Les images des enfants latinos encagés et séparés de leurs parents ont ému l’opinion publique américaine, jusqu’à faire vaciller l’inflexible Donald Trump.
Mais, alors que le narcotrafic explose, le président américain s’obstine à expulser massivement dans leurs pays d’origine les membres des gangs latinos. Au risque de déstabiliser l’ensemble du continent américain.
Il l‘avait annoncé. Il l’a fait. Parmi les promesses électorales de Donald Trump, il y avait celle de vider les Etats-Unis d’une partie de leurs délinquants et criminels en accélérant les expulsions des condamnés en situation irrégulière vers leur pays d’origine. Dix-huit mois après son investiture, des dizaines de milliers d’individus jugés nuisibles (129 000 à la fin 2017) ont déjà dû quitter manu militari le territoire américain, au grand soulagement de l’électorat du président. Pour ce faire, ce dernier a notamment signé deux décrets présidentiels sur l’immigration en janvier 2017.
11 millions d’immigrants illégaux sur une population totale de 325,7 millions d’habitants ont été recensés aux Etats-Unis. Certains, installés de longue date, contribuent à l’économie du pays et sont parfaitement intégrés dans le tissu social. Depuis l’arrivée au pouvoir de Trump, le nombre de personnes arrêtées sans avoir commis aucun crime aurait doublé par rapport à la précédente Administration Obama.
Ces expulsions massives se sont transformées en véritables tragédies pour nombre de familles d’immigrants. Chaque jour, des mères de famille, sans aucun casier judiciaire, qui élèvent leurs enfants seules, sont arrêtées, incarcérées et expulsées vers leur pays d’origine sans mise en garde préalable. Elles sont souvent mises dans des centres de détention en attendant le départ, alors que leurs enfants sont laissés sans assistance. Les enfants nés aux Etats-Unis en vertu d’un droit du sol, sont des citoyens américains. Ils sont donc autorisés à rester aux Etats-Unis alors que leurs parents sont expulsés.
Certes, l’éloignement des criminels étrangers séjournant illégalement aux Etats-Unis a toujours été à l’ordre du jour et s’était déjà particulièrement accélérée avec Obama. Mais dès son entrée en fonction, Trump a ordonné à l’agence fédérale en charge de la politique migratoire de viser l’expulsion de deux voire trois millions de clandestins. Au risque de déstabiliser tout un continent.
Lors du débat final face à Hillary Clinton, le candidat Donald Trump avait annoncé la couleur, décrivant un pays gangrené par des individus malfaisants, les « bad hombres » (référence aux origines latinos des groupes criminels visés), qu’il faudrait expulser au plus vite. Le futur président avait notamment dans le viseur les quelque 50 000 membres du gang « Barrio 18 », groupe criminel d’origine mexicaine présent dans une vingtaine d’Etats américains et son rival, moins étendu, mais encore plus sanguinaire, le MS-13 (« Mara Salvatrucha ») d’origine salvadorienne, qui peut compter sur la force de frappe de 8 000 à 10 000 malfrats travaillant aux Etats-Unis.
Ces réseaux mafieux tirent leurs revenus du trafic de drogue, aujourd’hui en pleine explosion sur un continent américain qui voit le nombre d’overdoses croître au même rythme. Comme le reconnaît Trump, les flux de la drogue remontent vers le Nord tandis que l’argent redescend des Etats-Unis et du Canada pour irriguer l’Amérique du Sud. La plupart des pays concernés par les expulsions jalonnent ainsi les routes de la drogue.
C’est cette situation que Donald Trump a déplorée lors de son discours sur l’Etat de l’Union le 30 janvier 2018. Il avait déjà soulevé le problème en rencontrant des policiers de Long Island à l’été 2017, visite au cours de laquelle il avait qualifié les membres du MS-13 d’« animaux » et annoncé sa volonté de « démanteler, décimer et éradiquer les gangs criminels », qui transforment les villes américaines en « champs de la mort ensanglantés ».
