Entassés dans des taxis collectifs, ils arrivent, défaits, à Herat, capitale de l’Ouest de l’Afghanistan: des milliers d’Afghans rentrent chaque semaine de l’Iran voisin, où ils étaient partis travailler, après que l’implosion de la monnaie iranienne a englouti leurs économies.
D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 440.000 Afghans sont rentrés d’Iran durant les sept premiers mois de l’année. Si 57 % d’entre eux ont été expulsés, 43 % l’ont fait spontanément.
« Le nombre d’Afghans rentrés d’Iran en 2018 est sans précédent », affirme Eva Schwoerer, une porte-parole de l’OIM, depuis Herat. Sur la même période en 2017, ils étaient deux fois moins nombreux, selon l’organisation.
En cause, la menace de sanctions américaines, après le retrait unilatéral de Washington de l’accord sur le nucléaire conclu en 2015, a causé une plongée du rial iranien qui a perdu près des deux tiers de sa valeur en six mois.
Mardi, le président Donald Trump a annoncé l’entrée en vigueur des « sanctions les plus dures jamais imposées » contre l’Iran, qui « en novembre (augmenteront) encore à un autre niveau ».
Si l’inflation a amputé le pouvoir d’achat des ménages iraniens, elle a aussi très largement affecté les sans-papiers afghans qui depuis des années trouvaient chez leur grand voisin de l’ouest le travail dont leur pays en guerre était dépourvu.
L’argent qu’ils faisaient parvenir à leurs familles, souvent des agriculteurs, manque aujourd’hui cruellement, alors que, de surcroît, l’une des pires sécheresses depuis des décennies s’est abattue sur l’Afghanistan.
Abdul Mussawir, originaire de la province du Parwan, au nord de Kaboul, est parti en Iran il y a trois ans. Il y gagnait l’équivalent de 18.000 afghanis (environ 215 euros) par mois dans une usine automobile d’Ispahan (centre).
Mais avec la chute du rial, ses revenus ont été divisés par trois. Insuffisant pour faire vivre ses parents et ses neuf frères et soeurs, dont le maigre salaire de chauffeur de taxi de leur père ne suffisait à assurer la subsistance.
« Je leur envoyais presque tout ce que gagnais… mais ce n’était pas assez », explique ce jeune homme de 22 ans portant un t-shirt sur lequel on peut lire: « garde un bon karma + recommence ».
Alors Abdul Mussawir a quitté Ispahan. Il s’est rendu à la frontière irano-afghane, d’où il a pris un taxi pour Herat, 140 km plus à l’est. Il cherchera un emploi mieux payé en Afghanistan.
« Cela n’a aucun sens de revenir ici mais je dois le faire », se lamente-t-il, l’air résigné, devant l’hôtel des « Quatre saisons de la liberté » où il vient d’être déposé.
Aleem Mohmini, 17 ans, originaire de l’instable province de Baghlan (Nord), a été expulsé d’Iran. Il ne travaillait que depuis trois mois dans une ferme produisant des tomates près de la ville de Shiraz (Sud) quand les policiers iraniens l’ont arrêté.
« Je ne sais pas quoi faire. Il n’y a personne dans ma famille qui gagne de l’argent », se lamente-t-il, assis avec d’autres mineurs dans une permanence de l’OIM à Herat.
Alors qu’entre 1,5 et 2 millions d’Afghans vivaient illégalement en Iran en 2017, selon les statistiques de Téhéran, l’OIM s’attend à ce que le flux se poursuive, notamment lorsque les sanctions américaines empêcheront l’Iran de vendre son pétrole ou d’avoir accès à des dollars, accroissant ses difficultés économiques.
Un phénomène qui a « des effets directs et immédiats » sur l’économie afghane, note l’OIM. Avec davantage de main d??uvre dans un pays au chômage déjà élevé, ils sont ainsi plus nombreux à se battre pour des emplois de travailleurs journaliers, ce qui fait baisser les salaires.
Privées de l’argent que leurs proches envoyaient d’Iran, des milliers de familles ont également quitté leurs campagnes, où la sécheresse, le manque d’eau et de nourriture sévissent, pour s’agglutiner dans des camps de fortune dans les villes, selon l’ONU.
La dégringolade du rial empoisonne aussi la vie des entrepreneurs d’Herat, dont les Afghans d’Iran constituaient une clientèle importante, avide de téléphones portables ou de chaussures.
« Le business était bien meilleur avant. (Les gens) étaient riches, ils pouvaient tout acheter », se lamente Zia Fahmi, un commerçant qui a vu ses ventes plonger de 80% ces derniers mois. Lui-même s’imagine désormais fermer boutique et rejoindre les routes migratoires.
Abdullah Wasi Zahariyan, après une année passée dans une ferme de concombres à Ispahan, a aussi vu ses revenus fondre, ce qui l’a poussé à rentrer.
Ce jeune de 22 ans prévoit d’aller « dans un autre pays », sûrement la Turquie, et ensuite l’Allemagne, s’il ne trouve pas d’emploi. Et de soupirer: « s’il n’y a pas de travail en Afghanistan, il n’y a pas d’avenir. »