Tout au long de la campagne sur le référendum de dimanche sur l’indépendance, Paris a vanté les atouts de la présence française dans cette partie du monde.
L’Histoire a conduit à plusieurs reprises la France et la Nouvelle-Calédonie au bord de la rupture. Les voici à nouveau. Le référendum du 4 novembre sur l’indépendance, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, a été précédé par un processus de plus de trente années. Les indépendantistes sont absolument convaincus qu’ils sont en mesure de conduire seuls le destin de l’archipel, que leurs atouts économiques sont suffisants, qu’ils ont les épaules pour porter ce nouvel État – la Kanaky – sur la scène internationale. Ils réfutent les arguments des sceptiques qui voient une Nouvelle-Calédonie indépendante sombrer comme l’a fait le Vanuatu (ex-Nouvelles-Hébrides) après sa séparation d’avec la France, en 1980. Avant de se trouver pieds et poings liés avec une Chine pressante et… envahissante.
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Leader du camp indépendantiste et président de la province Nord, Paul Néaoutyine s’indigne ainsi dans un entretien avec le quotidien Les Nouvelles calédoniennes : « Lorsque l’on parle de la viabilité économique de l’indépendance, nos adversaires politiques n’ont qu’une vision comptable de la réalité, et cette réalité, ils ne la conçoivent ou ne veulent la concevoir qu’immuable, à situation constante, comme si les paradigmes économiques allaient rester les mêmes avec l’indépendance. (…) Toutes les avancées économiques et sociales des dernières décennies sont dues aux indépendantistes (…), la création de l’usine du Nord et les activités économiques induites, l’emploi local, l’aide médicale gratuite, tout cela est à mettre à notre crédit, pas à celui de nos adversaires. » Des arguments tempérés par un observateur métropolitain installé à Nouméa : « Le nickel calédonien, ce ne sont certes pas les bananes des Antilles ou l’or de la Guyane ! Mais d’un certain point de vue, ce nickel est une malédiction. Il est difficile d’expliquer qu’il faut passer à autre chose… »
Nombreux sont les Kanaks estimant que les conditions ne sont pas encore réunies pour un accès à l’indépendance. Malgré des progrès réels dans l’éducation des jeunes et la formation de cadres, disent-ils, trente ans n’ont pas suffi à faire émerger une génération de dirigeants aptes à prendre les commandes. D’autres encore pensent que le corps électoral n’aurait pas dû associer les Européens, que les complexes modalités retenues sont trop défavorables aux indépendantistes. Ce responsable politique de la côte est, qui ne veut pas donner son nom par peur de choquer ses amis indépendantistes, est formel : la priorité consiste à préserver les acquis économiques, qui seraient mis à mal par une indépendance trop hâtive : « L’indépendance, oui, mais pas maintenant. L’espoir, c’est une indépendance avec des gens intelligents et bien formés, pour les générations futures. Pas ce coup-ci ! » Et le voilà qui hésite, malgré ses convictions profondes, à glisser dans l’urne un bulletin « oui ».
Les pouvoirs publics français se sont bien gardés d’intervenir directement dans le débat : ni le président de la République ni aucune autorité gouvernementale n’ont explicitement exprimé leur choix. Mais Emmanuel Macron y pense très fort. Et ne masque pas l’intérêt stratégique de la présence française dans cette partie du monde. Dans un discours prononcé à l’opéra de Sydney le 1er mai, il confiait que « notre sécurité se joue aussi dans la région. Cela n’a rien pour moi de théorique. Un demi-million de mes concitoyens vivent en Océanie, dans nos collectivités du Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. (…) Nos forces armées sont présentes dans la zone indopacifique qui est clé pour la stabilité mondiale. » Trois jours plus tard, en visite à Nouméa, le chef de l’État ajoutait : « Sans la Nouvelle-Calédonie, décidément, la France ne serait pas la même. » De fait, nous confie à Nouméa un actif expert des affaires de sécurité et de renseignement, « notre présence nous offre un balcon sur les problèmes du XXIe siècle. Cette zone pacifique présente dans l’immédiat peu de dangers, mais elle est pleine de risques. D’ici, nous voyons de près les menaces sur l’environnement, la rivalité entre les États-Unis et la Chine, les flux maritimes les plus intenses, et l’islamisme radical. »
Emmanuel Macron ne s’y était pas trompé dans son discours de Nouméa, associant aux problématiques régionales celles de l’océan Indien : « L’indopacifique est au cœur du projet français pour toutes ces raisons, parce que nous y sommes et parce que cette région du globe est en train de vivre un basculement profond et de saisir des opportunités nouvelles qui rendent notre avenir commun dans cette région encore plus fort, encore plus important et qui nous impose de le penser, de le travailler, de l’agir. Les États-Unis qui, il y a encore quelques années, se voyaient comme une puissance centrale de la région, continuent à l’être sur le plan sécuritaire et stratégique, mais lui ont plutôt tourné le dos ces derniers mois. (…) Dans cette région du globe, la Chine est en train de construire son hégémonie pas à pas, il ne s’agit pas de soulever les peurs, mais de regarder la réalité, elle est faite d’opportunités, la Chine doit être un partenaire pour cette région et plus largement. Sa stratégie des nouvelles routes de la soie et son ambition pacifique, nous devons travailler avec elle pour densifier les échanges et en tirer toutes les opportunités, mais si nous ne nous organisons pas, ce sera quand même bientôt une hégémonie qui réduira nos libertés, nos opportunités et que nous subirons. » Il est limpide que pour Paris, l’enjeu calédonien est là… Même s’il n’est pas question de mettre de l’huile sur le feu en dramatisant les enjeux.
Édouard Philippe, qui passera la journée du lundi 5 novembre à Nouméa et dans la province nord, a fait diffuser un communiqué par le haut-commissariat en Nouvelle-Calédonie titré Les Implications de la consultation du 4 novembre. Clinique, le document présente les choix qui s’offrent aux électeurs en explicitant les conséquences de chacun d’entre eux. « Il n’existe pas d’autre chemin que celui du dialogue pour assurer que le destin de la Nouvelle-Calédonie se réalise dans la paix. »