Des milliers de Roumains sont de nouveau descendus dans la rue samedi à Bucarest, exprimant leur colère après les « excès » des forces de l’ordre et les violences ayant entaché la manifestation antigouvernementale de la veille, a constaté l’AFP.
Eugen, 62 ans qui travaille dans le bâtiment, s’était rendu spécialement dans la capitale roumaine vendredi pour protester, aux côtés de milliers d’expatriés comme lui-même, contre la « corruption omniprésente » dans son pays natal.
Mais cela a « vite tourné au désastre : ils nous ont aspergés de gaz lacrymogène, c’était insupportable », raconte à l’AFP cet homme qui brandit un drapeau du Canada, où il a vécu pendant une trentaine d’années.
Madalina, 22 ans, est à l’unissson : « On ne pouvait plus respirer, on a dû chercher refuge dans les rues avoisinantes ». Cette jeune fille brune qui travaille dans le textile en Grande-Bretagne explique qu’elle a quitté la Roumanie dépitée par les « bas salaires » et le « désintérêt » des autorités pour les jeunes.
Environ quatre millions de Roumains (sur une population totale de 20 millions) ont émigré ces 15 dernières années, à la recherche d’une vie meilleure. En 2017, ils ont envoyé à leurs familles 4,3 milliards d’euros, soit près de 2,5 % du produit intérieur brut de la Roumanie, l’un des pays les plus pauvres de l’Union européenne, où le salaire moyen s’élève à 520 euros.
Ionel, la trentaine, a perdu la voix après avoir inhalé des gaz poivre et lacrymogène et doit montrer sur une feuille de papier pourquoi il est revenu place de la Victoire : « démission du gouvernement », a-t-il écrit.
Plusieurs manifestants ont d’ailleurs utilisé des masques chirurgicaux, un clin d’oeil au gaz lacrymogène utilisé la veille, pour écrire le mot « démission » sur l’asphalte.
Vendredi, ils étaient environ 80.000 à appeler le gouvernement social-démocrate de Viorica Dancila à partir, l’accusant de « corruption » et de vouloir « contrôler la justice ».
Des échauffourées opposant quelques dizaines de hooligans aux forces de l’ordre avaient fait plus 450 blessés, dont une trentaine de gendarmes.
Journalistes blessés
Le chancelier autrichien Sebastian Kurz a condamné ces violences et demandé des « clarifications » sur les circonstances dans lesquelles plusieurs journalistes, dont un travaillant pour la télévision publique autrichienne ORF, ont été blessés.
« La liberté d’expression et la liberté de la presse sont des libertés fondamentales de l’Union européenne (…) qui doivent être protégées de manière inconditionnelle », a souligné sur Twitter M. Kurz, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE.
Six personnes, dont trois gendarmes, étaient toujours hospitalisées samedi, mais leur état n’était pas jugé inquiétant, selon des sources hospitalières.
Le président roumain de centre droit Klaus Iohannis, en conflit ouvert avec la majorité parlementaire de gauche, a fustigé « l’intervention brutale et disproportionnée » des forces de l’ordre et demandé au Parquet général d’ouvrir une enquête.
Il a reproché dans la foulée au gouvernement d' »oeuvrer contre les intérêts des citoyens », accusant les responsables du parti social-démocrate (PSD, au pouvoir) de « mener le pays vers le chaos et le désordre ».
Mise directement en cause, la ministre de l’Intérieur Carmen Dan a assuré que les gendarmes avaient agi en respectant la loi pour « défendre les institutions de l’Etat ».
Malgré ses explications, des questions restaient en suspens sur l’intervention des forces de l’ordre, qui avaient commencé à faire usage de gaz poivre et lacrymogène avant même les premiers incidents provoqués par des hooligans.
Les médias ont rappelé que la Roumanie était le théâtre de manifestations régulières depuis un an et demi, avec un pic d’un demi million de personnes dans la rue en février 2017, sans qu’aucun incident violent ne soit enregistré.
« Je suis venue après avoir vu vendredi à la télé la brutalité des gendarmes qui sont intervenus contre des gens pacifiques », confie Floarea Toader, 64 ans, enveloppée dans un drapeau tricolore roumain.
« Mes enfants travaillent en Espagne et ils aimeraient bien rentrer en Roumanie. Mais pour l’instant il n’en est pas question, car les dirigeants ne s’intéressent qu’à eux-mêmes et ne font rien pour les autres », ajoute-t-elle.
Depuis son retour au pouvoir fin 2016, le PSD a lancé une vaste réforme de la justice qui menace l’indépendance des magistrats et vise à permettre à des responsables politiques d’échapper aux poursuites, selon ses détracteurs.