La décision a suscité son lot de commentaires. C’est le caractère prétendument politique de la décision qui a été exacerbé.
Dût-on s’en étonner, la fraternité n’est officiellement un principe à valeur constitutionnelle que depuis le 6 juillet dernier. On arguera sans doute que la chose allait sans dire ; encore fallait-il que le Conseil constitutionnel eût l’occasion de l’affirmer. C’est désormais chose faite, et la décision offre même une première illustration de la mise en application de ce nouveau principe.
Les questions prioritaires de constitutionnalité que le Conseil devait examiner ont été largement médiatisées. Il faut dire que l’objet s’y prêtait : il s’agissait de se prononcer sur ce que l’on appelle couramment le « délit de solidarité ». En cause, deux articles du code relatif aux étrangers, qui prévoient, pour l’un, un délit d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers et, pour l’autre, des hypothèses d’exemption précisément définies.
La devise de la République
La contestation portait sur l’une de ces dernières, les requérants lui reprochant, d’une part, d’être circonscrite à l’aide au séjour sans englober l’aide à l’entrée et à la circulation et, d’autre part, de ne pas s’appliquer à tout acte humanitaire dont l’étranger en situation irrégulière pourrait bénéficier. Ici résidait, d’après eux, une méconnaissance du principe de fraternité, qu’ils demandaient donc au Conseil de consacrer.
D’abord, sur le principe, la réponse est lapidaire : le principe constitutionnel de fraternité relève de trois dispositions constitutionnelles qui le citent, parmi lesquelles l’article premier de la Constitution, qui énonce la devise de la République.
Ensuite, concernant ses conséquences en droit des étrangers, la décision du Conseil est pesée au trébuchet. Si découle du principe de fraternité « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour », il doit être concilié avec l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, aucun principe n’assurant aux étrangers un droit général d’accès et de séjour sur le territoire français.
Enfin, appliqué aux dispositions contestées, le raisonnement conduit le Conseil à constater une inconstitutionnalité dans le choix du législateur de distinguer l’aide au séjour de l’aide à la circulation, alors que l’une et l’autre ne sont, contrairement à l’aide à l’entrée, pas à l’origine d’une situation illicite. Il donne, par ailleurs, une interprétation extensive de la clause d’exemption considérant qu’elle recouvre, au-delà des actes énumérés, tout acte d’aide apportée dans un but humanitaire.
Interprétations et critiques erronées
Sans surprise, la décision a suscité son lot de commentaires, les uns laudatifs, les autres critiques et, quel qu’en soit le sens, la plupart erronés. Ainsi, certains ont cru pouvoir dire un peu vite que le Conseil avait censuré le « délit de solidarité » ; assurément, il n’en est rien puisque l’article qui l’établit n’était pas même contesté et c’est uniquement le périmètre de l’une de ses exemptions qui devra être redimensionné.
De même, d’autres ont hurlé à « l’appel d’air » que susciterait une décision laxiste ; la chose est fausse, puisque, tenant compte des conséquences qui en résultent, le Conseil a prononcé une censure à effet différé, laissant au législateur jusqu’au 1er décembre pour corriger l’inconstitutionnalité. Révision constitutionnelle en cours oblige, d’autres encore ont manifesté l’intention de proposer un amendement extravagant qui permettrait, dans un cas similaire, qu’une loi pût confirmer une loi censurée et ainsi faire obstacle à une décision du Conseil.
Dans tous les cas, on le voit, c’est le caractère prétendument politique de la décision qui a été exacerbé. Elle était pourtant juridiquement prévisible et ne remet nullement en cause la marge d’appréciation du législateur. Tout au plus, et il y a lieu de s’en réjouir, rendra-t-elle plus ardue la substitution que certains souhaitent dans la Constitution, pour cause de parité, d’une improbable « adelphité » au mot fraternité !