Des superlatifs proportionnels aux difficultés que rencontrent les forces de police américaines dans leur lutte contre les gangs latinos. Car contrairement aux mafias italiennes des films de Coppola, ces derniers n’ont pas de parrains, ce qui rend plus difficile l’application de l’arsenal législatif anti-racket.
Pour contourner l’obstacle, Donald Trump n’a pas fait de détails. Le chef de l’Etat a révoqué en janvier 2018 la protection temporaire accordée à 435 000 réfugiés originaires de dix pays, parmi lesquels une majorité de salvadoriens (263 000) haïtiens (58 700), nicaraguayens (5 300) et soudanais (1 000). Ce statut permet aux réfugiés arrivant de pays connaissant une situation soit de conflit armé, soit de catastrophe naturelle, de vivre et de travailler de manière légale aux Etats-Unis et d’ainsi éviter l’expulsion vers leur pays d’origine. Des mesures spectaculaires qui bouleversnt la vie des clandestins n’ayant jamais commis de crimes, lesquels constituent 40% des expulsions, soit 86 000 personnes .
Afin de dresser un diagnostic précis, Trump a commandé un rapport du Bureau des Prisons compilant des données sur le statut d’immigrants des détenus dans les prisons fédérales. Il en est ressorti que près de 25 000 de ces 185 500 individus n’avaient pas la citoyenneté américaine. 92% sont entrés de manière illégale sur le territoire des Etats-Unis. En outre, l’enquête montre que 97% des 13 000 personnes détenues par le Marshals Service et en attente d’un procès, étaient des immigrants illégaux. Partant, une vague d’expulsions a commencé tandis que chaque Etat concerné passait à l’attaque contre les bandes criminelles. L’Opération « Matador » a par exemple permis l’arrestation de 475 personnes à Long Island dans l’Etat de New York, où sévit le MS-13.
De telles mesures ont déjà été expérimentées aux Etats-Unis. Il y a près de trente ans – bien avant la création de Guantanamo – les Etats-Unis envisageaient de construire une vaste prison sur une île des Caraïbes pour y accueillir les prisonniers de droit commun d’origine étrangère. Ceux qui poussent des cris d’orfraie aujourd’hui face à la détermination de Donald Trump à se débarrasser massivement des détenus étrangers, l’ignorent (ou feignent d’ignorer) que cette tendance n’est ni une nouveauté ni le monopole des républicains.
Comme le rappelle la chercheuse de l’International Crisis Group (ICG), Micaela Sviatschi, les déportations de délinquants sans papiers vers leur pays d’origine ont connu un pic dans les années 1990 et 2000, à la suite de l’adoption d’une législation répressive : l’Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act en 1996 et le Homeland Security Act en 2002. De surcroît, en 2010, au Texas, le sénateur démocrate Eddie Luccio avait promis à ses électeurs une économie de plus de 100 millions de dollars si 5000 étrangers étaient expulsés des prisons . Un détenu coûte 52 dollars par jour (soit 44 euros) au contribuable américain (contre 106 euros en France). Dans les prisons texanes, près de 10% des prisonniers sont étrangers et 6700 (sur 155 000 détenus) sont des clandestins sur le point d’être déportés. Parmi eux, se trouvent plus de 5000 Mexicains. A noter que près de la moitié d’entre eux peut bénéficier d’une liberté conditionnelle. Ces derniers constituent le contingent le plus susceptible d’être expulsé, tandis que les autres purgent des peines pour des crimes violents (assassinats, kidnappings, viols, etc) et devraient donc rester en prison jusqu’à la fin de leurs peines. C’est au moment de leur libération que les fauteurs de trouble sont renvoyés dans leur pays d’origine.
Une efficacité remise en question
Malgré tout, les membres de groupes criminels parviennent à regagner le territoire des Etats-Unis pour reprendre leurs activités. Rien d’étonnant au vu des leviers financiers dont disposent les cartels de la drogue, organisations tentaculaires, qui les emploient. Retourner aux Etats-Unis de manière clandestine à partir d’un pays de l’Amérique centrale coûte seulement 8 000 dollars, une somme dérisoire pour le monde du crime.
