Malgré des accusations de fraude, cet ancien joueur de cricket s’apprête à devenir Premier ministre alors que son pays est au bord de la cessation de paiement.
Il attendait ça depuis plus de vingt ans. L’ancien joueur de cricket Imran Khan est sur le point de remporter les législatives qui ont eu lieu mercredi. D’après les derniers résultats, son parti, le PTI, raflerait 110 à 120 sièges devant la formation sortante, la Ligue musulmane du Pakistan de Nawaz Sharif (PML-N), qui ne récolte que 63 élus. 95 % des bulletins ont été examinés.
Imran Khan n’a pas encore de majorité. Il lui faut 137 sièges dans une Assemblée nationale qui en compte 272. Le PTI devrait donc s’appuyer sur la vingtaine d’élus sans étiquette et compléter avec les députés de partis régionaux comme la grande alliance démocratique de la province du Sindh et le parti national du Baloutchistan qui sont crédités de quatre sièges.
Sacré parcours pour ce sportif qui s’est lancé en politique seul contre tous. Champion du monde de cricket en 1992, ce philanthrope construit le premier hôpital contre le cancer du Pakistan en 1994. Lorsqu’il fonde le PTI en 1996, les échecs se succèdent pendant plus de 10 ans. L’étiquette de politicien amateur lui colle à la peau. Imran Khan est surnommé « Imran Can’t » (Imran n’y arrive pas) puis « Taliban Khan » pour son opposition aux drones de la CIA qui bombardent les talibans afghans et pakistanais dans l’ouest du pays.
Accusation de fraude
Encore aujourd’hui, il souffre d’un déficit de légitimité. Sur les cinq partis arrivés en tête du scrutin, quatre crient à la fraude. La PML-N, le Parti du peuple pakistanais (PPP), le parti laïque MQM et les islamistes de la MMA affirment que l’élection a été truquée. Dans certaines circonscriptions, leurs membres n’ont pas été autorisés à surveiller le dépouillement. Plus étonnant encore, des candidats ont reçu les résultats rédigés à la main sur une feuille blanche alors que les scores doivent être consignés sur un formulaire signé par le chef du bureau de vote. La Commission électorale nie toute irrégularité.
Dans un discours retransmis en direct depuis sa résidence d’Islamabad jeudi, Imran Khan a tendu la main à l’opposition : « Si un parti a le moindre doute, nous lancerons une enquête dans les circonscriptions litigieuses. »
Ni la PML-N, ni le PPP, ni le MQM n’ont expliqué jusqu’où ils étaient prêts à aller pour contester les résultats. « Tout dépendra de l’ampleur de la fraude, estime Hassan Javid, politologue à l’université des sciences de gestion de Lahore. Si les irrégularités sont nombreuses, on peut s’attendre à ce que certains partis descendent dans la rue, en particulier le PPP, dont les militants sont très engagés sur le plan idéologique. »
« Un État-providence islamique »
Une crise politique est d’autant plus à craindre pour Imran Khan qu’en 2014, il avait campé devant le Parlement un an après les législatives pour réclamer la démission du Premier ministre Nawaz Sharif. Il accusait ce dernier de lui avoir volé sa victoire. La manifestation avait duré des semaines et paralysé le travail du gouvernement.
Mais, décidé à aller de l’avant, Imran Khan a détaillé jeudi les premières mesures qu’il comptait prendre pour créer un « État providence islamique ». Il compte gouverner depuis sa maison et n’emménagera pas dans la résidence du Premier ministre qu’il transformera « en centre éducatif ou quelque chose de ce genre ». Il promet de réduire le train de vie de l’État, de réformer la fiscalité, d’améliorer l’éducation publique, le système de santé et l’accès à l’eau.
Le FMI à la rescousse
D’ici là, la priorité sera d’éviter le défaut de paiement. Le Pakistan a moins de deux mois de réserves de change, après quoi, il ne pourra plus payer ses importations. Les analystes prédisent depuis six mois que le pouvoir fédéral sollicitera le FMI d’ici la fin de l’année. Islamabad a obtenu une aide du fonds à trois reprises depuis 2001 sans jamais appliquer toutes les réformes exigées en échange.
Cette fois-ci, le FMI pourrait se montrer ferme en exigeant deux mesures : la privatisation des entreprises publiques déficitaires ainsi que l’élargissement de l’assiette fiscale, ce qui nécessitera de taxer l’agriculture, qui représente moins de 1 % des impôts collectés, une mesure très délicate à prendre : pour assurer son élection, Imran Khan s’est appuyé sur des barons locaux, vieux routards de la politique qui tirent une partie de leurs revenus de l’agriculture et qui risquent de s’opposer à ce tour d’écrou fiscal.