Autour d’un feu, une couronne de fleurs des champs sur la tête, plusieurs dizaines de milliers de Lituaniens ont fêté les nuits les plus courtes de l’année à l’occasion de la Saint-Jean ou de son équivalent païen Rasa.
Mais, encouragée par le milliardaire et chef de la majorité au pouvoir Ramunas Karbauskis, la renaissance des traditions païennes crée quelques tensions dans ce pays balte de 2,9 millions d’habitants à plus de 70% catholique, qui attend le pape en septembre.
« C’est une jolie tradition qui s’éloigne de plus en plus de la Saint-Jean commerciale que nous connaissons. A cette époque de l’année, tout est en fleurs. La nature entière a mûri et nous nous en sentons proches », se réjouit Virginija Miceliene, une fleuriste quadragénaire, venue en costume traditionnel à la fête au parc Verkiai à Vilnius.
Passés sous un porche de fleurs, les participants, accompagnés d’un rythme méditatif au tambour, ont dansé une ronde et chanté la gloire de la nature et du soleil. Ils ont fait quelques offrandes aux dieux, en jetant du sel sur un petit autel où brûlaient des couronnes de fleurs, avant d’allumer un grand feu.
C’est à cet endroit de la capitale lituanienne que le mouvement Romuva (nom d’un lieu saint), qui prône l’ancienne religion balte, avait construit en 1990 un autel au retour à l’indépendance de la Lituanie.
Terre-Mère
Panthéiste, avec au sommet le couple formé par le dieu de la foudre Perkunas et la Terre-Mère, cette croyance confère un esprit aux manifestations naturelles. Toutes ses fêtes sont liées au cycle de la Terre.
Supprimé par les occupants soviétiques arrivés en 1940, Romuva a vécu une brève renaissance en 1967 grâce à l’ethnologue dissident Jonas Trinkunas, qui y a vu un moyen d’affirmer l’identité nationale lituanienne.
« Notre religion se fonde sur les sources historiques, les découvertes archéologiques et la culture traditionnelle transmise oralement », explique Inija Trinkuniene, intronisée grande prêtresse par ses pairs, qui porte lors des célébrations une grande cape blanche, bordée d’une broderie rouge, et une coiffe blanche entourant son visage.
En 2017, elle a célébré plus de cent mariages et baptêmes selon ce rite. « De plus en plus de personnes découvrent nos pratiques et constatent qu’elles s’en sentent proches, car il s’agit de quelque chose de très lituanien », constate la sexagénaire.
Le mouvement créé en 1967 et dont se réclamaient 5.118 Lituaniens en 2011, selon le recensement de cette année-là, soit cinq fois plus qu’une décennie plus tôt, devrait bientôt être reconnu par le Parlement comme communauté religieuse. Les mariages célébrés selon ce rite seront alors reconnus par l’état civil, à l’instar de ceux conclus dans les rites chrétien, juif ou musulman.
« Cette décision politique est liée aux intérêts du parti » au pouvoir, souligne la philosophe Nerija Putinaite. Elle s’en inquiète car, dit-elle, le mouvement pourrait « prétendre à une représentation exclusive de l’identité nationale ».
Ramunas Karbauskis, riche industriel et président de l’Union des paysans et des verts, ne cache pas son orientation païenne. Dans son fief de Naisiai, il a fait ériger des statues en l’honneur de divinités baltes et proposé d’offrir un costume traditionnel à tous les enfants. Son idée a été réalisée en partie début 2018.
L’intention du Parlement de reconnaître Romuva a déclenché de virulentes critiques. Des membres du parti conservateur ont remis en cause la nature de cette religion et sa légitimité, critiquant l’absence de « continuité historique » et de « tradition écrite ».
Question politisée
« C’est un fait que cette religion est une reconstruction (…) c’est un phénomène global en réaction à la mondialisation et soulignant la volonté de conserver les traditions locales », explique la sociologue Milda Alisauskiene, qui regrette que la question soit politisée.
Pour l’ancien Premier ministre Andrius Kubilius, le sujet ne prête pas à sourire à quelques mois de la venue du Pape. Il rappelle que les païens avaient « assassiné à la hache » Saint Bruno de Querfurt, le moine ayant tenté de christianiser la région, en 1009.
Dernier pays d’Europe à avoir été christianisé à la fin du 14e siècle, la Lituanie a été sécularisée de force à l’époque soviétique et, durant cette période, l’Eglise catholique a été l’un des bastions de la résistance au régime.
Migle Valaitiene, 27 ans, mère au foyer, est aussi l’une des 24 « vaidila », ces sages adoubés par la communauté. « Au quotidien, nous avons chez nous un petit autel. De temps à autre, nous procédons au rituel du versement de la bière. C’est une manière de remercier pour ce que nous avons », explique-t-elle au son de chants traditionnels.
« Si certains voient dans ce mouvement une sorte de patriotisme, il s’agit pour moi d’une religion. Nous y soulignons l’importance tant de l’essence masculine que féminine », ajoute la jeune maman, qui a découvert la croyance balte à l’adolescence.
« Dans la religion chrétienne, Dieu a créé l’être humain, et Dieu est un homme », dit-elle.