Pire, le retour en masse de ces délinquants déstabilise un peu plus leurs pays d’origine, souvent économiquement et socialement vulnérables. Gangrénés par une corruption endémique, ces Etats connaissent une instabilité politique et un taux d’homicide préoccupants. Le Salvador, par exemple, est situé à une quinzaine de kilomètres du Venezuela, Etat au bord de l’explosion. Le pays sert de plaque tournante au trafic de drogue dans toute la région. Y réinstaller des milliers de criminels issus des gangs les plus durs de la planète condamne la société salvadorienne au chaos.
Dès leur retour des Etats-Unis, les expulsés reçoivent la visite des groupes criminels. Ils sont suivis, fouillés et leurs tatouages sont scrupuleusement examinés pour discerner tout signe révélateur d’une appartenance à un gang. Si ces individus ont un passé criminel identifié, ils sont immédiatement recrutés pour mener des actions punitives. A moins d’être exécutés. Les exécutions sommaires sont le fait soit de bandes rivales, soit des forces de police locales qui ont carte blanche pour traquer les nouveaux arrivants et travaillent souvent en étroite collaboration avec les forces de sécurité américaines dans la lutte contre le narcotrafic.
Une voie semée d’embûches
Cette spirale destructrice épargne les « États récalcitrants ». De nombreux pays, au premier rang desquels Cuba (avec 35 000 clandestins dans les geôles américaines !) et la Chine (1900 détenus, y compris des membres des triades très actives sur la côte Ouest des Etats-Unis), refusent par tous les moyens de reprendre leurs malfaiteurs, opposants mis à part.
A son arrivée au pouvoir, Donald Trump a promis de débloquer le problème, quitte à adopter des mesures vexatoires tel que le refus de délivrer des visas aux dirigeants de certains pays africains. Résultat : le nombre de pays réfractaires est passé de 23 en 2016 à 12 en 2017. La Somalie et l’Irak ont récemment accepté le retour de quelques centaines de leurs ressortissants. Le même problème se pose en France avec un faible taux d’exécution des « mesures d’éloignement » d’étrangers délinquants, en raison de la mauvaise volonté de pays tels que le Mali, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Bangladesh, l’Inde et l’Afghanistan.
À Washington, l’expulsion des criminels entrés illégalement aux Etats-Unis n’est qu’un des volets de la politique migratoire de Donald Trump. Quelle que soit son efficacité, celle-ci traduit surtout la volonté de satisfaire un électorat des couches populaires victimes de la globalisation, du chômage et du déclassement. Parfois au mépris du sens commun. Car l’expulsion de milliers de travailleurs étrangers – processus déjà enclenché par l’administration Obama – a des effets néfastes sur le tissu économique du pays. Cela se fait particulièrement sentir dans les quatre Etats frontaliers du Mexique que sont la Californie, l’Arizona, le Nouveau-Mexique et le Texas. En Californie, les immigrants illégaux constituaient 5% de la population (2 millions sur 39,54 millions d’habitants) jusqu’à l’arrivée de Trump à la Maison blanche. Massivement employés dans le secteur agricole, leur départ fait craindre un effondrement de la production aux propriétaires des grandes exploitations et des vignobles, lesquels ont pourtant majoritairement voté Trump.
D’ailleurs, la base électorale du président finit par s’éroder, du moins son versant religieux aussi bien chrétien que juif orthodoxe, deux catégories sensibles aux excès, à la brutalité et au manque d’humanité assumés du président.
La critique est aisée mais l’art politique est difficile. Que faire ? Une analyse continentale de la question migratoire s’impose de manière urgente. Car, autant le protectionnisme de l’administration Trump pourrait porter ses fruits en matière économique aux Etats-Unis, autant la politique migratoire qui est mise en œuvre actuellement, se révèle trop simpliste et intenable à long terme pour l’ensemble du continent américain.