Une fois n’est pas coutume, les médias ne sont cette année pas les bienvenus au Forum du Pacifique, un sommet régional. Car il se tient à Nauru, l’île d’un très controversé camp australien de rétention de migrants.
Situé à une quarantaine de kilomètres au sud de l’équateur, le minuscule Etat a considérablement restreint les possibilités pour les médias de couvrir ce rendez-vous annuel, au point de se voir accusé de museler la presse.
La réunion du Forum des îles du Pacifique (Fip), du 1er au 9 septembre, est en temps normal pour ses 18 pays membres l’occasion de médiatiser des questions cruciales mais généralement oubliées des autres sommets, comme la menace existentielle qu’est le réchauffement climatique.
Mais la couverture médiatique sera limitée. La faute à la méfiance vis-à-vis de la presse des autorités de Nauru qui, estimait récemment l’Institut Lowy, un think tank australien, « commencent à verser vers l’autoritarisme ».
Le mois dernier, la chaîne publique australienne ABC a purement et simplement été interdite de sommet pour cause de « harcèlement et de manque de respect » dans sa couverture de l’actualité de l’île.
Nauru « peut difficilement prétendre qu’il +accueille les médias+ s’il (…) interdit la chaîne publique australienne », observe Gaven Morris, rédacteur en chef d’ABS.
L’AFP n’a pas non plus obtenu d’accréditation.
Journalistes « consternés »
Voilà des années qu’il est difficile pour les médias d’effectuer des reportages dans le micro-Etat. En 2014, le gouvernement avait porté le visa journalistique à 5.800 dollars, non remboursables en cas de non obtention.
Avec l’obtention du sommet du Fip, la pression s’est accentuée pour que l’île se montre plus ouverte. Et elle a temporairement suspendu les frais de visa.
Mais en contrepartie, elle a décidé de limiter le nombre de journalistes qu’elle accréditerait à seulement 30, photographes et caméramen inclus.
Nauru nie vouloir restreindre la liberté de la presse et avance qu’elle a une capacité d’accueil limitée, du fait de sa taille: 21 km2, 11.000 habitants.
« Nous sommes une petite Nation et nous avons des logements et des installations limitées pour le Fip », avaient affirmé les autorités.
« Les médias du monde entier l’ont compris et ont suivi le processus d’accréditation. ABC semble penser qu’elle mérite un traitement particulier. »
L’argument peine à convaincre.
« La contrainte liée aux infrastructures joue un rôle dans la limitation des pools (de journalistes), mais nous sommes consternés par cette tentative de contrôler la couverture médiatique », a indiqué l’association de journalistes New Zealand Parliamentary Press Gallery.
La méfiance de Nauru pour les médias est en fait intimement liée à ce qui fait tristement la célébrité de l’île: le centre australien de détention de demandeurs d’asile.
« Loin des yeux, loin du coeur »
Canberra mène une politique extrêmement dure vis-à-vis des clandestins qui tentent d’atteindre son territoire, en les reléguant indéfiniment dans des camps offshore, en Papouasie-Nouvelle-Guinée ou à Nauru. Le but officiel étant de dissuader les candidats au périlleux voyage vers l’Australie.
Le camp, qui compte actuellement plus de 240 homme, femmes et enfants, est crucial pour l’économie locale, exsangue depuis l’épuisement des réserves de phosphate qui avaient contribué à son essor au siècle dernier.
A en croire des chiffres australiens, les recettes publiques de cette île que la France range parmi les paradis fiscaux sont passées de 20 à 115 millions de dollars australiens (12 à 72 millions d’euros) entre 2010/2011 et 2015/2016, essentiellement grâces aux subventions australiennes liées au camp.
Pour Canberra, l’avantage est double: relégués à 4.000 km, les demandeurs d’asile ne sont pas sur son sol, et sont tenus loin des regards.
Certaines associations présentent ce camp comme un « Guantanamo australien », l’ONU jugeant régulièrement illégal le maintien en détention de personnes qui n’ont commis aucun crime.
Dans un rapport de 2016, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU avait dénoncé des « traitements inhumains et dégradants » subis par les mineurs à Nauru, « y compris des violences physiques, psychologiques et sexuelles ».
Il déplorait en outre les restrictions opposées aux médias compliquant l’obtention d’informations sur la situation dans les camps.
Pour l’artiste australienne Arielle Gamble, le blackout sur l’information à Nauru est une stratégie délibérée.
« Et elle a fonctionné », dit la militante qui vient d’ouvrir à Melbourne une exposition consacrée au calvaire des relégués de Nauru. « Pour les Australiens, c’est un cas classique de +loin des yeux, loin du coeur+. »