Élections européennes : Macron vs Orbán

Après avoir consolidé son pouvoir à domicile suite à sa troisième victoire électorale consécutive en avril dernier, Viktor Orbán cherche désormais à s’imposer dans le débat public européen. Son meilleur allié est aussi son adversaire auto-proclamé : le président français Emmanuel Macron.

En Hongrie, la domination du Fidesz est forte et incontestée. Le parti populiste de droite a gagné les dernières élections législatives d’avril avec une « super majorité » des deux tiers, ce qui lui donne la possibilité de modifier la constitution à sa guise. En mai dernier, lors de son discours inaugural devant les députés, Viktor Orbán a déclaré qu’il avait des idées et des projets jusqu’à au moins 2030. Rester au pouvoir douze années de plus ne lui paraît donc pas inenvisageable, à raison : son opposition est fragmentée et truffée de politiciens médiocres, les freins et contrepoids démocratiques en Hongrie sont limités et le vacarme orchestré par la propagande gouvernementale sur la question migratoire ôte toute rationalité au débat public.

Peu menacé à Budapest, Viktor Orbán regarde désormais vers Bruxelles. Il dit vouloir changer l’orientation de la construction européenne et renforcer du même coup son rôle à l’échelle de l’Union, en brandissant la lutte contre l’immigration au nom de la « démocratie chrétienne ». En influençant la composition de la prochaine Commission européenne et en envoyant des eurodéputés acquis à sa cause à Strasbourg, le premier ministre hongrois estime ainsi possible de contribuer à l’arrêt voire au renversement de la fédéralisation de l’Europe.

Sa motivation est simple : les institutions européennes incarnent actuellement l’obstacle le plus important à son régime hybride, car une partie de la souveraineté hongroise est liée au respect des traités européens. Bien que la Commission européenne ait assisté à la construction de l’illibéralisme en Hongrie, le Fidesz a dû plusieurs fois reculer sous sa pression. Viktor Orbán aimerait limiter ce genre de déconvenues à l’avenir.

Faire de la question migratoire le talisman de la droite européenne

La crise migratoire de 2015 a été le gros lot pour Viktor Orbán. En exploitant un sentiment d’insécurité bien ancré dans la société hongroise, son parti le Fidesz a construit une réalité dans laquelle l’immigration serait la principale menace pour le pays, rendant ainsi tous les autres enjeux secondaires. Les Hongrois sont désormais entretenus dans cette vision par la propagande du parti au pouvoir, relayée par l’audiovisuel public et les médias tenus par des proches du Fidesz qui alimentent sans répit sa campagne xénophobe contre les migrants. Loin de reposer sur de véritables considérations idéologiques, l’objectif de cette stratégie politique est de détourner les regards de l’extraordinaire concentration des pouvoirs politique et économique qu’opère actuellement l’homme fort de Budapest.

Ayant réduit les enjeux des élections législatives hongroises à une opposition binaire entre pro- et anti-migrants, le chef du gouvernement hongrois essaie de mettre en œuvre la même stratégie en vue des élections européennes de mai prochain. Aux yeux d’Orbán, les membres de l’élite européenne ne seraient que les simples pantins de George Soros, un milliardaire américain d’origine hongroise, lequel aurait un « plan » pour faire venir chaque année près d’un million de migrants de confession musulmane en Europe. A cette génération de dirigeants européens biberonnés selon lui à l’idéologie de mai 68, le premier ministre hongrois veut opposer la génération des dissidents anticommunistes et nationalistes de 1989, présentée comme celle des défenseurs des valeurs chrétiennes de l’Europe et dont il serait naturellement le héraut. Le tour de passe-passe historique est d’autant plus gros qu’au moment de l’effondrement du bloc soviétique, c’est Viktor Orbán et ses amis du Fidesz qui représentaient en Hongrie le courant libéral tant chéri et soutenu par George Soros.

