Les sanctions promises à la Pologne et à la Hongrie ont refroidi l’ambiance au sommet de Salzbourg.
Le sommet de Salzbourg s’annonce comme une nouvelle occasion manquée pour l’Union européenne. Certes, la rencontre, qui a débuté mercredi soir par le traditionnel dîner des chefs d’État et de gouvernement, est informelle. Elle n’a pas vocation à déboucher sur une déclaration commune. Mais elle pourrait, dans l’absolu, être l’occasion de repartir du bon pied, après un été de crises successives durant lequel l’unité des vingt-huit a encore été durement mise à l’épreuve avec les épisodes de l’Aquarius et du Diciotti.
Ce ne sera pas le cas. Ces derniers jours, diplomates, membres du Conseil et représentants de la Commission se sont employés à préparer les esprits, affirmant qu’il n’y aurait pas de «percées». Il est vrai que les deux principaux sujets au menu de ce sommet sont les plus épineux auxquels l’Union doit faire face: le Brexit et les migrations.
Sur le retrait du Royaume-Uni, le chaud et le froid alternent. Les discussions butent toujours sur la question de l’Irlande et sur l’organisation de la relation future. À son arrivée au sommet européen, Theresa May a donné le ton. «Si nous voulons parvenir à une issue positive, de la même façon que le Royaume-Uni a modifié sa position, l’Union européenne devra faire évoluer elle aussi sa position». L’objectif est d’aboutir à un accord pour le sommet d’octobre qui sera finalisé lors d’un autre sommet, mi-novembre. Le temps presse et la perspective d’un no-deal, dont ni les États membres ni le Royaume-Uni ne sortiraient gagnants, est dans toutes les têtes. «Il y a une incompatibilité. On ne peut avoir en même temps l’intégrité du marché unique, l’intégralité de l’Irlande et l’intégrité du Royaume-Uni», résume-t-on à l’Élysée. Bien sûr, il y a des différences d’approche. Mais, à ce stade, les vingt-sept se serrent plutôt les coudes.
Ce n’est pas le cas sur la question des migrations et des réponses à y apporter qui était hier soir au menu du dîner des vingt-huit. Le dossier est pour ainsi dire au point mort depuis l’interminable Conseil européen de juin. Les plateformes régionales de débarquement à l’extérieur de l’UE inscrites dans les conclusions? Aucun des pays sollicités – Tunisie, Maroc, Égypte… – n’a donné suite. Et les États membres ne sont pas en phase sur le sujet. Partant du vœu pieux qu’il est possible d’arrêter les débarquements en Europe, «la Hongrie, l’Autriche et le Danemark souhaitent externaliser le sujet», affirme un diplomate. La France et l’Allemagne estiment au contraire qu’il faut aider les pays tiers, mais qu’il est illusoire de penser que les flux de migrants en Europe pourraient être nuls. «On peut toujours dire que les gens n’arrivent pas mais ils arrivent», s’agace-t-on à l’Élysée en visant le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini. «Après le déni de solidarité, nous avons maintenant un déni de réalité!», ironise-t-on encore.
Qu’en est-il de l’élargissement du mandat de Frontex évoqué en juin et remis en selle à Strasbourg par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker? Certains pays – l’Italie et la Hongrie en tête mais aussi la Grèce et l’Espagne – estiment que c’est aux États de protéger eux-mêmes leurs frontières. Question de souveraineté! Question d’intérêt bien compris aussi! «Plus de Frontex, c’est plus d’enregistrements», a résumé mercredi le chancelier autrichien Sebastian Kurz, pointant ainsi les pays du sud de l’Europe qu’il soupçonne de laisser filer les migrants non enregistrés vers l’Europe centrale. La réforme du droit d’asile? Elle est dans l’impasse. En réalité, seul le développement des relations avec l’Afrique semble faire consensus.
D’où cette mise en garde de Donald Tusk dans la lettre envoyée mardi aux dirigeants de l’UE. «Si certains veulent résoudre la crise tandis que d’autres veulent l’utiliser, cela restera insoluble», a écrit mardi aux dirigeants de l’UE le président du Conseil, Donald Tusk, appelant chacun à «revenir à une approche constructive» et à «mettre fin aux ressentiments mutuels». Hier après-midi, il mettait encore en garde: «Ce soir, j’appellerai les dirigeants européens à cesser le jeu des reproches.»
Le déclenchement de la procédure de l’article 7 contre la Pologne puis contre la Hongrie a toutefois mis un peu plus d’huile sur le feu. Car, à côté des questions migratoires, le respect de l’État de droit est en passe de créer une nouvelle ligne de fracture au sein de l’UE. Grosso modo, trois camps se dessinent. Les pays de l’Est qui font corps avec la Hongrie et la Pologne brandissant l’argument de la souveraineté ; ceux qui, gênés par cette affaire, se montrent très ambiguës – Malte et les Pays baltes — et les pays – France et Allemagne en tête —, pour lesquels il est inconcevable de transiger sur les valeurs qui ont fondé l’Europe. Mardi, à Bruxelles, lors du Conseil des Affaires générales, seuls 12 ministres ont pris la parole pour questionner le représentant polonais sur cette réforme de la justice qui vaut à son pays le déclenchement de l’article 7. À Salzbourg, mercredi matin, beaucoup s’interrogeaient sur l’attitude de Viktor Orban lors du sommet du PPE et lors du dîner des chefs d’État et de gouvernement. Angela Merkel, qui était annoncée au PPE, a finalement choisi de retarder son départ pour Salzbourg. Et rien ne filtrait hier soir du diner des vingt-huit organisé dans le grandiose manège des Rochers.
Si l’Europe patine, c’est aussi en raison de l’apparition de nouveaux comportements qui n’en finissent pas de surprendre et de crisper certains diplomates. «Il y a un problème à travailler avec des gens qui ne respectent pas les règles du jeu», lâche l’un d’eux en évoquant la volte-face de la Hongrie sur les centres contrôlés au lendemain du sommet de juin. Et en songeant sans doute à cette réunion informelle de ministres de l’Intérieur filmée la semaine dernière par des collaborateurs de Matteo Salvini. «Les matchs de politique intérieure ont dynamité les règles du jeu au sein de l’Union. Avant, la méthode de travail communautaire était basée sur le fait que, même s’il y avait des divergences d’intérêt, la volonté supérieure de trouver un compromis passait avant. Maintenant, beaucoup d’États membres n’ont plus envie faire de compromis», soupire un porte-parole bruxellois, en pointant la Hongrie, la Pologne et l’Italie. Un changement de méthode qui ne fait, là encore, que ralentir le Vieux Continent au moment où il faudrait accélérer.