sont rapidement ralliés au candidat gagnant, qui s’est montré tout à fait disposé à faire front avec l’aile la plus brutale du parti traditionnel. La vraie surprise de l’élection a été la campagne Sanders, qui a rompu avec une longue tradition d’élections à peu près achetées, et n’a été arrêté que par les machinations des dirigeants du parti Obama-Clinton. Le Parti démocrate est maintenant divisé entre les gestionnaires néo-démocrates dirigés par les donateurs et une base sociale-démocrate militante de plus en plus importante.
Ce que tout cela laisse présager, dans le monde entier, est loin d’être clair. Bien qu’il y ait aussi des signes significatifs d’espoir, certains commentateurs ont – à juste titre – cité l’observation de Gramsci depuis sa cellule de prison : « La crise consiste précisément dans le fait que l’ancien est en train de mourir et que le nouveau ne peut naître ; dans cet interrègne, une grande variété de symptômes morbides apparaissent ».
C.J. Polychroniou est un économiste politique et politologue qui a enseigné et travaillé dans des universités et des centres de recherche en Europe et aux États-Unis. Ses principaux centres d’intérêt sont l’intégration économique européenne, la mondialisation, l’économie politique des États-Unis et la déconstruction du projet politico-économique du néolibéralisme. Il est un collaborateur régulier de Truthout ainsi qu’un membre du Projet Intellectuel Public de Truthout. Il a publié plusieurs livres et ses articles ont paru dans une variété de revues, magazines, journaux et sites Web d’information populaires. Bon nombre de ses publications ont été traduites en plusieurs langues étrangères, dont le croate, le français, le grec, l’italien, le portugais, l’espagnol et le turc. Il est l’auteur de Optimism Over Despair : Noam Chomsky On Capitalism, Empire, and Social Change, une anthologie d’entretiens avec Chomsky publiés à l’origine chez Truthout et rassemblés par Haymarket Books.