Racisme : comment Özil a réveillé les vieux démons allemands

L’élimination de l’équipe nationale à la Coupe du monde a décidément du mal à passer outre-Rhin, affirme aujourd’hui le Point.

Mais alors que les causes et les conséquences sportives attendent toujours d’être passées au crible, c’est un autre débat qui s’est invité dans l’opinion publique allemande depuis l’annonce du départ à la retraite internationale de Mesut Özil. La critique sportive s’est déplacée sur le terrain sociétal, à l’heure où la question de l’intégration et de la diversité sont volontiers récupérées par les partis politiques, principalement ceux d’extrême droite comme l’AfD.

La rencontre effectuée par le joueur et son compatriote Ilkay Gündogan avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, ponctuée par une photo très « officielle » quelques jours avant le début du Mondial, a constitué le déclenchement des hostilités contre le joueur.

Depuis, les critiques d’une partie de la presse et de l’opinion n’ont plus cessé, au point de désigner Özil comme l’un des principaux responsables de la débâcle de l’équipe, éliminée dès le premier tour du Mondial russe. Des critiques dont le meneur d’Arsenal s’est servi pour justifier, en partie, son départ de la sélection.

« Je suis né ici, j’ai été élevé ici, pourquoi les gens n’acceptent-ils pas que je sois allemand  ? » avait-il notamment écrit dans sa lettre rendue publique le 22 juillet, et dans laquelle il écarte toute initiative politique de cette rencontre, rappelant qu’il avait « deux cœurs, un allemand et un turc ». « Le refus d’une rencontre avec le président eut été un manque de respect envers les racines de mes ancêtres », s’est-il justifié.

La tension autour du cas Özil, né à Gelsenkirchen de parents turcs, incarne le rapport parfois houleux des Allemands à la communauté turque, la plus forte diaspora locale (environ 2,7 millions de personnes). En mars, plusieurs attaques contre des centres culturels ou des mosquées avaient eu lieu à Ahlen ou à Berlin après des offensives turques contre les Kurdes de Syrie. Le mobile raciste, islamophobe, mais également politique avait été retenu par la police au moment de lancer l’enquête.

C’est donc dans un contexte rendu lourd par le volet politique que les langues se délient peu à peu au fil des jours. La chancelière Angela Merkel fut parmi les premières à monter au créneau pour tenter de calmer le jeu : « Comme vous le savez, la chancelière apprécie beaucoup Mesut Özil, a souligné sa porte-parole Ulrike Demmer, le 23 juillet. Mesut Özil est un joueur de foot qui a beaucoup fait pour l’équipe nationale. Il a désormais pris une décision qui doit être respectée. »

Une lecture qui tranche, de manière générale, avec les avis d’une autre partie de la classe politique. « Je ne pense pas que le cas d’un multimillionnaire vivant en Angleterre nous apprenne quelque chose sur les capacités d’intégration de l’Allemagne », a estimé pour sa part Heiko Maas, le ministre des Affaires étrangères, alors que pour une des têtes d’affiche de l’AfD, Alice Weidel, Özil incarne « un exemple typique de l’échec de l’intégration des gens venant du monde turco-islamique ».

Au sein de la Mannschaft, les langues se délient elles aussi. Avec, là encore, un clivage représentatif de celui qui partage l’opinion. « Tout le monde a désigné Mesut Özil, mais ce n’est pas possible, Mesut est un humain. Toute l’équipe était en charge de notre destin », a exprimé Jérôme Boateng dans Welt am Sonntag peu après l’élimination.

Mais ce week-end, Özil a été lâché par deux autres de ses coéquipiers, Manuel Neuer et Thomas Müller, deux cadres de l’équipe nationale. « C’est une décision individuelle, qui appartient à chacun, et chacun cherche ses propres raisons… Mesut a trouvé les siennes », a déclaré le capitaine et gardien de but dans Kicker. « Nous devons désormais avoir des joueurs qui sont vraiment fiers de jouer pour l’équipe nationale, et qui donnent tout pour leur pays afin de retrouver la voie du succès », a-t-il poursuivi, comme un tacle à son ex-coéquipier, écartant au passage toute forme de racisme autour de la sélection. « Il n’en a absolument pas été victime. »

« Ce débat est hypocrite de la part des médias. À cause d’eux, ce débat s’est amplifié », a pour sa part affirmé, dans le même temps ou presque, Thomas Müller. « Maintenant, nous devrions clore ce débat et nous concentrer sur le football. Le racisme n’a jamais été un problème au sein de la sélection nationale allemande. » Un discours aux intentions d’apaisement, mais qui pourrait bien continuer à attiser le clivage autour des binationaux.

DOSSIER : Mesut Özil contre le racisme dans le footaball