La présidente de la Cour suprême polonaise Malgorzata Gersdorf a réaffirmé mardi qu’elle refuserait la décision de mise à la retraite que le président Andrzej Duda devrait lui signifier dans l’après-midi.
Le conflit entre la majorité des juges de la Cour suprême et le pouvoir politique atteint son point culminant cette semaine, sur fond d’un différend plus vaste opposant Varsovie à la Commission européenne à propos des réformes judiciaires controversées menées par les conservateurs au pouvoir en Pologne.
Ces derniers ne donnent aucun signe d’assouplissement malgré la procédure d’infraction d’urgence lancée la veille par la Commission européenne.
Mme Gersdorf, qui a été invitée à se rendre chez le chef de l’Etat à 16H00, a été interrogée sur la chaîne privée TVN sur la perspective de se voir remettre une lettre annonçant sa mise à la retraite.
« Que ferai-je ? Je ne la prendrai pas (…) Je me sens présidente jusqu’en 2020 », a-t-elle dit, dans une allusion à son mandat de six ans prévu par la Constitution.
Plus tard, s’exprimant devant les étudiants en droit à l’Université de Varsovie, où elle enseigne, elle a dénoncé la « purge » des juges de la Cour suprême « menée sous le couvert de l’abaissement de l’âge de la retraite ».
Des manifestations de soutien aux juges qui contestent cette réforme sont attendues mardi soir et mercredi matin autour du siège de la Cour suprême à Varsovie.
La Commission européenne a envoyé lundi au gouvernement polonais une « lettre de mise en demeure », à laquelle Varsovie a un mois pour répondre, première étape d’une procédure qui peut aller in fine jusqu’à la Cour de justice de l’UE (CJUE) et à d’éventuelles sanctions financières.
Ligne rouge
Une « ligne rouge » à ne pas franchir, aux yeux de Bruxelles, même si les juges concernés peuvent demander de continuer à travailler, s’adressant au président de la République qui n’aura pas à motiver sa décision discrétionnaire.
L’âge de départ à la retraite des juges a été abaissé de cinq ans par les conservateurs, dans le but affiché d’éloigner les magistrats ayant commencé leur carrière avant la chute du communisme.
Cette mesure, qui entre en vigueur le mardi 3 juillet à minuit, touche 27 magistrats, soit plus d’un tiers de l’ensemble des magistrats de la Cour. Seize d’entre eux ont demandé au chef de l’Etat de prolonger leur mandat. Onze ne l’ont pas fait, mais pourraient tenter malgré tout de rester à leur poste, invoquant leur inamovibilité prévue par la loi fondamentale.
Mme Gersdorf devrait être remplacée provisoirement par un juge de la Cour suprême choisi par le chef de l’Etat, en attendant l’élection de son successeur.
Briser la caste des juges
Pour les conservateurs au pouvoir, la réforme de la Cour suprême fait partie d’un effort indispensable pour briser une caste de juges, qu’ils considèrent corrompue et descendant de ses prédécesseurs communistes.
Pour l’opposition centriste, en revanche, le parti au pouvoir Droit et Justice (PiS) cherche à prendre le contrôle de l’appareil judiciaire pour s’assurer une mainmise complète sur l’Etat.
Elle accuse les conservateurs de violer un des principes fondamentaux de la démocratie, celui de séparation des pouvoirs, et de vouloir favoriser le choix des responsables-clés de l’appareil judiciaire parmi les magistrats qui leur sont favorables.
La position de la Commission européenne se rapproche de celle de l’opposition polonaise.
Le « manque de progrès » dans des discussions avec le gouvernement conservateur polonais, qui n’ont « pas apporté satisfaction », a poussé l’exécutif européen, garant des traités, à lancer cette procédure d’infraction « de toute urgence », a indiqué lundi le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas.
Une importante manifestation de soutien aux juges est prévue mardi soir devant la Cour suprême, tandis que mercredi matin, les magistrats prévoient, au contraire, d’y entrer en procession, vêtus de leurs toges, entourant Mme Gersdorf.