La campagne pour les municipales à Erevan exacerbent les tensions entre Pachinian et Tsaroukian

L’alliance, certes conjoncturelle, scellée entre N. Pachinyan et le parti Arménie prospère (BHK) de l’homme d’affaires Gaguik Tsaroukian, dans l’urgence et la fièvre de la Révolution de velours, résistera-t-elle à l’âpre campagne pour les élections municipales de Erevan ?

La question mérite d’être posée alors que les candidats du parti de N. Pachinyan et du BHK, qui est pourtant son principal partenaire au sein de la coalition gouvernementale en place depuis mai, s’opposent avec violence, trahissant la fragilité du pacte autour duquel s’étaient alliées ces deux forces politiques, l’une s’appuyant derrière N. Pachinyan, sur les « suffrages » directs des acteurs de la « Révolution de velours », censés incarner le peuple et régulièrement convoqués à ce titre depuis par leur leader sur la place publique, à Erevan, l’autre, derrière G. Tsaroukian, sur les députés constituant la 2e force d’un Parlement marginalisé et discrédité certes, mais dont le nouveau premier ministre a besoin pour mener à bien une révolution qui entend rester dans un cadre légal et constitutionnel. Le ton de la campagne pour les municipales dans la capitale arménienne, provoquées par la démission en juillet du maire Taron Markarian, lié au Parti républicain d’Arménie (HHK) anciennement au pouvoir, qui ne présente aucun candidat pour ce scrutin qui sera un premier test majeur pour la « nouvelle Arménie » démocratique annoncée par N. Pachinyan, s’est durci un peu plus encore quand une porte-parole du BHK, Iveta Tonoyan, a accusé lundi 17 septembre les partisans de N. Pachinian de mener une campagne de diffamation, singulièrement sur les réseaux sociaux, contre la candidate de son parti au poste de maire de la capitale, Naira Zohrabian. Elle a affirmé que des représentants du gouvernement, aidés d’utilisateurs factices des réseaux sociaux auraient engagé une campagne d’ « information terroriste”, en multipliant les insultes et même les menaces. “Et tout cela se passe … sur les pages personnelles [des réseaux sociaux] de représentants de différents ministères”, a affirmé I. Tonoyan devant les journalistes, en ajoutant qu’ils y “déversent leur haine et leur fanatisme aux dépends de Naïra Zohrabian”.

Nous avons déjà réuni de nombreux éléments de preuves et allons aussi les présenter aux instances européennes”, a ajouté la responsable du BHK. N. Zohrabian elle-même, ne s’était pas privée de porter des attaques similaires en prenant à partie le candidat du parti Contrat civil de N. Pachinyan pour la mairie de Erevan, Hayk Marutian, lors d’un meeting de sa campagne électorale la veille. Elle avait élargi ses critiques à N. Pachinian lui-même et à sa politique. “Pensez-vous vraiment qu’en hurlant et en faisant des apparitions hystériques dans les rues vous pourrez longtemps encore garder la confiance du peuple ?”, s’était emportée N. Zohrabian, dans une allusion évidente aux actions menées par le pouvoir en place pour monopoliser la rue. “Assez c’est assez. Nous ne nous serions pas exprimés ainsi si vous n’aviez outrepassé toutes les limites de la moralité, de la décense et de la civilité”, avait-elle ajouté, exprimant la colère du BHK après les allégations des partisans de N.Pachinian selon lesquelles le parti de Tsaroukian collaborerait secrètement avec l’ancien président Serge Sarkissian et son HHK, tout en maintenant ses ministres au sein de l’actuel gouvernement. Les représentants du BHK avaient riposté à ces attaques en affirmant que plusieurs des candidats du Contrat civil en lice pour des sièges dans le Conseil des anciens ou Conseil municipal de Erevan seraient liés à l’ancien régime. Ils faisaient notamment allusion à Viktor Mnatsakanian, un ancien responsable et filleul de Mikael Minassian, qui disposait il y a encore peu de temps d’une certaine influence en sa qualité de gendre de S.Sarkissian. Lena Nazarian, une députée du Contrat civil, a récusé ces allégations, en faisant valoir que V. Mnatsakanian n’entretenait plus de relations étroites avec M.Minassian depuis longtemps. “Cette personne est très connue à Erevan pour [sa contribution financière à] des programmes humanitaires et de de développement, and a aussi très activement participé à la révolution”, a-t-elle ajouté, dans une allusion au mouvement de protestation mené par N. Pachinyan qui avait contraint S.Sarkissian à démissionner le 23 avril. L. Nazarian a aussi rappelé que le BHK avait lui-même un long passé de coopération avec S.Sarkissian. “Le 17 avril, neuf députés du Bloc Tsarukian avaient donné leurs voix pour élire Serge Sarkissian premier ministre”, a-t-elle poursuivi en précisant que “ce parti a renouvelé plusieurs fois sa participation à un gouvernement de coalition avec le Parti républicain … Et ils nous accusent maintenant de coopérer avec les Républicains !”.

