Deux jours après la fronde des « Insoumis » lors des perquisitions, le temps des questions : Jean-Luc Mélenchon était interrogé jeudi par la police dans les enquêtes sur ses comptes de campagne présidentielle et sur les assistants d’eurodéputés de son parti, assurant qu’il répondrait « dans le détail ».
Arrivé vers 10 h 30 pour une audition libre dans les locaux de la police anticorruption (Oclciff) à Nanterre, Jean-Luc Mélenchon a de nouveau dénoncé devant les journalistes « une opération de police politique » et « une escalade judiciaire ».
Quarante-huit heures après son coup de sang devenu viral, il a toutefois annoncé qu’il se plierait au jeu des questions-réponses, se disant « tout à fait tranquille, car le ridicule va être du côté de ceux qui ont déployé tous ces moyens pour rien ». « Moi, j’ai décidé, un, que je venais, et deux, que je répondrais aux questions qu’on me pose, ce qui montre que, contrairement à ce qui a été dit hier, nous ne faisons pas d’obstruction », a-t-il déclaré à la presse. « Je suis un homme bavard donc je vais raconter dans le détail tout ce qui intéresse la police et la justice », a-t-il ironisé.
« La manœuvre est ratée »
À la sortie de son audition, le leader de La France insoumise a interpellé Emmanuel Macron : « La manœuvre est ratée. » « Tout cela ne repose que sur les accusations de deux personnes », a-t-il ajouté. Après avoir été entendu pendant plus de cinq heures par la police, Jean-Luc Mélenchon a dénoncé « une politique publique ». Et continue à ne rien avoir à se reprocher. « Monsieur Macron, il est temps de rembobiner votre film, tout ça est raté. La manœuvre est complètement ratée », a déclaré devant des journalistes le leader de La France insoumise, en quittant les locaux de la police anticorruption (Oclciff) à Nanterre où il était entendu en audition libre.
« Je ne fais pas d’obstruction aux démarches judiciaires », a-t-il répété, demandant « qu’il y ait une désescalade judiciaire ». Estimant avoir été interrogé « cinq heures pour enfoncer des portes ouvertes », il a affirmé avoir déjà répondu par écrit à l’administration du Parlement européen aux questions sur les emplois présumés fictifs d’assistants d’eurodéputés, au cœur d’une enquête préliminaire du parquet de Paris. Sur une autre enquête préliminaire qui le vise, cette fois sur ses comptes de campagne de la présidentielle 2017, M. Mélenchon a aussi estimé qu’il n’avait rien à dire de plus. « Qu’est-ce que vous voulez que je dise de plus que ce que j’ai déjà déposé comme comptes qui ont été validés ? », a-t-il dit. « Je ne sais pas ce que je fais là-dedans. »
Au cœur d’une tempête médiatique
Visé par deux enquêtes préliminaires sur des emplois présumés fictifs d’assistants au Parlement européen et sur ses comptes de campagne de la présidentielle 2017, Jean-Luc Mélenchon est au cœur d’une tempête politique après s’être opposé avec virulence aux perquisitions menées mardi chez lui et au siège parisien de LFI dans le cadre de ces procédures.
Sur des vidéos de l’opération, Jean-Luc Mélenchon appelle ses proches à « enfoncer la porte » pour entrer au siège parisien du mouvement où une perquisition est en cours. On le voit également bousculer un représentant du parquet ainsi qu’un policier qui s’interpose. Mercredi, Édouard Philippe s’est dit « choqué » par « la très grande violence » manifestée selon lui contre les policiers. « Je ne crois pas que nous gagnions quoi que ce soit à remettre en cause l’indépendance de la justice », a insisté le Premier ministre. « Oui il y a eu violence, quatre plaintes sont déposées par mes amis, car il y a eu une bousculade dans laquelle ils ont été précipités à terre », a assuré jeudi Jean-Luc Mélenchon.