Mais Viktor Orbán n’est pas à une contradiction près : le dirigeant hongrois lutte contre une élite européenne dont il fait lui-même partie. Même s’il s’est marginalisé, le Fidesz appartient en effet à la grande famille du Parti populaire européen (PPE), la force politique dominante en Europe. Il aura d’ailleurs fallu le retournement de nombreux de ses eurodéputés pour que le déclenchement d’une procédure contre la Hongrie soit adopté en septembre dernier par le Parlement européen. Si certains reprochent en interne au Hongrois les menaces répétées à l’encontre de la démocratie, ce sont les nouvelles alliances que Viktor Orbán est prêt à nouer qui inquiètent plus sérieusement les dirigeants conservateurs. La chancelière allemande Angela Merkel a ainsi critiqué avec véhémence le comportement de son homologue lors du sommet du PPE, pour sa visite à Matteo Salvini à la fin de l’été.

La rencontre entre le numéro 2 italien et Viktor Orbán a eu lieu à Milan dans le cadre d’une visite non officielle, à quelques semaines de l’intervention du premier ministre hongrois devant le Parlement européen. Les deux nouveaux amis avaient alors directement menacé le PPE de créer un bloc anti-immigration au sein du parlement européen, si le principal adversaire des deux dirigeants, Emmanuel Macron, parvenait à former un groupe central pro-immigration capable de rallier des eurodéputés de centre-droit. Le président français avait d’ailleurs immédiatement réagi, déclarant relever le défi d’une confrontation entre l’Europe « progressiste » et Viktor Orbán et ses alliées populistes.

La mise en scène d’une opposition symétrique entre Orbán et Macron

Pour les Hongrois et leurs alliés, cibler Macron est un choix idéal car le président français incarne tout ce contre quoi ils s’évertuent de lutter : c’est un fédéraliste libéral, favorable à la mondialisation et ouvert à l’immigration, dont la formation d’énarque ainsi que son expérience au sein de la banque Rothschild en font un repoussoir idéal. Bien loin par exemple du dirigeant « bon père de famille », terre à terre et proche du peuple, qu’un Viktor Orbán prétend incarner. Par ailleurs, les récentes sorties d’Emmanuel Macron, qui mettent en lumière son arrogance et son comportement prétentieux, renforcent son image de membre de l’élite, détaché du peuple.

De façon symétrique, Viktor Orbán et ses amis constituent des épouvantails idéaux pour le président français. Dans la vision d’Emmanuel Macron, ces derniers représenteraient une menace pour les valeurs de l’Europe. Comme nous l’avons vu lors du référendum sur le Brexit en 2016, l’aversion contre les nouveaux États membres de l’UE est réelle en Europe occidentale et il est clair que le président entend profiter du caractère repoussoir des « barbares d’Europe de l’Est » pour gagner des points politiquement. Il partage en tout cas avec Viktor Orbán la posture du chevalier blanc, bien pratique pour détourner l’attention de son opinion publique de ses différents déboires et du caractère impopulaire de ses réformes économiques et sociales.

Comme le rappelle Telegraph, le premier ministre hongrois avait déjà défié personnellement le président français lors du Conseil européen de juin dernier en lui annonçant que, même s’ils seront sans doute tous les deux en tête à l’issue des prochaines élections européennes, la victoire sera hongroise. Quoi qu’il en soit, les deux dirigeants ont tout intérêt à se faire la courte-échelle dans la campagne à venir, car c’est cette alliance tacite reconnue implicitement par Viktor Orbán qui permettra de renforcer leurs positionnements respectifs à l’échelle de l’UE. La seule question qui vaille désormais, c’est de savoir dans quelle mesure ils parviendront à maintenir voire à accroître ce clivage durant les prochains longs mois.

Viktor Orbán a d’une certaine façon déjà gagné son pari car, bien que premier ministre d’un petit pays d’Europe centrale, il est parvenu à se hisser dans un dialogue d’égal à égal avec le président de la cinquième puissance mondiale. S’il a largement réussi à imposer son pouvoir en Hongrie, la question de son succès au niveau européen reste largement ouverte. Ses nombreuses victoires électorales à domicile ne se réduisent pas à l’instrumentalisation de la question migratoire, mais reposent également sur la bonne santé économique hongroise et surtout sur les mesures autoritaires par lesquelles il est parvenu à contenir jusqu’à présent l’émergence d’une alternative politique sérieuse face à lui. L’enjeu est donc ailleurs : en préemptant ainsi la campagne des européennes, Viktor Orbán et Macron cherchent surtout à imposer le statu quo à l’échelle de l’UE. Reste à savoir si cette confiscation du nécessaire débat sur l’avenir de l’union soit du goût de tous les citoyens européens.

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