Comédien de métier et président inattendu du Guatemala élu en 2015, Jimmy Morales avait promis de combattre la corruption, mais il affronte aujourd’hui la colère populaire en refusant une enquête d’une mission de l’ONU sur le financement présumé illégal de sa campagne électorale.
Depuis lundi, des milliers de manifestants envahissent les rues et bloquent des routes dans le pays. Leurs revendications: que le président accepte le renouvellement du mandat de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) ainsi que le retour de son chef, l’ancien juge colombien Ivan Velasquez.
La CICIG, rejointe récemment par la justice guatémaltèque, a demandé la levée de l’immunité du président dans le cadre de l’enquête pour financement présumé illégal de sa campagne électorale.
Non content d’annoncer le non-renouvellement du mandat de la mission onusienne au-delà de septembre 2019, le président Morales a en effet déclaré la semaine dernière persona non grata M. Velasquez. Celui-ci continuera cependant à diriger la CICIG depuis l’extérieur, a averti le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.
Indigènes sur les routes
Les militants indigènes ont entrepris de bloquer des routes, notamment dans l’ouest du Guatemala où se concentrent les communautés mayas. Quant aux étudiants, syndicalistes et défenseurs des droits de l’homme, ils battent le pavé de la capitale et des villes du pays.
À l’étranger, le groupe des 13 plus importants donateurs d’aide au Guatemala (G13) donne aussi de la voix. L’attitude de Jimmy Morales constitue « un recul en ce qui concerne le renforcement des institutions dans la lutte contre la corruption et l’impunité » au Guatemala, a tancé le G13 (Allemagne, Canada, Espagne, France, Italie, Suède, Suisse, Royaume-Uni, Norvège et Pays-Bas, notamment).
La fin du mandat de la CICIG et l’interdiction du territoire à son chef « envoient un mauvais message en ce qui concerne la volonté du gouvernement de lutter contre la corruption », constate l’analyste politique Philip Chicola.
« On a le sentiment qu’il y a un conflit d’intérêt » étant donné que le président « est visé par une enquête » de la mission onusienne, a-t-il dit à l’AFP. M. Morales est soupçonné d’avoir dissimulé quelque deux millions de dollars de financement pour le parti FCN-Nacion (droite) qui l’a hissé au pouvoir.
Au Guatemala, « le problème de la corruption n’est pas résolu. En conséquence, quelle légitimité a l’État pour assumer seul cette tâche? », s’interroge l’analyste politique Javier Brolo.
La CICIG a démontré sa compétence dans la lutte contre la corruption depuis le début de son mandat en 2007, jugent les deux analystes consultés par l’AFP. « C’est un mécanisme qui a été très efficace pour démanteler des structures qui s’étaient emparées de l’État et qui captaient les bénéfices de la corruption », selon Philip Chicola.
De l’amour à la haine
Avant d’être soumis à une enquête, le président Morales ne tarissait pas d’éloges pour le travail de la mission onusienne, dont il avait promis durant sa campagne électorale de prolonger son mandat jusqu’en 2021.
La CICIG a ainsi joué un rôle-clé dans une enquête sur les Douanes. Celle-ci a provoqué à la démission en 2015 du président Otto Perez, ouvrant la voie à l’élection de Jimmy Morales.
L’affaire fait partie d’autres révélées par la Justice et la CICIG qui ont indigné les électeurs, et les ont convaincus de voter pour Morales, considéré comme un homme neuf en politique.
Le chef d’État de 49 ans s’est d’abord fait connaître des Guatémaltèques par une émission de télévision, « Morales », où il a fait rire pendant 15 ans les téléspectateurs avec des saynètes. Il y jouait le rôle d’un paysan candide.
Aujourd’hui, dans son face à face avec ses opposants chaque jour plus nombreux et la communauté internationale, le président s’appuie sur des groupes proches de l’armée et sur les partis de droite, qui estiment que la mission onusienne bafoue la souveraineté du Guatemala.