Nucléaire iranien: recherche accord désespérément

Les discussions sur le nucléaire iranien ont repris – sans les Américains. Un défi majeur pour les Européens.

La renégociation avec l’Iran a recommencé, à Genève, avec l’ardente obligation de durer moins longtemps que la fois précédente – il avait fallu douze ans pour parvenir à l’accord du 14 juillet 2015, formalisé sous le nom de JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action, Plan d’Action Global commun). Or, face à Téhéran, les pays concernés – Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne – se retrouvent dans un contexte complètement différent.

Des « conséquences très graves »

Depuis le retrait des Etats-Unis du JCPOA, annoncé par Donald Trump, le 8 mai dernier, les 5 partenaires qui ont décidé de sauver l’accord en tentant de convaincre les Iraniens sont quasiment en situation de demandeurs. Car Trump a assorti le revirement américain de rétablissement de « sanctions au plus haut niveau » et promis l’Iran qu’il s’exposerait à des « conséquences très graves » s’il décidait de relancer son programme nucléaire militaire. Ces nouvelles sanctions doivent être effectives dès le début du mois d’août.

Déjà, Téhéran agite la menace de fermeture du détroit d’Ormuz (par lequel transitent 30 % du trafic pétrolier mondial, soit un quart de la consommation européenne et un tiers des besoins japonais), tandis que l’armée des Etats-Unis se dit prête à intervenir pour à « assurer la liberté de navigation et la liberté du commerce partout où le droit international les autorisent ». Rappelons que la Ve Flotte américaine est basée à Bahreïn. La première condition est donc la désescalade, qui ne fait partie des éléments de négociation iraniens puisque ce pays s’estime désormais assiégé en faisant fi de la déstabilisation qu’il a répandue dans tout le Moyen-Orient (en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, à Gaza et, d’une façon générale, contre Israël). Une grave crise pétrolière plane sur les débats.

Les Européens, sont pris en tenaille. Il leur faut offrir à l’Iran une alternative crédible. C’est dans ce sens que le ministre allemand des Affaires Etrangères, Heiko Mass a déclaré : « Nous formulons une offre que nous trouvons attractive ». Il a également reconnu que les partenaires occidentaux « ne pourraient pas tout compenser ». Le but est de permettre aux entreprises européennes, parmi lesquelles se trouvent plusieurs groupes français très importants (Peugeot, Sanofi, Total …), de continuer à développer leurs échanges en slalomant a traves les sanctions américaines.

L’idée principale repose sur des mécanismes bancaires, nécessairement limitatifs, visant à soutenir les investissements européens en Iran. Mais Paris, Londres et Berlin ne peuvent guère compter sur une quelconque compréhension américaine ; les trois capitales s’attachent donc à démontrer aux Iraniens qu’une rupture de leur part aurait des effets bien plus néfastes qu’une renégociation. Le chemin est étroit.

L’aveuglement de Trump

L’Iran, avec lequel « les négociations sont extrêmement dures », selon l’aveu même d’un diplomate russe chevronné, fait sciemment monter la pression en laissant croire à un compte à rebours fatal. Le négociateur, le roué ministre des Affaires Etrangères, Mohammad Javad Zarif, est porteur d’une feuille de route très complexe. Que Donald Trump ne veut visiblement pas comprendre. Le président américain a affirmé sans sourciller : « L’Iran n’est plus le pays qu’il était il y a quelques mois. Il y a là-bas un tout autre groupe de leaders ». Avec sa finesse habituelle, il a ajouté : « Ils ne regardent plus vers la Méditerranée autant qu’avant… Ils sont moins portés sur ce qui se passe en Syrie, sur ce qui se passe au Yémen et sur beaucoup d’autres endroits ».

En l’occurrence, c’est exactement l’inverse. Un mouvement avait été initié à la faveur du JCPOA ; l’année 2017 s’était soldée par un taux de croissance économique de près de 10%. De nombreux modérés commençaient à en tirer profit pour contrer les conservateurs, toujours vent debout contre l’accord de 2015. C’est ce mouvement-là qui s’arrête. Pour le reste, le régime poursuit inexorablement ses menées extérieures. Hossein Salami, un des commandants des Gardiens de la Révolution, le corps d’élite du camp des durs, a estimé le mois dernier que le Hezbollah, allié indéfectible de l’Iran au Liban, disposait maintenant de 100 000 missiles prêts à détruire Israël.

Le pouvoir des mollah se raidit

Le Guide Suprême Ali Khamenei, dont le pouvoir se situe au-dessus de celui du président, Hassan Rohani, vient de déclarer qu’Israël est toujours une « tumeur cancéreuse ». En Syrie, on a dénombré en juin trois soldats iraniens tués, ce qui prouve qu’ils continuent à se battre hardiment aux côtés de Bachar Al Assad. Plusieurs signes démontrent que l’Iran s’est adapté au durcissement de Trump par un renforcement de sa stratégie agressive. Quant aux difficultés économiques qu’affrontent le pays, elles ne provoquent rien d’autre qu’un raidissement du pouvoir des mollahs. Pour célébrer la fin du Ramadan le mois dernier, Ali Khamenei a appelé ses concitoyens à se priver, à se serrer la ceinture et à ne plus voyager à l’étranger pour sauvegarder la monnaie nationale en danger. A destination de ceux qui prônent la fin de l’isolement, en renonçant à la course au nucléaire, le Guide a lancé : « Ceux qui défendent l’idée, en suivant la propagande ennemie, que le peuple est fatigué et épuisé sont eux-mêmes fatigués. Ce sont eux qui sont épuisés ».

Dans un pays où tout augmente, la population en vient à contester ouvertement les autorités, jugées incompétentes, mais sans qu’aucun espoir de changement de régime en découle. On a déjà vu où la contestation spontanée, non construite, conduisait ; en 2009, les jeunes dressés contre la corruption et les manipulations électorales du médiocre Mahmoud Ahmadinejad eurent droit à une répression en bonne et due forme. Il n’y a pas de force (ni d’idéologie) de coagulation de l’opposition, en Iran ; la seule option de variation provient de l’ouverture vers l’extérieur – encore n’est-ce qu’une hypothèse, mais elle méritait d’être tentée comme le voulait la logique du JCPOA. Contrairement aux rodomontades de Donald Trump, ce sont seulement les très frêles signaux de libéralisation qui sont frappés de plein fouet. A moins d’un nouvel accord sur le nucléaire iranien, c’est le pire aspect de la République islamique qui reprendra le dessus.