« Je crains pour ma santé » : quand les maires préfèrent démissionner

Manque de moyens, surcharge de travail, fatigue… Le nombre de maires à démissionner en cours de mandat a augmenté de 55 % par rapport à la précédente mandature.

Ce sont des démissions qui sont passées presque inaperçues. Des maires de communes rurales, de villes moyennes et même de banlieues préfèrent jeter l’éponge avant même d’achever leur mandat.

Une enquête réalisée par l’Agence France Presse, début août, a permis d’évaluer l’ampleur du phénomène. Selon le répertoire national des élus et en tenant compte de l’effet du non-cumul des mandats, le nombre de maires ayant quitté leurs fonctions depuis 2014 serait en hausse de 55 % par rapport à la précédente mandature (2008 – 2014). Que se passe-t-il dans les municipalités ? Les maires sont-ils au bord du burn-out ?

« Je crains pour ma santé »

« Le cumul de mon métier d’agriculteur et de la fonction de maire n’est plus supportable. Avec les réunions qui se succèdent, la paperasserie de plus en plus complexe… J’en ai marre », confiait René Saudrais, ancien maire de Tréverien (Ille-et-Vilaine) à Ouest-France le 13 juillet dernier, alors qu’il venait d’envoyer sa lettre de démission au préfet.

À Tresson, petite commune de 500 habitants dans la Sarthe, Vincent Samson, âgé de 39 ans, a lui aussi démissionné. C’était en novembre 2017, après seulement trois années de mandat. « Ce n’est plus possible pour moi. Il n’y a que 24 heures dans une journée ! Entre mon travail sur le terrain, les devis et rencontres avec les clients, les réunions… Je crains pour ma santé ».

Même constat, pour Stéphanie Phan Thanh, ancienne maire de Guérande en Loire-Atlantique. Pour expliquer sa démission au mois de juin, elle raconte s’être engagée parfois « au-delà de ses forces » et « souvent au détriment de sa famille » dans un mandat qui nécessitait de « s’investir à 200 % ».

« Exercer le mandat de maire est quelque chose de plus en plus difficile », reconnaît Vanik Berbererian, président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et lui-même maire à Gargilesse-Dampierre, une commune de 342 habitants dans les Vosges. « On l’a vu mandat après mandat. Il y a des baisses de moyens, des normes très lourdes et les citoyens sont de plus en plus exigeants. Par exemple on demande de plus en plus au maire d’intervenir dans des conflits entre particuliers. »

La démission la plus fracassante reste celle du maire de Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon, qui dénonçait en mars le « mépris de l’État pour les banlieues ».

Baisse des dotations

Principale source de revenus pour les communes, la baisse des dotations de l’État serait en partie responsable du malaise des maires. « Les communes ne sont qu’une variable d’ajustement financière aux yeux de l’État », critique Philippe Rion, ancien maire dont le village de 380 habitants dans les Alpes-Maritimes, dans une interview à l’AFP.

Sur la période 2015-2017, l’État a ainsi demandé aux collectivités de se serrer la ceinture. En 2015, l’enveloppe globale des dotations versées aux communes a diminué de 3,5 milliards d’euros. Selon l’Observatoire des finances locales (OFGL), la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui représentait en moyenne 21 % des recettes de fonctionnement des communes en 2013, était seulement de 14,8 % en 2017. En parallèle les investissements dans les communes ont chuté de 10 %. En juillet, l’Association des Maires de France a même réclamé la création « en urgence » d’un fonds spécial pour les communes les plus en difficulté.

Faute d’argent, certains maires se disent « déçus » comme Jean-Pierre Girault, ancien maire de la petite commune Saint-Didier-sous-Écouves, près d’Alençon (Orne). Dans nos colonnes en septembre, il disait souffrir « de l’impossibilité de réaliser des projets communaux, faute de budget ». La situation serait même devenue conflictuelle au conseil municipal.

Si le gouvernement a assuré avoir augmenté en 2018 les dotations globales versées aux communes. Pour le président de l’Association des maires ruraux de France elles ont été réparties de façon inégale entre les communes. « Si vous avez des communes qui ont gagné en dotations, d’autres sont restées au même niveau et d’autres ont perdu de l’argent. Donc le fait de dire qu’il n’y a pas de baisse des dotations, c’est un mensonge. Or pour les communes ça veut dire des services en moins », explique le maire de Gargilesse-Dampierre. « Sur ma commune, qui est touristique, on a par exemple réduit les personnels saisonniers de moitié, parce qu’on ne pouvait pas faire autrement. »

La suppression progressive de la taxe d’habitation par le gouvernement apparaît comme un nouveau coup dur pour les communes. L’Association des maires de France (AMF) a estimé que la réforme représenterait en moyenne une baisse de « 36 % de l’ensemble des ressources propres des communes ».

« C’est depuis Paris que tout se décide »

Outre la baisse des moyens financiers des communes, la loi NOTRe a aussi été décriée par les maires ruraux qui ont vu une perte de sens de leur travail d’élus de proximité. « On ne fait que dépouiller l’échelon local », regrette Vanik Berberian qui estime que « c’est depuis Paris que tout se décide » sans tenir compte des spécificités locales.

Ainsi, la refonte de la carte intercommunale prévue par la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) a poussé les très petites communes à fusionner entre elles et a contraint les intercommunalités à se regrouper pour atteindre au minimum 15 000 habitants. Des changements importants pour les maires ruraux qui sont à l’origine de crispations au sein des conseils municipaux.

L’obligation de former des communautés de communes d’au moins 15 000 habitants entraînerait parfois des situations absurdes, selon le président d’AMRF. « J’ai rencontré une maire dans l’Aveyron qui met une heure et demie en voiture pour aller aux réunions de sa communauté de communes. Une heure et demie à l’aller et au retour quand il ne neige pas. Donc elle ne va plus aux réunions. Cette commune, elle n’est pas plus forte, elle disparaît ! »

« Il y a une forme de contre-décentralisation qui est en train de se faire. Maintenant, il faut se demander si on veut tout concentrer vers les pôles urbains ou si on veut un équilibre du territoire. C’est un choix politique à faire. Je crois qu’il faut que les citoyens prennent conscience de ce qui est en train de se passer », explique Vanik Berberian qui réclame de la part du gouvernement une « vraie considération des élus ruraux ».

Moins de deux ans avant les élections municipales de 2020, la question de la pénurie de candidats commence à se poser. Dans le Morbihan, où près de 10 % des maires ont rendu leur écharpe, Michel Morvant, édile depuis 35 ans à Plouray, s’inquiète : « Au-delà des démissions en cours de mandat, je pense que les prochaines élections municipales verront un profond renouvellement, avoue-t-il. Beaucoup d’équipes ne repartiront pas dans la course».

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