Trump s’est dit prêt à rencontrer les dirigeants iraniens. Mais Corée du Nord et Iran n’ont pas grand chose à voir.
« Je suis prêt à les rencontrer quand ils veulent ». Avec sa conception toute personnelle de la diplomatie, Donald Trump tente-t-il de rejouer avec Téhéran la partie de poker entreprise avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un ?
« Je ne sais pas s’ils y sont prêts, a déclaré lundi le président des Etats-Unis en réponse à une question sur une éventuelle rencontre avec son homologue iranien Hassan Rohani. J’imagine qu’ils voudront me rencontrer, je suis prêt à les rencontrer quand ils veulent. ». Et d’ajouter que ce serait « bon pour eux, bon pour nous, bon pour le monde entier. »
« Pas de précondition »
Aux interrogations sur des préconditions éventuelles à cette entrevue, il a précisé : « non, pas de précondition. S’ils veulent une rencontre, je les rencontrerai ». Si elle devait avoir lieu, une telle rencontre serait la première entre des dirigeants américain et iranien depuis la révolution islamique de 1979.
Le ton ne cesse pourtant de monter entre Téhéran et l’administration Trump depuis plusieurs semaines.
« NE MENACEZ PLUS JAMAIS LES ÉTATS-UNIS OU VOUS ALLEZ SUBIR DES CONSÉQUENCES TELLES QUE PEU AU COURS DE L’HISTOIRE EN ONT CONNUES AUPARAVANT », avait tweeté Donald Trump, en majuscules.
Le flamboyant message se voulait une réponse au président Rohani. Celui-ci avait prévenu qu’un conflit avec l’Iran serait la « mère de toutes les guerres », en réaction aux pressions accrues venues de Washington ces derniers mois.
L’escalade verbale ressemble à celle qui a précédé la rencontre entre le président Américain et le dictateur nord-coréen, Kim Jong-un. Difficile pourtant de mettre au même niveau les relations des Etats-Unis avec chacun de ses deux « ennemis préférés ».
Verticale du pouvoir vs équilibre des forces
Les différences entre la petite Corée du Nord (25 millions d’habitants), isolée et totalitaire, et l’Iran, fort de ses 80 millions d’habitants et acteur régional majeur au Proche-Orient, sont nombreuses. La république islamique n’est pas structurée selon la même verticale du pouvoir que le régime de Pyongyang. L’héritier de la dynastie Kim n’a pas hésité à faire exécuter son oncle et mentor et à liquider toute une partie de sa famille pour asseoir son pouvoir. Le président modéré Hassan Rohani, lui, doit composer avec d’autres forces politiques, notamment le guide de la révolution Ali Khamenei, et les puissants Gardiens de la révolution.
« A la différence de la Corée du Nord, relève Ellie Geranmayeh, experte de la diplomatie iranienne au Conseil européen des relations internationales (ECFR) sur Twitter, le président iranien n’a pas besoin de parler aux États-Unis pour sa légitimité intérieure. Il a une ligne de communication ouverte vers l’Europe, la Russie et la Chine. »
Obstacles iraniens
Hassan Rohani est certes en mauvaise posture depuis que Donald Trump a d’abord menacé, puis mis à exécution, en mai dernier, sa volonté de jeter aux orties l’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien – « un gâchis de papier », selon lui. Le rétablissement des sanctions, levées en vertu de cet accord porté par Barack Obama, et la pression mise sur les investisseurs européens dans le pays a durement affecté l’économie iranienne. Le rial, la monnaie nationale, a ainsi perdu plus de la moitié de sa valeur en un an. La grogne ne cesse de monter dans le pays, où les difficultés économiques s’ajoutent à d’autres maux, désordres environnementaux, mauvaise gestion ou corruption. Dans ce contexte, le tabou du dialogue avec les Etats-Unis est sans doute en recul dans les rues de Téhéran.
Mais justement, la fragilisation de la position du président iranien lui complique la tâche, quand bien même il serait intéressé par un tête à tête avec le locataire de la Maison Blanche. « Les menaces et les insultes de Trump l’ont rendu toxique in Iran, juge Ali Vaez, analyste à l’International Crisis Group, interrogé par Al-Monitor. Je ne crois pas que Rohani dispose du capital politique suffisant pour un tel engagement. » D’autant qu’une partie des décideurs estiment le pays en capacité d’affronter cette nouvelle tempête après « quatre décennies de sanctions, huit ans de guerre et un embargo sur ses exportations de pétrole », comme le souligne Ellie Geranmayeh.
Inconstance de Trump…
Trump a déjà proposé à huit reprises une rencontre avec le président iranien à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU, l’automne dernier, d’après son entourage. En vain. Difficile pour un dirigeant iranien de rencontrer un président inconstant qui menace en permanence son pays, insulte ses leaders et a violé un accord international fruit d’années d’âpres négociations avec les grandes puissances. Ce que s’est empressé de faire remarquer un conseiller du président Rohani, ce mardi : « Le respect de la grande nation iranienne, la réduction des hostilités, le retour des Etats-Unis dans l’accord nucléaire… Cela ouvrira le chemin chaotique du moment », a écrit Hamid Aboutalebi sur Twitter.
Une telle rencontre ne pourrait voir le jour sans l’aval de Khamenei. Mais, « quand les alliés des États-Unis eux-mêmes se battent avec Trump pour qu’il respecte ses engagements, une telle réunion vis-à-vis sa base en vaudrait-elle le coût politique pour le guide suprême de l’Iran ? », questionne Ellie Geranmayeh.
… et obstacles dans son entourage
Les difficultés d’un possible nouveau deal entre Trump et Rohani existent aussi côté américain : le président américain s’est entouré d’une équipe de faucons qui veulent « mettre à genoux » l’Iran, rappelle Ali Vaez. Alors que Trump évacuait les « préconditions », son secrétaire d’Etat Mike Pompeo a aussitôt précisé qu’une réunion au sommet pourrait avoir lieu « si les Iraniens démontrent qu’ils sont prêts à des changements fondamentaux dans leur manière de traiter leur peuple, modifient leur comportement malveillant » au Moyen-Orient et se montrent ouverts à un accord sur le nucléaire « qui empêche vraiment la prolifération ». En mai, déjà, Washington avait dressé une liste de douze conditions draconiennes pour un nouvel accord avec Téhéran.
Malgré ces difficultés, si un dialogue s’engageait, il semble peu probable que les alliés de Trump les plus opposés à l’Iran, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le prince héritier saoudien, l’influent Mohamed ben Salmane, laissent advenir un tel rapprochement sans s’y opposer.
Rencontre ou pas, que vaut « l’art de la négociation » façon Trump ? La poignée de main historique de Singapour échangée avec Kim a accouché d’un accord des plus vagues, reprenant des promesses jamais mises en oeuvre par Pyongyang. Il n’y était pas question de dénucléarisation « vérifiable et irréversible », comme le réclamait Washington avant la tenue de ce sommet, au contraire de l’accord de Genève sur l’Iran doté d’un contraignant mécanisme de vérification. Coïncidence ? Pour illustrer la légèreté de ces acquis, le Washington Post rapportait lundi les soupçons des agences américaines de renseignement sur la construction de nouveaux missiles par la Corée du Nord.
DOSSIER : Etats-Unis – Iran – Accord nucléaire