Le gouvernement du Canada n’a pas l’intention de rapatrier ses ressortissants partis combattre en Syrie qui sont aujourd’hui détenus en territoire kurde. Cela ne fait pas partie de ses plans, malgré la demande formulée en ce sens par les autorités locales.
Une source fédérale bien informée indique au Devoir que le gouvernement canadien n’en est pas là, à court ou à moyen terme. Dans une déclaration transmise par courriel, le ministère des Affaires mondiales ajoute que « toute information faisant état d’une entente en vue du rapatriement de citoyens canadiens de Syrie est sans fondement ».
Au nom de la protection des renseignements personnels, le Canada ne veut pas confirmer le nombre de Canadiens emprisonnés en Syrie, mais une série de reportages diffusés au cours des derniers jours par le réseau Global en dénombre treize : trois combattants, trois épouses (dont une Montréalaise mariée à un combattant allemand et une Torontoise mariée à un combattant libanais) et sept enfants (dont cinq issus de ces mariages binationaux).
Les reportages du réseau Global révèlent que les Forces démocratiques syriennes — une coalition militaire dominée par les Kurdes jouissant du soutien international, notamment américain — ont des centres de détention à la frontière de la Turquie où l’on retrouve quelque 900 étrangers ayant combattu pour le groupe État islamique (EI), 500 épouses et plus de 1000 enfants.
Dans une entrevue avec Global, un haut responsable des autorités du nord de la Syrie, Abdulkarim Omar, a indiqué avoir demandé aux pays étrangers de rapatrier leurs ressortissants. « Il s’agit d’un gros fardeau sur nos épaules, d’un grand nombre de combattants du groupe EI, et ils représentent une menace sérieuse. On ne peut pas les garder ici, a déclaré M. Omar. Nous avons fait d’importants sacrifices pour capturer ces dangereux criminels notoires. Quelque 900 combattants du groupe EI. Chaque pays devrait assumer ses responsabilités et nous aider à régler cette question. Ils doivent ramener leurs citoyens dans leur pays pour les juger dans leur pays. »
Le Canada ne répondra pas présent à court ou à moyen terme. Des contacts téléphoniques ont eu lieu avec certains prisonniers canadiens au printemps afin d’obtenir des informations sur eux et leurs conditions, reconnaît Affaires mondiales, mais sans plus. Le Canada n’a pas l’obligation d’aller chercher des gens qui sont accusés de crime à l’étranger, fait-on valoir en coulisses. Il peut fournir des services consulaires, vérifier leurs conditions de détention, parler avec leur famille, mais il n’a pas l’obligation d’essayer de trouver une façon sécuritaire de les sortir de la Syrie.
On invoque notamment les difficultés logistiques liées à d’éventuels rapatriements, en particulier le fait qu’il n’y a pas moyen d’aller directement de la Syrie au Canada. Le moyen le plus facile est donc de se rendre par voie terrestre en Turquie ou en Irak. Mais, comme ces deux pays veulent juger les combattants, il n’y a aucune garantie que les Canadiens seraient autorisés à partir. En outre, on souligne qu’en Irak, les combattants islamistes sont souvent condamnés à mort.
La Montréalaise emprisonnée tentait d’ailleurs de se rendre en Turquie pour retourner au Canada lorsqu’elle a été interceptée par les forces kurdes. La jeune femme de 23 ans a fréquenté le collège Ahuntsic et a choisi de se rendre en Syrie après avoir adopté le niqab et s’être sentie rejetée par ses concitoyens. Elle s’est mariée là-bas et a eu deux enfants. En entrevue à Global, elle a demandé au Canada de lui donner « une seconde chance ».
La deuxième femme interrogée par Global est une Torontoise d’origine somalienne âgée de 26 ans. Elle dit avoir trouvé son mari libanais sur Internet et que c’est en allant le rejoindre qu’elle a été dupée et envoyée en Syrie. Elle y a eu ses trois enfants. Elle a fondu en larmes en entrevue. « Ce n’est pas juste. Nous venons d’un des meilleurs pays au monde et nous souffrons. Pourquoi ? » Les deux femmes — qui ne sont pas nommées — disent n’avoir commis aucun crime là-bas.
Amarnath Amarasingam est un chercheur affilié au Canadian Network for Research on Terrorism, Security and Society. Il a voyagé avec le réseau Global pour effectuer l’enquête. Il s’explique mal comment le Canada peut dire aujourd’hui ne pas avoir l’intention de rapatrier ses ressortissants alors que ses actions du printemps laissaient croire le contraire.
« Ces femmes nous ont dit avoir parlé à quelqu’un du consulat canadien, qui leur a demandé des détails afin de préparer des passeports et des documents de voyage », écrit-il au Devoir par courriel. « C’était en mai et les femmes n’ont pas eu de nouvelles depuis. Les responsables kurdes ont ajouté qu’ils négociaient avec les Canadiens et qu’eux non plus n’ont plus eu de nouvelles depuis environ le mois de mai. Je ne sais pas trop quoi penser du démenti canadien, mais c’est difficile de croire que deux femmes dans un camp kurde peuvent avoir imaginé chacune de leur côté des appels téléphoniques avec les autorités canadiennes. »
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Le rapatriement de combattants terroristes pose un problème politique réel pour le gouvernement canadien. En mai, justement, le gouvernement de Justin Trudeau s’est trouvé dans l’eau chaude quand le New York Times a diffusé un reportage dans lequel le Canadien Abu Huzaifa al-Kanadi se vantait d’avoir tué de sang-froid une personne en Syrie. Cet homme se trouvait à Toronto, mais il ne faisait face à aucune accusation. Quitter le Canada pour aller commettre des actes terroristes est illégal, mais encore faut-il pouvoir rassembler des preuves pour déposer des accusations.
« Lorsque nous avons de la difficulté à convertir des renseignements en preuve utilisable en cour, un large éventail d’outils antiterroristes est utilisé », explique par courriel Scott Bardsley, le porte-parole du ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale. Il cite la surveillance, l’imposition d’engagements à ne pas troubler l’ordre public, l’inscription à la liste d’interdiction de vol ou encore la révocation du passeport. M. Goodale a soutenu que deux combattants du groupe EI de retour au Canada avaient été accusés formellement au cours des trois dernières années.
La prison kurde de la Syrie pourrait-elle devenir une nouvelle Guantánamo remplie d’étrangers dont leurs pays ne veulent pas ? Selon M. Amarasingam, il est clair qu’une solution doit être trouvée. « Je ne pense pas que les Kurdes garderont ces prisonniers pour toujours. […] Ce n’est pas une solution durable que de les laisser là-bas. Je compatis en particulier pour les sept enfants, qui ont tous moins de cinq ans et qui n’ont rien à voir avec les mauvaises décisions de leurs parents. »