L’enquête ouverte mercredi pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire » et « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique », lors des perquisitions au siège de la France insoumise et chez son leader Jean-Luc Mélenchon a été confiée au parquet de Bobigny, a annoncé jeudi le parquet général de Paris. Des magistrats du parquet de Paris ayant été pris à partie lors de ces perquisitions mardi, le procureur de Paris François Molins avait demandé au procureur général d’être dessaisi de cette procédure au profit du procureur du tribunal de grande instance le plus proche, « dans un souci d’impartialité », avait indiqué le parquet mardi. « Par décision de ce jour, la procureure générale près la cour d’appel de Paris, en application de l’article 43 du code de procédure pénale, a désigné le parquet de Bobigny pour connaître de cette affaire », a indiqué le parquet général dans un message transmis à la presse.
Coutumier des coups de sang, Jean-Luc Mélenchon vampirise le débat politique depuis les perquisitions houleuses mardi au siège de son mouvement et à son domicile, une séquence qu’il a contribué à lancer en la filmant et en la diffusant en direct sur Facebook. Les images le montrant forcer la porte du siège de LFI derrière une mêlée digne du XV de France de rugby, en vociférant sur les policiers, tournent depuis en boucle sur les chaînes d’info. Elles ont « choqué » Édouard Philippe, même si le Premier ministre dit ne pas douter de la sincérité de l’émotion ressentie par Jean-Luc Mélenchon.
Le timonier de LFI a semblé jeudi mettre un peu d’eau dans son vin en acceptant de se rendre à la convocation des policiers chargés des enquêtes sur ses comptes de campagne présidentielle et les assistants d’eurodéputés de son parti, motifs des perquisitions. Une manière aussi pour lui de se démarquer de la cheffe du Rassemblement national (RN, ex-FN) Marine Le Pen, qui avait refusé de se rendre à une convocation similaire, ce que Jean-Luc Mélenchon avait beaucoup critiqué.
« Castro ou Bourvil »
En arrivant devant les locaux de la police judiciaire à Nanterre (Hauts-de-Seine), Mélenchon a répété qu’il avait été sous le coup de « l’émotion ». Le député LFI Alexis Corbière, lui aussi apparu très remonté mardi, a concédé que les Insoumis avaient « peut-être parlé un peu fort ». Mais sur le fond, les dirigeants de LFI continuent à dénoncer le coup de force d’une « police politique » et à pester contre le traitement médiatique de cette affaire, alors que Jean-Luc Mélenchon, élu à Marseille, a moqué mercredi l’accent du Sud d’une journaliste et demandé si quelqu’un avait une autre question « formulée en français ».
Au sein de la majorité, les critiques ont redoublé jeudi. Jean-Luc Mélenchon a « fondu un plomb », a brocardé le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, appelant le député des Bouches-du-Rhône à présenter ses « excuses ». « Petit à petit, les gens découvrent le vrai Mélenchon. Il a insulté une journaliste hier. Il pique des colères noires dans l’hémicycle. Avec Mélenchon, on sait jamais si c’est Fidel Castro ou Bourvil. S’il pense que c’est comme ca qu’il va arriver à conquérir la confiance des Français, il se trompe lourdement », a prévenu le chef de file des députés En marche ! Gilles Le Gendre.
Populisme de gauche
Selon les analystes, cette succession de coups d’éclat ne devrait pas détourner les sympathisants de LFI. Ils pourraient « au contraire se réjouir de ses coups de gueule parce qu’il base sa stratégie de communication sur une forme de populisme de gauche », souligne l’historien spécialiste des courants minoritaires Christophe Bourseiller, rappelant que « les gens ont continué à voter » pour l’ex-chef du Front national Jean-Marie Le Pen, pourtant familier lui aussi des coups d’éclat.
Mais la colère de Jean-Luc Mélenchon pourrait diminuer sa capacité à rallier, alors que deux figures de l’aile gauche du PS, Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann, viennent de se rapprocher de LFI. « Cette crise de nerfs peut avoir des conséquences sur sa vocation à rassembler à gauche », estime ainsi Christophe Bourseiller.
« Là où ça peut gêner, c’est par rapport à son choix stratégique d’apparaître comme un aimant à gauche », ajoute Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean Jaurès et ancien élu socialiste. « Son geste radicalise ses militants contre le système, les élites, mais l’éloigne de la perspective de pouvoir convaincre des électeurs qui auraient pu voir en lui une alternative à Emmanuel Macron », souligne aussi Stéphane Rozès, président de la société de conseils Cap, notant qu’on « ne peut pas à la fois se dire républicain et méconnaître la légalité ».