Kosovo : la solidarité avec les Serbes n’est pas un crime !

Arnaud Gouillon, un citoyen français qui a fondé l’ONG Solidarité Kosovo et a permis la scolarisation de centaines d’enfants kosovares, vient d’être interdit de séjour dans le pays. Jean-Christophe Buisson dénonce une décision arbitraire.

Il s’appelle Arnaud Gouillon. Il a 33 ans. Il habite depuis longtemps la Serbie mais il est citoyen français. En 2004, il a fondé une ONG baptisée Solidarité Kosovo qui a pour objet de venir en aide aux quelques milliers de Serbes qui vivent dans des enclaves aux allures de bantoustans au sud de la rivière Ibar : après la guerre du Kosovo et la proclamation unilatérale de son indépendance en février 2008 (reconnue par de nombreux États comme la France mais ni pas la Serbie, la Russie, l’Espagne ou la Chine, par exemple), 120 000 Serbes (chrétiens orthodoxes) sont restés dans cette région qui est au cœur de la mémoire, l’histoire et l’identité serbes. La plupart sont des gens modestes qui n’ont aucune famille en Serbie, aucun moyen (ni envie) de partir.

Avec un budget annuel d’un million d’euros, un fichier de 12 000 donateurs (à plus de 90 % français), Solidarité Kosovo a, sur place, rénové ou bâti 31 écoles, construit des dizaines de fermes, des laiteries et des conserveries, développé un réseau de serres agricoles, aidé à la rénovation des églises et des monastères abîmés par le temps, les guerres ou les exactions des Albanais. Grâce à cette association, plus de 400 tonnes de vivres et de vêtements et de biens nécessaires ont pu être envoyées à ces villages protégés par 4 000 soldats de la KFOR et dont les habitants n’ont accès ni à un travail, ni aux services de santé, ni aux transports locaux en raison de l’hostilité de leurs voisins. Certains monastères sont même entourés de barbelés…

Le dévouement d’Arnaud Gouillon pour ces malheureux qui sont un peu les pieds-noirs serbes a fait de lui un héros national en Serbie. Il a été honoré, décoré, récompensé par les plus hautes institutions et autorités civiles ou religieuses, et ceux qui le reconnaissent dans la rue, le saluent, l’embrassent, l’enlacent. Avec son visage presque encore adolescent, ce jeune père de famille est souvent mis en parallèle avec les Poilus d’Orient qui, en 1916-1918, donnèrent leur vie entre Salonique et Belgrade pour libérer la Serbie de l’occupation bulgare, allemande et autrichienne. En ce moment, en Serbie, justement, à l’initiative d’une ambassade de France particulièrement active, de nombreuses manifestations (colloques, expositions, concerts, etc) sont programmées cet automne, à l’approche de l’anniversaire de la libération de Belgrade (1er novembre) par les armées dirigées par le général Franchet d’Esperey et de l’armistice (11 novembre). Autant d’occasions de célébrer cette amitié franco-serbe cimentée dans les combats et que célèbre le monument Reconnaissance à la France tout juste restauré et réinstallé dans le parc du Kalemegdan (en attendant son inauguration officielle, peut-être en présence du président de la République Emmanuel Macron). Rappelons-le: sur la base de la sculpture monumentale d’Ivan Mestrovic figure cette inscription sans équivoque: «Aimons la France comme elle nous a aimés».

Oui mais voilà: Arnaud Gouillon est aussi un criminel. En tout cas aux yeux de l’Etat du Kosovo qui l’a arrêté et emprisonné brièvement la semaine dernière au poste-frontière de Merdare, alors qu’il était attendu de l’autre côté de la frontière pour inaugurer, en présence de Monseigneur Théodose, évêque de Kosovo-Métochie, une ferme d’élevage de volailles. Son interrogatoire s’est déroulé sans violence physique mais a duré trois heures. On lui a notamment demandé quelles étaient ses relations avec la Russie (il n’en a aucune, bien entendu). On a prétendu qu’il avait «sali» le peuple du Kosovo dans une interview au Figaro Magazine (!) il y a quelques années. On l’a menacé de le «salir» à son tour (sa famille, sa réputation, son honneur). Puis on l’a expulsé en lui signifiant qu’il était interdit de séjour au Kosovo sine die. Motif officiel: aucun. Ou plutôt si: il figure sur le registre de ceux qui doivent être interdits de séjour au Kosovo. Pour une raison précise, on repassera. On se croirait dans une pièce absurde du dramaturge bulgare Stanislas Stratiev ou d’Eugène Ionesco.

