Son évasion en 1948 du futur mausolée de Franco, où il travaillait comme des milliers de prisonniers politiques, a inspiré un film. Aujourd’hui, à 92 ans, l’historien Nicolas Sanchez-Albornoz se dit « enchanté » du prochain transfert de la dépouille du dictateur.
« C’est une décision sensée », dit cet homme aux yeux bleus à l’AFP, qu’il reçoit dans la maison de campagne où il passe ses étés près de la ville d’Avila, située à environ une heure de route du « Valle de los Caidos », le complexe monumental où est enterré Franco.
« Un régime démocratique ne peut pas célébrer une dictature », ajoute le fils de Claudio Sanchez-Albornoz, ministre sous la Deuxième République espagnole (1931 – 1939), écrasée par Franco après trois ans de guerre civile.
« Dans aucun autre pays européen, un tyran similaire n’a de reconnaissance », dit-il encore en référence à la tombe du dictateur, accessible aux visiteurs et toujours couverte de fleurs.
Nicolas Sanchez-Albornoz était étudiant au printemps 1948 quand il fut arrêté avec un de ses amis, Manuel Lamana, pour avoir tenté de remettre sur pied une organisation étudiante.
Tous deux furent envoyés dans la vallée de Cuelgamuros, à 50 km au nord de Madrid, pour participer à la construction du futur mausolée de Franco.
Durant presque deux décennies (1940 – 1959), près de 20.000 prisonniers politiques bâtirent ce complexe monumental à la mémoire des combattants tombés pendant la guerre civile (1936 – 1939).
Mais contrairement à l’immense majorité d’entre eux, Sanchez-Albornoz estime avoir eu « beaucoup de chance » car comme il savait taper à la machine, il fut affecté dans un bureau, et non chargé de dynamiter la montagne pour construire la basilique et sa croix de 150 mètres de haut.
Dans ses fonctions, il put voir que le travail des prisonniers, « loués » par l’Etat aux entreprises de construction, nourrissait tout un système de corruption et de marché noir, où était revendue une partie de la nourriture destinée aux forçats. La dictature « faisait du commerce » sur leur dos, dénonce-t-il.
Jusqu’en France avec de faux laissez-passer
Sanchez-Albornoz signale que plus d’une dizaine de personnes sont mortes dans la construction du monument. Et selon lui, plus de 40 ont tenté de s’échapper de 1940 à 1948 « mais les seuls à y être parvenus sont « Manolo » Lamana et moi. Tous les autres sont tombés » aux mains de la police peu après leur fuite, assure-t-il.
Ils furent aidés dans leur entreprise par des camarades installés à Paris, qui leur fournirent un véhicule et de faux laissez-passer pour pouvoir atteindre la frontière française.
Partis à pied un dimanche d’août, ils furent récupérés à quelques kilomètres du Valle de los Caidos par une jeune touriste américaine dans une évasion devenue légendaire et ayant inspiré le film « Les Années volées » (1998).
L’historien a ensuite vécu en exil en Argentine et aux Etats-Unis avant de revenir en Espagne en 1976, l’année suivant la mort de Franco.
Depuis son bureau décoré de quelques photos de famille et avec vue sur la campagne, Sanchez-Albornoz pense aujourd’hui que « les souvenirs du passé seront toujours différents » dans les deux camps, dans un pays où la mémoire des années de guerre civile et de dictature fait encore débat.
Mais pour lui, la question est simple : « Comment voulons-nous vivre ? En dictature ? Ou tranquilles dans une démocratie, où tout le monde peut avoir son opinion ? Car cela suppose certaines conditions », même symboliques, comme retirer Franco de ce « monument de la dictature » qu’est le Valle de los Caidos, insiste-t-il.
DOSSIER : Dictateur Franco et l’Espagne actuelle