Le 14 août 2013, près de mille partisans du président islamiste Mohamed Morsi étaient tués au Caire. Amnesty International dénonce le rôle de la France, premier fournisseur d’armes du pays.
Le 14 août 2013, près de mille manifestants étaient tués lors de la dispersion de sit-in des partisans du président islamiste, Mohamed Morsi, au Caire. Les forces de sécurité égyptiennes ont utilisé des véhicules blindés fournis par la France pour se déployer, et parfois s’abriter pour tirer à balles réelles sur la foule, révèlent des vidéos analysées par Amnesty International. L’utilisation d’équipements militaires français lors du massacre de la place Rabia-Al-Adawiya n’est pas un cas isolé, déplore l’organisation de défense des droits de l’homme.
Dans son nouveau rapport, intitulé « Egypte, des armes françaises au cœur de la répression », publié mardi 16 octobre, l’ONG atteste que des véhicules tactiques Sherpa et des blindés MIDS de la société Renault Trucks Defense (rebaptisée depuis « Arquus »), filiale du suédois Volvo, ont été utilisés pour réprimer violemment des manifestations en Egypte entre 2012 et 2015.
Utilisation abusive
Depuis 2013, la France est devenue le premier pays exportateur d’armes vers l’Egypte, devant les Etats-Unis. Plus de 4 milliards d’euros d’armes françaises ont été livrées à l’armée égyptienne entre 2012 et 2017, selon Amnesty International. Sollicitées par l’organisation, les autorités françaises ont déclaré n’avoir autorisé l’exportation de matériel militaire que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le Sinaï. « Un haut responsable français a concédé que, si les équipements de sécurité fournis par la France étaient initialement destinés à l’armée égyptienne, les autorités égyptiennes avaient détourné certains blindés au profit des forces de sécurité intérieure », lit-on dans le rapport.
En dépit de cette utilisation abusive, « les autorités françaises ont continué de livrer des véhicules blindés jusqu’en 2014 au moins et d’autoriser des licences d’exportation de blindés, de pièces et de composants connexes jusqu’en 2017 ».
Le rapport, qui s’appuie sur une vingtaine d’heures de vidéos disponibles dans le domaine public, des centaines de photos et autres « supports visuels »communiqués par des groupes égyptiens de défense des droits de l’homme et des médias, établit que plus de 200 véhicules blindés ont été livrés aux forces de sécurité égyptiennes.
En juillet, quatre ONG – la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, l’Institut du Caire pour les droits de l’homme, la Ligue des droits de l’homme et l’Observatoire des armements – accusaient déjà « l’Etat français et plusieurs entreprises françaises » de contribuer à la répression, par la vente, notamment, de « technologies de surveillance individuelle, d’interception de masse, de collecte des données individuelles, de contrôle des foules ».
Rendre des comptes
La ministre des armées, Florence Parly, assure régulièrement que la France pratique une « politique d’exportation responsable », dans le respect de ses engagements internationaux et en vertu d’un dispositif de contrôle « très rigoureux ».
Mais, selon Amnesty, en poursuivant ses livraisons, la France bafoue la position commune de l’Union européenne, datant de 2008, sur les exportations de technologie et d’équipements militaires et la décision de 2013 des ministres des affaires étrangères européens de suspendre les licences d’exportation, vers l’Egypte, d’équipements sécuritaires et d’armes.
La France a par ailleurs ratifié, en avril 2014, le traité sur le commerce des armes stipulant que tout pays exportateur doit évaluer si la vente de ses armes pourrait servir à « commettre une violation grave du droit international des droits de l’homme ».
Amnesty International presse les autorités françaises de « cesser tout transfert » vers l’Egypte de « matériels susceptibles de servir » aux forces de sécurité intérieures. « Aucun transfert ne doit être autorisé tant que l’Egypte n’a pas mené d’enquêtes efficaces et indépendantes sur les violations graves commises par les forces de sécurité ni amené celles-ci à rendre des comptes »,est-il précisé dans le rapport.
L’organisation de défense des droits de l’homme déplore un manque de transparence sur les exportations d’armes par la France, dont les autorisations sont du domaine de l’exécutif. « Il n’existe aucune information publique, donc nous ne savons pas si les exportations ont cessé », déplore Aymeric Elluin,chargé de plaidoyer à Amnesty International France. L’organisation met l’accent sur la nécessité d’un contrôle parlementaire sur ces ventes, ainsi que d’une plus grande responsabilité des sociétés d’armement françaises dans leurs livraisons.