Déchets radioactifs : où en est la France ?

58 réacteurs, 19 centrales nucléaires et plus de 950 sites producteurs de déchets radioactifs… L’inventaire de l’Andra, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, publié vendredi 13 juillet, se veut précis.

Tous les trois ans, il s’agit de faire un bilan de la consommation d’énergie nucléaire et de ses impacts en France. Sur 28 pages, l’Andra propose des éléments de réflexion pour le pilotage de la politique énergétique du pays, avec à l’horizon le 5e Plan national pour les gestions des matières et déchets nucléaires (PNGMDR).

La France stocke aujourd’hui plus d’un million et demi de mètres cubes de déchets nucléaires, l’équivalent de quatre piscines olympiques. « Le nucléaire est partout ! constate Daniel Heuer, directeur de recherche au CNRS de Grenoble. Les réacteurs, c’est 60 % du nucléaire en France. Le reste comprend les activités de recherche, la défense nationale ou encore le médical. Par exemple, un iode radioactif est peut aider au traitement d’un cancer de la thyroïde. »

Le complexe stockage des déchets à vie longue

Dans son inventaire, l’Andra classe les déchets nucléaires en fonction de leur radioactivité et de leur période. « Le noyau d’un atome radioactif peut émettre une particule à tout moment et ainsi décroître, redevenir stable », explique Daniel Heuer. L’une des principales distinctions utiles à la gestion des déchets nucléaires est la durée de vie des éléments radioactifs contenus dans ces déchets. Elle peut être courte, si la décroissance radioactive s’effectue en moins de 31 ans, ou longue, si la décroissance radioactive prend plus de 31 ans, pouvant atteindre jusqu’à des centaines de milliers d’années.

Il y a d’abord les déchets à faible ou moyenne activité et vie courte (FMA-VC) : tenues du personnel des centrales, pièces de rechange, outils de nettoyage… Une fois remisés dans des colis spéciaux, ils sont acheminés dans un centre spécifique, en surface, à Soulaines-Dhuys. Ils représentent 90 % des déchets radioactifs produits en France selon l’Andra. Les déchets de moyenne ou haute activité et vie longue (HMA-VL) ne représentent que 3 % des déchets produits en France. Mais ils concentrent plus de 99 % de la radioactivité totale. Ce sont en majorité les combustibles usés des centrales nucléaires. « Pour les déchets à vie longue, l’entreposage ne suffit pas, car il est temporaire », commente Christophe Kassiotis, directeur des déchets, des installations de recherche et du cycle à l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire. « Il faut stocker, continue-t-il, de manière définitive. Mais ces déchets présentant beaucoup plus de risques que les autres, la solution de stockage est beaucoup plus complexe. »

Les organismes de gestion des déchets nucléaires attendent la mise en service du Cigéo, un centre d’enfouissement à 500 mètres sous la commune de Bure, dans la Meuse. Depuis 2007, les scientifiques réalisent des tests du sol, vérifiant que la roche argileuse peut freiner efficacement la diffusion radioactive. « Le stockage ne doit pas perturber la couche géologique », tance Christophe Kassiotis. Sans la mise en service du Cigéo, qui fait polémique, les HMA-VL ne peuvent être neutralisés.

La « poubelle » est pleine

L’inventaire de l’Andra identifie un autre problème : le centre de stockage de Morvilliers, dans l’Aube, renferme les déchets à très faible activité (TFA), qui proviennent surtout du démantèlement des installations nucléaires : gravats, ancienne pièce de fer de centrale… D’une capacité totale de 650 000 mètres cubes, ce centre surnommé « la poubelle » arrivera à saturation entre 2025 et 2030, soit cinq ans avant la date prévue. Le temps d’obtenir les autorisations pour la construction d’un nouveau centre, les déchets TFA n’auront plus d’endroit où être entreposés.

« La gestion des déchets en France repose sur un zonage, détaille Christophe Kassiotis. À l’intérieur d’une aire définie, tous les déchets sont considérés comme radioactifs, quel que soit leur niveau de radioactivité. Certains types de déchets sont pourtant susceptibles d’être recyclés », note-t-il. Même regret chez Daniel Heuer, selon qui « trop de déchets partent en TFA quand beaucoup pourraient être réutilisés ». Le chercheur estime qu’une place plus importante devrait être accordée au retraitement. « Cette technique consiste à séparer les éléments radioactifs d’un matériau. Vous ne pourrez jamais dire qu’il n’y a absolument plus d’élément radioactif dans la partie que vous avez considérée non contaminée. Pour autant, en dessous d’un certain seuil de radioactivité, il n’y a aucune indication montrant qu’il y a un risque pour la santé… À très faible dose, la radioactivité peut même être bénéfique, comme cela a été montré avec les animaux ». Pour Daniel Heuer, il faut « dédramatiser » le débat autour du nucléaire et réfléchir posément aux véritables alternatives.

Les scénarios et EPR

L’Andra liste quatre scénarios possibles pour l’évolution du parc électronucléaire français. L’un d’eux pose l’hypothèse d’un arrêt des 58 réacteurs après 40 ans d’utilisation, avec la mise en marche, pour 60 ans, de l’EPR de Flamanville. Le volume des déchets radioactifs triplerait alors, selon l’Andra, en particulier les TFA issus de la destruction des centrales nucléaires. Les autres scénarios supposent tous la poursuite du parc actuel jusqu’à 50, voire 60 ans. Si au terme de cette prolongation, les réacteurs sont remplacés par des EPR ou des réacteurs de 4e génération, le volume de déchets radioactifs quadruplerait.

« Les réacteurs sont construits pour 60 ans, explique Daniel Heuer. Au bout de 40 ans, il faut changer beaucoup de composants, mais c’est la cuve qui détermine la durée de vie d’un réacteur nucléaire. Tel que les centrales ont été conçues, il est impossible de la remplacer sans détruire le bâtiment. » De nouvelles générations de réacteurs sont donc prévues. Il y a l’EPR, pour European pressurised reactor (ironie du sort, le premier mis en service n’est pas européen, mais chinois). Il fonctionne de la même manière que les réacteurs actuels, à eau pressurisée (REP). « Les EPR sont améliorés, avec deux fois plus de systèmes de sécurité », assure Daniel Heuer. Et d’ajouter : « Ils améliorent la sûreté, mais pas les risques ! » Quant aux réacteurs de 4e génération, à neutrons rapides, ils présentent l’avantage de consommer la totalité du combustible (quand les REP n’en utilisent que 1 % selon Daniel Heuer).

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