Cet échange d’amabilités traduit l’extrême volatilité d’un paysage politique en quête de repères et d’assises légales, le Parlement ayant été délibérément mis sur la touche par N. Pachinian, dont le parti ne compte que 3 députés, au sein d’une alliance, « Yelk », qui en regroupe 9 depuis les législatives d’avril 2017, jugées frauduleuses par l’actuel pouvoir, qui se revendique donc du seul mandat de la rue, tout aussi volatile. C’est au prix de manœuvres somme toute politiciennes que le leader de la Révolution de velours avait pu se faire introniser premier ministre, mais cet équilibre bancal supporte mal l’exercice d’un pouvoir dont certains redoutent les tentations hégémoniques. G.Tsaroukian et ses alliés n’avaient véritablement rallié les manifestations contre S.Sarkissian que lorsque ce dernier démissionnera, mais cet appui, s’il était tardif, n’en sera pas moins déterminant pour l’accession au pouvoir le 8 mai de N. Pachinian, qui sera ainsi en mesure de former un gouvernement dont la composition traduit la nécessité d’un compromis politique, puisqu’il comporte des représentants du BHK, dont l’appartenance à l’opposition restait jusque là plutôt sujette à caution, mais aussi de la FRA Dachnaktsoutioun, qui avait quant à elle renouvelé son pacte de coalition avec S. Sarkissian avant de rallier, sur le tard encore, le mouvement de N. Pachinian. Comme on pouvait s’y attendre, les relations entre Pachinian et Tsaroukian, représentant d’une oligarchie, fût-elle « dissidente », à laquelle le nouveau premier ministre a déclaré la guerre, n’ont cessé de se détériorer au cours des dernières semaines. Et les poursuites judiciaires engagées contre l’ancien président Robert Kotcharian, dont le BHK de G. Tsaroukian a longtemps été tenu comme le tremplin pour son éventuel retour en politique, n’ont fait qu’exacerber les tensions entre N. Pachinian et ses partenaires de coalition, y compris la FRA D, qui fut longtemps l’alliée de R. Kotcharian. Le rapprochement opéré, au nom de l’opposition à N. Pachinian, entre R. Kotcharian et S. Sarkissian, alimente aussi les rumeurs quant au soutien possible du BHK à ce tandem en voie de reconstitution ; S. Sarkissian avait été le « poulain » de R. Kotcharian avant de s’en éloigner au cours de son double mandat jusqu’à se brouiller avec l’ancien président, qui avait conservé quant à lui des liens d’autant plus étroits avec BHK que ce dernier avait choisi de s’opposer au Parti républicain de S. Sarkissian, qui contraindra finalement G. Tsaroukian à quitter en 2015 la scène politique sur laquelle il reviendra néanmoins deux ans après à la faveur des législatives, en affichant une opposition timide au HHK. S’exprimant lors de meetings de campagne du Contrat civil, N. Pachinian a mis en garde contre des groupes politiques qui fomenteraient une « contrerévolution », et qui ne se limiteraient pas aux seuls partisans du HHK. C’est au nom d’une révolution menacée par ces forces « contrerévolutionnaires » que N. Pachinian a appelé à plus d’une reprise les électeurs de Erevan à soutenir le candidat de son parti aux municipales prévues le 23 septembre. Le candidat du Contrat civil, H. Marutian, un comédien de séries télévisées très populaire âgé de 41 ans, passe pour le favori du scrutin à venir. N.Zohrabian l’a défié en affirmant qu’il avait « peur » de l’affronter dans un débat télévisé public et l’a désigné comme la marionnette de N. Pachinian. “Si vous êtes un homme, je vous invite à un débat. Venez [à ce débat] sans Nikol”, a déclaré la candidate du BHK, apostrophant H.Marutian. “J’ai onze autres challengers égaux en droit en face de moi, et je suis prêt à débattre avec eux”, a répondu H. Marutian lundi 17 septembre en relevant le défi, mais en précisant que “ce débat doit réunir tous les candidats [au poste de maire] dans des conditions égales pour tous”. Tout en acceptant le principe d’un débat donc, inédit ou presque dans les annales électorales arméniennes, le candidat soutenu par N. Pachinian et favori du scrutin a clairement signifié qu’il ne se prêterait pas à un débat l’opposant à la seule N .Zohrabian, qui passe pour sa principale adversaire. “Aucun candidat ne devrait jouir d’un traitement privilégié”, a-t-il ajouté, avec un brin de condescendance, en précisant qu’il ne se laisserait pas entraîner dans les « jeux politiques » du BHK.

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