Le Brexit, un antidote au Frexit ?

En France, la difficile sortie de l’Europe du Royaume-Uni bouscule les anti comme les pro-européens. Sans que l’on sache vraiment qui en sort renforcé.

23 juin 2016. Alors que le Royaume-Uni se trouve à un tournant de son histoire, Florian Philippot mange un fish and chips dans un restaurant de la rue de Vaugirard. Celui qui est encore l’éminence grise du Front national a invité Marine Le Pen et une quarantaine de militants à suivre avec lui les résultats du référendum sur le maintien ou non de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. L’actuel président des Patriotes dit se souvenir d’une soirée « très sympa ».

Cette même nuit, Jean-Louis Bourlanges n’a pas l’esprit tranquille. Europhile convaincu, il craint un retournement de situation après la diffusion, la veille, d’un sondage rassurant pour les partisans du « Remain ». À 4 heures du matin, le proche de François Bayrou, devenu depuis député du MoDem, allume sa radio et découvre, consterné, l’issue de la consultation populaire : nos voisins d’outre-Manche ont fait le choix du Brexit.

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Le tonitruant référendum britannique a d’emblée suscité l’intérêt, mêlé d’excitation ou d’inquiétude, du personnel politique français. Comme s’il pressentait que ce scrutin, aux conséquences majeures sur le destin du Royaume-Uni et de l’Union européenne, allait aussi infléchir le cours du débat politique national.

Deux ans plus tard, alors que la mise en œuvre du divorce avec l’UE se révèle un véritable casse-tête et menace la majorité de la Première ministre Theresa May, les positions des uns et des autres n’ont pas sensiblement évolué. Les partisans d’une sortie saluent toujours une décision salutaire, dont ils minimisent les conséquences politiques, économiques et financières, de la chute de la livre sterling au casse-tête de la frontière irlandaise, en passant par le gel des investissements d’Airbus. Florian Philippot se félicite de la résistance du Royaume-Uni depuis la victoire du « Leave ». Le défenseur du Frexit parie que ce « moment fondateur » ouvrira la voie à d’autres sorties de l’Union. « L’Angleterre ne s’est jamais aussi bien portée », ose quant à lui Nicolas Dupont-Aignan, qui juge la vie politique française toujours marquée par le « déni de l’effondrement » de l’UE.

À l’inverse, les remainers hexagonaux voient dans les incertitudes provoquées par le Brexit (qui devrait être effectif le 29 mars 2019) la justification de leurs mises en garde. Pour le député européen et ancien ministre des Finances Jean Arthuis, le spectacle offert par les Britanniques montre surtout la « résilience de l’UE », avec laquelle il n’est pas si simple de rompre. « Le Brexit a calmé tous les frexiters ! » jubile-t-il.

« Les hésitations de Marine Le Pen sur la question de l’euro ont nui à sa crédibilité économique »

Si, en apparence, rien n’a changé, la décision des Britanniques aura fait bouger les lignes du débat français sur l’Union. Une influence qui s’est manifestée lors de la dernière présidentielle. La consultation populaire décidée par David Cameron a un temps semblé donner des ailes au FN, partisan d’un Frexit. L’inverse s’est finalement produit, puisque les hésitations de Marine Le Pen sur la question de l’euro, dans l’entre-deux-tours, ont nui à sa crédibilité économique… La députée, qui plaide aujourd’hui pour une « Europe des nations », ne fait plus de la sortie de l’euro un préalable.

Quant aux accents pro-européens d’Emmanuel Macron, ils ne datent évidemment pas du mois de juin 2016. Le tremblement de terre provoqué par le vote des Britanniques a toutefois donné à son plaidoyer une forme d’« urgence » supplémentaire, estime Marielle de Sarnez. « Ce début de délitement européen l’a peut-être aidé à convaincre », ajoute la centriste, vice-présidente d’une mission parlementaire sur le suivi des négociations liées au Brexit.

Le coup de tonnerre du Brexit a ainsi contribué à une inflexion des discours sur l’Europe. « Le référendum a eu un impact sur le débat public : il a montré que le statu quo n’était pas suffisant », relève Alexandre Holroyd, député (LREM) des Français établis en Europe du Nord et président du groupe d’amitié France-Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. L’élu prend pour exemple la réforme de la directive sur le travail détaché, qui, en favorisant la lutte contre le dumping social, illustre la thématique macronienne de « l’Europe qui protège ».

Le Brexit aura aussi fait naître des vocations. « C’est un des résultats électoraux qui m’ont le plus touché. Au réveil, cela a été terrible », confie Holroyd, né de parents franco-britanniques. En septembre 2016, ce diplômé du King’s College de Londres démissionne de son cabinet de conseil et s’engage pleinement au sein d’En marche !, où il décroche son investiture pour les législatives.

Une victoire à la Pyrrhus ?

Le scrutin aura ainsi agi comme un révélateur des clivages qui traversent l’opinion publique et le personnel politique sur la question européenne. Ses conséquences à long terme pourraient être paradoxales. Selon Jérôme Fourquet, de l’Ifop, la difficile mise en œuvre du Brexit rend l’option d’un Frexit (souhaitée par 30 % des sondés) moins plausible. Mais elle attise aussi, en parallèle, le désarroi et la colère des eurosceptiques, qui craignent que la décision démocratique ne soit pas respectée. Loin d’être triomphant et enthousiaste, le discours pro-européen se fait désormais résigné et rationnel. « Il s’agit peut-être d’une victoire à la Pyrrhus pour les défenseurs de l’Europe », prévient l’analyste.

Les élections européennes de 2019 seront-elles l’occasion de confirmer cette mise en garde ? Le départ de 73 eurodéputés britanniques souvent contestataires, à l’image de l’ancien dirigeant du Ukip Nigel Farage, « affaiblira les anti-européens », prédit Jean-Louis Bourlanges. Vingt-sept des sièges vacants seront répartis entre quatorze pays, dont la France, tandis que les autres seront supprimés. À en croire le député MoDem, les répercussions du Brexit ne constitueront pas une variable essentielle du scrutin, qui risque de déboucher sur un Parlement « assez complexe », marqué par le renforcement de l’extrême gauche et des centristes, l’affaiblissement des socialistes et la perte d’influence du PPE (Parti populaire européen, conservateur).

Depuis le 23 juin 2016, le Royaume-Uni s’est transformé en un champ d’exploration pour les parlementaires français. Dans le cadre de leur mission sur le Brexit, les députés se sont rendus au palais de Westminster pour y échanger avec leurs homologues d’outre-Manche. « À Londres, ils sont complètement paumés ! » soupire Jean-Louis Bourlanges. La délégation s’est également déplacée en Irlande, un territoire crucial pour la suite des négociations puisqu’un « Brexit dur » conduirait au rétablissement d’une frontière avec l’Irlande du Nord, au risque de raviver les tensions. Philippot, de plus en plus isolé avec sa micro-formation politique, assure, pour sa part, être toujours en contact avec Nigel Farage. L’apôtre du « Leave » l’a encouragé à faire preuve de ténacité. Une conversation franco-britannique qui apparaît, au fond, très européenne…