Le départ annoncé d’Angela Merkel affaiblit le couple franco-allemand

Sur les photos des réunions du G8, puis du G7, le seul dirigeant européen qui n’avait pas bougé en 15 ans, c’était elle. Sur un Vieux Continent aux leaders balayés les uns après les autres au gré d’élections démocratiques, Angela Merkel faisait figure d’insubmersible.

Mais la chancelière allemande, autrefois l’une des femmes les plus puissantes du monde, a fini elle aussi par plier devant des suffrages défavorables.

Lundi, après un nouveau revers électoral, Angela Merkel a annoncé qu’elle ne serait pas candidate à sa propre succession à la tête de son parti, la CDU, en décembre prochain. Elle a également précisé qu’elle se retirerait de la vie politique après la fin de son mandat de chancelière, en 2021.

Ces décisions entérinent l’affaiblissement de la chancelière au niveau national. Mais pourraient bien avoir d’autres conséquences, plus larges, sur la politique européenne. Car avec le départ d’Angela Merkel, Emmanuel Macron perd une partenaire de poids qui, si elle ne le soutenait pas sur tout, lui apportait au moins un appui de principe sur la nécessité de renforcer l’Union européenne. « Elle était un facteur de stabilité », analyse auprès d’Europe 1 Isabelle Maras, chercheuse associée au Progressives Zentrum, un think tank progressiste de Berlin. « Emmanuel Macron et elle pouvaient parler d’Europe. C’était une promesse de dialogue, voire de réalisations concrètes. »

Angela Merkel doit tenir la boutique. Ce n’est pas le moment de lancer les dés et renverser la table au niveau européen ou international.

La tentation de l’immobilisme. Même si elle doit en principe occuper son poste jusqu’en 2021, la chancelière allemande ne pourra pas continuer sur sa lancée. Les trois années à venir risquent d’être marquées par l’immobilisme d’une dirigeante plus soucieuse de ne froisser aucun de ses alliés allemands (la conservatrice CSU d’un côté et les sociaux-démocrates du SPD de l’autre) que d’avancer sur les dossiers européens. « Elle va encore moins bouger » que d’habitude, anticipe Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, auprès de L’Opinion. « Angela Merkel doit tenir la boutique et il ne faut pas oublier qu’elle a moins de pouvoir, en tant que chancelière, qu’Emmanuel Macron en tant que président de la République », abonde Isabelle Maras. « Il lui faut composer avec les équilibres politiques internes, alors que l’extrême droite dispose de 94 sièges au Bundestag. Désormais, la priorité va être la gestion de son héritage et la préparation de l’après. Ce n’est pas le moment de lancer les dés et renverser la table au niveau européen ou international. »

Des dossiers en suspens… Qu’adviendra-t-il donc des dossiers encore en suspens, comme la taxation des géants du numérique (GAFA) ou l’élaboration d’une défense européenne ? Angela Merkel avait également fini par avancer sur la question du budget de la zone euro, même si le projet arrêté était encore flou, et dans tous les cas beaucoup moins ambitieux que le souhait initial d’Emmanuel Macron. Avec le départ programmé de la chancelière, tous ces dossiers « ne devraient pas occuper le devant de la scène », tranche Isabelle Maras. « Mais tout dépend de la solidité de la coalition » entre la CDU-CSU et le SPD. « Si cette ‘große Koalition’ est mise à mal, les projets en cours resteront en suspens. Si elle tient, les ministres poursuivront leur travail. »

Avec Jens Spahn ou Friedrich Merz [à la place d’Angela Merkel], Emmanuel Macron s’expose à une opposition plus franche.

…dont l’avenir est suspendu au successeur de Merkel. La chercheuse pointe aussi l’importance que jouera le successeur d’Angela Merkel. Pour l’instant, sur les trois candidats qui se sont manifestés, Annegret Kramp-Karrenbaueuer, Jens Spahn et Friedrich Merz, les deux derniers sont clairement sur des lignes différentes, plus conservatrices et plus libérales. Des initiatives telles que le budget de la zone euro ou la taxation des GAFA, qui sont déjà très délicates à négocier actuellement, pourraient l’être encore plus avec eux aux manettes. « La taxation des GAFA était déjà mal partie », rappelle Isabelle Maras. « L’Allemagne craint des mesures de rétorsion américaines sur son industrie automobile. »

Le ministre des Finances, Olaf Scholz, s’était d’ailleurs prononcé la semaine dernière pour un impôt mondial plutôt qu’européen. Ce qui était déjà un moyen de calmer les ardeurs françaises. « Avec Spahn ou Merz aux commandes, Emmanuel Macron s’expose à une opposition plus franche encore », conclut Isabelle Maras. Si Annegret Kramp-Karrenbaueuer ne s’est que peu exprimée sur les sujets européens, sa proximité avec Angela Merkel en ferait quoi qu’il en soit une partenaire plus simple à gérer pour le président français. « Avec elle, il serait en terrain connu. ‘AKK’ a le même style posé, structuré et calme que la chancelière, avec une certaine prévisibilité. »

Un tandem récemment fragilisé. Récemment, le couple franco-allemand avait pris un peu de plomb dans l’aile. La stratégie ouvertement adoptée par Emmanuel Macron pour les élections européennes, qui consiste à opposer les nationalistes (gouvernement italien et hongrois, partis d’extrême droite dans tous les pays) au camp des « progressistes » dont il serait le leader, a passablement agacé Berlin. Il y a quelques semaines, la décision unilatérale d’Angela Merkel de suspendre les livraisons d’armes à l’Arabie Saoudite, en représailles après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, a fortement déplu à Paris. Et Emmanuel Macron n’a pas retenu ses mots contre la chancelière, estimant qu’il s’agissait de « pure démagogie » saupoudrée d’hypocrisie.

Macron n’a pas d’autres alliés. Mais même lorsqu’il tanguait, le tandem franco-allemand tenait. Les autres alliés de poids potentiels pour Emmanuel Macron ne sont plus des options : le Royaume-Uni est en plein Brexit, l’Italie est dans le camp des « nationalistes » honnis et l’Espagne est inaudible. Le président français n’a pas beaucoup d’autres possibilités d’alliance. L’Europe du nord est hostile à un budget de la zone euro tandis que le « groupe de Visegrad » qui rassemble la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie, refuse de jouer le jeu de la coopération européenne sur le sujet de l’immigration. Le départ annoncé d’Angela Merkel a donc réduit à peau de chagrin le camp des « progressistes ». Privé de sa principale alliée, Emmanuel Macron se retrouve isolé sur la scène européenne.

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