Elections au Pakistan: les thèses extrémistes gagnent du terrain

La campagne pour les législatives de mercredi au Pakistan a vu certains candidats, dont le favori Imran Khan, aller à la pêche aux voix en popularisant des thèses extrémistes comme la question du blasphème, au risque d’aggraver les tensions religieuses dans le pays.

Le malaise est d’autant plus vif que le pays a été frappé à la mi-juillet par une série d’attentats sanglants revendiqués par des insurgés fondamentalistes qui ont fait au moins 175 morts.

Dans ce contexte tendu, les minorités religieuses comme les Ahmadis, une branche de l’islam considérée comme hérétique et persécutée de longue date car ses membres croient en un prophète postérieur à Mahomet, se sentent particulièrement vulnérables.

« Auparavant, seuls quelques extrémistes répandaient de la haine contre les Ahmadis », observe Amir Mehmood, un membre de cette communauté fréquemment attaquée sur la question du blasphème, qui au Pakistan est réprimé par la loi.

« Maintenant, des partis dominants comme le PTI le font », soupire-t-il à propos du Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI, ou Mouvement du Pakistan pour la justice), le parti de l’ancien champion de cricket Imran Khan, l’un des favoris du scrutin.

Le blasphème est une question très sensible au Pakistan, susceptible d’enflammer les foules. De simples rumeurs ont souvent provoqué émeutes et lynchages. La loi, controversée, prévoit jusqu’à la peine de mort.

Ses contempteurs soulignent que le texte est régulièrement détourné et de fausses accusations utilisées pour régler des différends personnels ou faire taire les voix libérales.

Imran Khan a pour sa part clairement pris parti: le PTI est « entièrement » favorable à la loi anti-blasphème et « la défendra », a-t-il lancé début juillet en public. « Aucun musulman ne peut se dire musulman s’il ne croit pas que le prophète Mahomet est le dernier prophète », a-t-il ajouté.

Le sujet est si brûlant que le moindre appel à réformer la loi peut provoquer des violences. Salman Taseer, gouverneur de la province du Pendjab, a été abattu en 2011 par son propre garde du corps pour l’avoir critiquée.

‘Basculement’

Son assassin, Mumtaz Qadri, pendu en 2016 à la grande fureur des islamistes, est depuis fêté en héros. Sa photo figure en bonne place sur des banderoles électorales.

« Il y a un basculement » pour ce scrutin, remarque l’analyste Amir Rana. « Les principaux partis politiques exploitent aussi la thématique religieuse. »

« Mais utiliser le blasphème à des fins électoralistes affectera la société sur le long terme », principalement « les minorités », prévient Fasi Zaka, un autre analyste.

Imran Khan « exploite » peut-être simplement un filon pour jeter l’opprobre sur le parti rival, le PML-N, note Kapil Dev, un spécialiste des minorités.

Mais quand un potentiel futur Premier ministre partage les vues des extrémistes sur un tel sujet, « les gens le prennent au sérieux », avertit-il. Lui aussi croit à « une augmentation des utilisations abusives de la loi sur le blasphème » à l’avenir.

Jibran Nasir, un candidat indépendant à Karachi (Sud), en a déjà fait les frais: des islamistes ont fait irruption durant l’une de ses réunions électorales et l’ont empêché de faire campagne dans la zone parce qu’il refusait de dénoncer les Ahmadis.

Caricatures

Un parti, Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP), a même fait du blasphème son unique ligne directrice. Cette organisation soufie, qui a fait de Mumtaz Qadri un héros, a réussi à bloquer la capitale Islamabad pendant trois semaines en novembre dernier autour de la question. Elle présente de nombreux candidats aux législatives.

Son leader, Khadim Hussain Rizvi, aurait dit à des journalistes à Karachi que s’il prenait la tête du Pakistan, pays doté de l’arme nucléaire, il ferait « disparaître les Pays-Bas de la face du monde », après qu’un parti anti-islam néerlandais a récemment annoncé la tenue d’un concours de caricatures de Mahomet.

D’autres groupes extrémistes sunnites, Ahle Sunnat Wal Jamaat (ASWJ) et la Milli Muslim League, liée à Hafiz Saeed, le cerveau présumé des attentats de Bombay en 2008, participent aussi aux élections via d’autres partis moins connus.

« Si nous prenons le pouvoir l’après-midi et qu’il reste un seul chiite en vie au Pakistan le matin suivant, alors changez mon nom », a lancé durant un meeting le chef de l’ASWJ, Muhammad Ahmed Ludhianvi.

Certains suggèrent qu’Imran Khan chercherait à couper l’herbe sous le pied des extrémistes en s’appropriant leur rhétorique. Un jeu dangereux selon le militant ahmadi Amir Mehmood, pour qui cette stratégie ne donnera que davantage de confiance aux islamistes.

Dans sa ville de Rabwah, où vivent de nombreux Ahmadis et où 40.000 électeurs sont enregistrés, aucun homme politique n’est venu faire campagne, regrette-t-il. « Personne n’ose venir ici. (…) Ils seraient considérés comme hérétiques. »