Arnaud Gouillon, on l’a dit, est un citoyen français. À ce titre, il s’est toujours gardé de parler de politique régionale. Son seul souci: aider et réconforter des civils qui ne demandent qu’à vivre, survivre, sur la terre de leurs ancêtres. Apporter à une grand-mère isolée dans une ferme qu’elle ne peut pas quitter le médicament dont elle a besoin ; permettre à une petite fille de porter les lunettes qu’elle n’a pas les moyens d’acheter ; fournir aux centaines de paysans de quoi produire pour nourrir leurs familles ; les réconforter quand leurs tracteurs ou leurs vaches ont été volés par ces extrémistes albanais rêvant d’un Kosovo ethniquement pur.

Le Grenoblois marié à une Serbe est venu tous les mois depuis sept ans dans la région et pas une seule fois, il n’a été bloqué ou arrêté à la frontière. Pas une fois, on lui a demandé d’ouvrir le coffre de sa voiture! Alors, pourquoi cette fois? Pourquoi cette décision arbitraire à l’encontre d’un non-Serbe dont l’organisation n’a jamais été prise en défaut d’un point de vue éthique, financier ou politique? Sans doute paye-t-il des règlements de compte de politique intérieure kosovare. Gangrenée par la corruption, les scandales et des mafias omniprésentes, la république du Kosovo est un champ de bataille permanent entre clans, factions et partis qui, presque tous, pratiquent la surenchère nationaliste auprès d’une opinion publique guère encline à un processus de réconciliation voire d’apaisement de ses relations avec le voisin serbe honni. Donner des gages à l’antiserbisme est une garantie de popularité pour les hommes politiques locaux issus des rangs de l’UCK (Armée de libération du Kosovo: organisation paramilitaire albanaise en pointe du combat contre la Serbie, suspectée de crimes de guerre et néanmoins soutenue par l’Occident après avoir d’abord été considérée comme un groupe terroriste). Le président Hashim Thaçi a-t-il voulu, dans cette affaire, en remontrer à son Premier ministre, Ramush Haradinaj? La poussée de mécontentement provoquée par l’éventualité d’échanges de territoires avec la Serbie pour pacifier définitivement la région l’a-t-elle poussé à ce geste punitif à l’encontre d’un homme et d’une association au service des Serbes du Kosovo?

En Serbie, l’affaire a fait grand bruit. Tous les sites d’information, tous les journaux – des plus sérieux jusqu’aux tabloïds, de Danas à Press en passant par Politika, Blic, Kurir, 24 Sata ou Informer -, toutes les télévisions – de la publique RTS à la trash Pink TV – s’en sont émus avec plus ou moins de virulence. Le Premier ministre Ana Brnabic et le ministre chargé du Kosovo Marko Djuric (lui-même arrêté et expulsé il y a quelques mois lors d‘une visite au Kosovo!) ont manifesté leur soutien à Gouillon. Et la France? L’ambassadeur de France en Serbie, Frédéric Mondoloni, doit le recevoir ce lundi 17 septembre, preuve que l’affaire est prise au sérieux.

Pendant ce temps, au moins 500 enfants serbes scolarisés et 5000 familles qui, grâce à Arnaud Gouillon et Solidarité Kosovo, ont pu étudier, se nourrir, s’habiller et travailler depuis des années, prient saint Sava pour que la décision arbitraire des autorités albanaises soit levée. Imagine-t-on un chirurgien interdit d’accéder au bloc opératoire ?

Lien