La Tour Eiffel a été éteinte en hommage aux journalistes tués

La Tour Eiffel s’est éteinte trois minutes ce jeudi soir, à la veille de la Journée internationale de la fin de l’impunité des crimes commis contre les journalistes. Depuis le début de l’année, près d’une centaine de journalistes ont été tués, la plupart dans des pays en paix.

« L’actualité est morbide pour ceux qui la font ». C’est par ces mots forts et peu habituels que Patrick Klugman, adjoint à la mairie de Paris, a commencé la brève mais puissante cérémonie d’hommage consacrée aux journalistes tués dans l’exercice de leur métier, à la veille de la Journée internationale contre l’impunité pour les crimes commis contre eux.

Alors que l’imposante Dame de fer s’éteint, le silence, rarissime sur cette place si touristique du Trocadéro, se fait. Il y a là une trentaine de journalistes venus couvrir l’événement, mais aussi quelques curieux attirés par les caméras et les prises de parole successives. « Cent journalistes ont été tués depuis la mort de ma mère », indique, amer, Andrew Galizia, l’un des fils de la Maltaise Daphne Caruana Galizia, assassinée en octobre 2017.

Les effigies de plusieurs d’entre eux sont brandies par une dizaine de membres de Reporters sans frontières, vêtus de chasuble rouge. On reconnaît notamment le visage désormais tristement célèbre de Jamal Khashoggi.

Fabiola Badawi, journaliste égyptienne, est une amie de longue date du journaliste saoudien assassiné au consulat de son pays à Istanbul. Elle le dépeint comme calme, souriant, gentil, habité par le souci de la vérité et l’amour de la vie. Les larmes aux yeux, c’est en français et la gorge nouée qu’elle raconte sa douleur et sa sourde colère : « Jamal voulait parler et écrire librement, mais les dirigeants actuels n’avaient pas sa franchise. J’espère que sa mort sera un début et non une fin. Qu’elle serve à tous les journalistes et promoteurs de la liberté. »

L’assassinat de Jamal est « un acte qui repousse les limites », s’insurge le secrétaire général de RSF Christophe Deloire, qui demande au nom de l’ONG une enquête internationale sur cet assassinat. Car, poursuit-il, peut-on faire confiance à la justice saoudienne et à la police turque qui enferme des journalistes ? « Cet assassinat a ému bien au-delà du seul cercle des journalistes », affirme-t-il. Mille soixante-six journalistes ont péri en 15 ans, rappelle-t-il.

Depuis le début de l’année, 86 journalistes ont été assassinés. La majorité d’entre eux n’ont pas été tués dans des pays en guerre. La plupart enquêtent sur des gouvernements, des entreprises ou des trafiquants. On les tue pour les faire taire, pour qu’ils cessent d’informer. RSF relève l’impunité dont les assassins bénéficient. Seul un cas sur dix est résolu et les meurtriers placés derrière les barreaux. Le reste du temps, rien ne se passe ou presque.

C’est d’ailleurs le cas pour Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Cinq ans après leur assassinat près de Kidal, dans le nord du Mali, l’enquête patine. « Toute l’Afrique a été saisie d’effroi le 2 novembre. Dans cette affaire, les assassins courent toujours et bénéficient d’une impunité totale, dénonce ainsi Christophe Boisbouvier, journaliste à Radio France Internationale et membre de l’association des Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Nous comptons sur la justice de notre pays, sur les pouvoirs publics, français et maliens. Emmanuel Macron, il y a un an, avait pris sur notre antenne un engagement solennel. Nous attendons que cette promesse se tienne. Nous comptons enfin sur le législateur, car à cause du secret défense, le juge n’a pas accès à toutes les pièces du dossier. »

La Tour est rallumée. Les caméras éteignent leurs projecteurs. Une pluie de plus en plus drue se met à inonder le marbre glissant du Trocadéro. « Il y a pire que le crime : il y a l’oubli qui ensevelit le crime », affirme Christophe Boisbouvier.

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