Macron : un Président très occupé… à ne rien faire

Calendrier politique chargé en ce début du moins de septembre 2018. Qui oserait dire que le gouvernement ne fait rien ? C’est tout le contraire et ça décoiffe !

Voyez plutôt : on s’attend à tout moment à ce que le président de la République rende sa décision finale concernant le prélèvement à la source et l’on s’attendait de façon tout aussi imminente à l’annonce d’un remaniement ministériel devenu inévitable après la démission-spectacle de Nicolas Hulot de son poste de ministre de l’Écologie. 

Sujets d’importance, « choix cruciaux », qui mobilisent la presse et qui demandent à l’évidence réflexions profondes, consultations nombreuses et calculs politiques complexes. Emmanuel Macron et son Premier ministre y ont passé le week-end, nous dit-on.

Et pourtant, une fois que tout ceci aura été fait – peu importe le sens des décisions prises, peu importe les noms qui accéderont au portefeuille ministériel – rien de vraiment fondamental pour l’avenir de la France n’aura été accompli. (Mais ce rien nous aura quand même coûté beaucoup d’argent).

Là est le drame de l’action politique telle qu’elle se joue chez nous depuis trop longtemps. Un nouveau Président arrive sur la scène nationale avec l’ambition de tout changer après l’enlisement crépusculaire de son prédécesseur. Chirac après Mitterrand, Sarkozy après Chirac, Macron après Hollande, tous ont prétendu réveiller la France, tous ont tenté au début de faire adopter quelques réformes indispensables pour la remettre au diapason avec les principaux pays comparables.

Et finalement, pour différentes raisons, tous ont capitulé en rase campagne dans l’année qui a suivi leur élection pour ne plus s’occuper ensuite que de sujets périphériques ou frivoles quand ce n’était pas de sujets carrément nocifs pour le développement du pays :

Chirac s’est cassé les dents sur les retraites du secteur public et a fini ses mandats en s’occupant d’arts premiers et en inscrivant le principe de précaution dans la Constitution. Sarkozy s’est pris la crise de 2008 dans la figure, ce n’était certes pas vraiment de sa faute, mais le tournant politiquement correct de la solution keynésienne, dont les effets délétères de long terme se font encore sentir sur nos comptes publics, n’a pas été long à prendre. Sa fin de mandat a surtout consisté à courir après le FN en vue de sa réélection.

Quant à Macron, il a annoncé le printemps. Après le très pluvieux quinquennat Hollande, c’était bien le moins, encore qu’on ait davantage eu droit à des incantations appelant à l’avènement d’un monde nouveau qu’à un programme précis de mesures à prendre pour dégraisser le mammouth étatique et aider la France à rebondir. Eh bien, le printemps macronien est très silencieux et c’est à peine si l’on voit une hirondelle passer à l’horizon.

Ce que l’on a vu passer, en revanche, c’est l’affaire Benalla. Pas une affaire d’État selon moi, mais une affaire tellement représentative de l’outrecuidance des puissants ! Aucune loi de moralisation de la vie publique, même signée en grande pompe à la télévision comme ce fut le cas, ne pourra faire oublier que les « affaires » s’enchaînent dans le nouveau monde comme dans l’ancien. Après Ferrand, après Saal, après Kohler, après Nyssen, j’en oublie sans doute, l’image de Macron ne pouvait qu’en sortir très écornée.

En réalité, on a bien vu une petite hirondelle : la fin du recrutement des cheminots au statut dans le cadre de la réforme, par ailleurs trop timide, de la SNCF. Mais si dans un premier temps, l’exécutif est sorti victorieux de son bras de fer avec les syndicats d’extrême-gauche sur ce point hautement symbolique malgré une longue grève de trois mois, je pense que l’affaire Benalla est aussi tombée à point nommé pour offrir rapidement une formidable revanche aux pans les plus archaïques de l’opposition à Macron : mettre un coup d’arrêt à toutes velléités gouvernementales de toucher à d’autres statuts de la fonction publique.

On peut le dire, c’est réussi. L’été a passé, mais le gouvernement semble toujours sous le choc. D’autant mieux réussi que nous entrons prochainement en période électorale. Tout comme nous autres automobilistes avons tendance à lever le pied lorsque nous entrons dans une zone de contrôles radar, l’exécutif déjà fort peu disruptif avant l’été aborde les mois à venir avec des prudences de chat échaudé qui craint l’eau froide.

Les élections européennes se tiendront en effet le 26 mai 2019. Elles suscitent rarement un grand enthousiasme, l’abstention y est élevée (57 % en 2014), mais elles ont déjà été préemptées par les partis politiques, notamment la France insoumise, comme un « référendum anti-Macron » qui va permettre à chacun de compter ses troupes à la faveur du scrutin proportionnel. Qui aura le titre de premier parti de France, où en sera le parti présidentiel, qui sera le premier opposant ? Voilà ce qui intéresse dorénavant toute notre classe politique, gouvernement compris.

On mesure aujourd’hui qu’Emmanuel Macron disposait de plus d’une année pour lancer des réformes importantes pour la France sans avoir à se préoccuper outre mesure des contraintes politico-électorales. Et l’on constate dans le même temps qu’il a gaspillé toutes ses cartouches en discours, en com’ et en réformettes qui n’ont pas fondamentalement changé les choses :

· Nous avons toujours un État parmi les plus dépensiers du monde (57 % du PIB), très endetté (pas loin de 100 % du PIB) et toujours plus avide d’impôts et de cotisations sociales (45 % du PIB) pour boucler un budget 2019 acrobatique dont la réduction radicale du déficit s’éloigne avec la fin de la petite période d’embellie sur la croissance que la France a connue fin 2017.

· Nous avons toujours un chômage durablement accroché à 3,7 millions de chômeurs en catégorie A et à plus de 5,9 millions pour les catégories A, B et C (chiffres à fin juin 2018 en France entière).

· Nous avons toujours un système de santé et un système éducatif hyper étatiques et coûteux qui ne remplissent plus leurs missions et qui ne prennent pas franchement le chemin de les remplir en desserrant le carcan au lieu de le consolider.

Le prélèvement à la source, dont les inquiétants cafouillages politiques, techniques et philosophiques sont très bien expliqués ici, est particulièrement emblématique de l’activisme de façade qui occupe ce gouvernement depuis le début.

Alors qu’il y a tout lieu de simplifier la démente fiscalité française et ses mille et une niches, alors qu’il y va du dynamisme de notre économie de réduire son poids confiscatoire parallèlement à des coupes effectives dans les dépenses, la mesure envisagée, présentée par

comme le nec plus ultra du modernisme fiscal, n’est jamais qu’un changement de calendrier de prélèvement, en aucun cas une vraie simplification de l’impôt et certainement pas l’amorce d’une baisse.

En fait, le dossier en lui-même est déjà un poste de coûts supplémentaires : si Macron décide d’arrêter les frais, l’État aura quand même dépensé 300 millions d’euros pour préparer sa mise en place, dont 10 millions en communication. S’il décide de poursuivre, la gestion des bugs qui se profilent promet une jolie facture supplémentaire. Comme pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l’incurie prolongée de l’État nous plonge de force dans un fiasco insoluble. Payer ou payer, voilà l’alternative.

Quant au remplaçant de Nicolas Hulot, nul doute qu’Emmanuel Macron aura consacré beaucoup de temps et d’énergie pour trouver l’oiseau rare qui lui permettra de redevenir crédible auprès des écologistes (et de Juliette Binoche) tout en restant « en même temps » un petit peu crédible quand même auprès des chasseurs et des agriculteurs. Apprendre qu’il ait pu songer à Daniel Cohn-Bendit, choix évidemment totalement médiatique, n’est pas pour donner l’impression qu’Emmanuel Macron saura prendre de la hauteur scientifique sur les sujets concernés, notamment le nucléaire.

En cette rentrée 2018, Emmanuel Macron est donc extrêmement occupé à des petits riens coûteux et inutiles au regard de tout ce qu’il faudrait mettre en oeuvre pour voir la France regagner du terrain en compétitivité, prospérité et liberté.

Avec les élections européennes qui se profilent maintenant après le gros coup de semonce de l’affaire Benalla, il est à craindre que le quinquennat Macron entre dorénavant dans l’enlisement caractéristique de ceux qui n’ont pas ou pas assez réformé avant et qui se trouvent privés par leur propre faute de pouvoir de le faire ensuite.

Dans ce contexte, la sortie du Président sur les « Gaulois réfractaires au changement », remarque plutôt mal reçue par les intéressés, serait moins à lire comme une critique que comme une excuse (plausible à bien des égards) pour justifier l’immobilisme réel de ce gouvernement en apparence toujours sur la brèche.

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