Il n’y a pas eu de vague « bleue » démocrate, mais la vague « rose » est incontestable: deux ans après la défaite à la présidentielle d’Hillary Clinton, les élections américaines de mardi ont propulsé au Congrès un nombre record de femmes, souvent de fortes personnalités qui pourraient bousculer le status quo.
Les résultats ne sont pas encore définitifs, mais les dernières projections des télévisions américaines montrent qu’au moins 100 femmes feront partie de la nouvelle Chambre des représentants en janvier, soit 15 de plus que le précédent record de 85, plus 22 femmes au Sénat.
Vingt mois après la grande « Marche des femmes » qui a vu plusieurs millions d’entre elles manifester en bonnets roses à travers les Etats-Unis contre Donald Trump, et un an après la naissance d’un mouvement #MeToo animé par les adversaires du président, cette vague féminine concerne quasi-exclusivement le camp démocrate.
Près du tiers des élues à la Chambre sont nouvelles en politique. Et beaucoup d’entre elles sont issues de minorités raciales, religieuses ou sexuelles, dont l’élection constitue souvent une première pour leur communauté.
Parmi elles, Ayanna Pressley, première femme noire élue au Congrès pour l’Etat du Masschusetts; Ilhan Omar, du Minnesota, et Rashida Tlaid, du Michigan, premières femmes musulmanes au Congrès; Sharice Davids, avocate ouvertement homosexuelle du Kansas, et Deb Haaland, du Nouveau Mexique, premières Amérindiennes élues au Congrès; ou encore Alexandria Ocasio Cortez, New-Yorkaise d’origine hispanique qui devient à 29 ans la benjamine du Congrès, de quelques mois plus jeune qu’Abby Finkenauer, première femme élue au Congrès pour l’Iowa.
Si le record de femmes gouverneures n’a pas été battu, trois Etats – Iowa, Dakota du Sud et Maine – ont aussi élu des femmes pour la première fois, ainsi que le petit territoire de Guam.
« Variété de points de vue »
Que peuvent-elles changer au Congrès ?
Maria Jobin-Leeds, militante de Boston interrogée mercredi à New York, espère qu’elles feront émerger de nouvelles priorités chères à l’aile gauche du parti démocrate.
« Je m’attends à ce que l’on voie plus de mesures favorables aux femmes, aux immigrés, plus de choses sur les inégalités de revenus », dit-elle.
Mais Kelly Dittmar, du Centre Américain pour les femmes en politique de l’université Rutgers, estime qu’il est trop tôt pour savoir quelles priorités privilégieront les nouvelles élues.
« Ce qui importe, c’est qu’elles apportent une variété de points de vue », souligne cette experte.
Pour la première fois, par exemple, les femmes musulmanes vont se faire entendre au niveau législatif fédéral, « où les questions de liberté religieuse et de sécurité nationale vont désormais main dans la main avec les discriminations contre les musulmans », souligne-t-elle.
Beaucoup des nouvelles élues ont aussi promis de redonner une voix aux petites gens, face à des élites politiques accusées d’être déconnectées des problèmes quotidiens des classes moyennes.
Si beaucoup de femmes ont gagné, c’est qu’elles sont « restées concentrées sur les problèmes dont on parle à l’heure des repas, ceux qui comptent vraiment pour les familles », a affirmé la gouverneure élue du Michigan, la démocrate Gretchen Whitmer.
Fortes personnalités
Beaucoup des nouvelles élues sont aussi de fortes personnalités: leur victoire dans les urnes n’est souvent que leur dernière bataille, après des années de lutte contre les discriminations suscitées par leurs origines raciales ou religieuses, ou leurs préférences sexuelles.
Elles sont souvent « motivées par la volonté d’arriver à faire avancer les choses », avec « une approche axée sur les résultats », souligne Mme Dittmar.
Cela pourrait les pousser aux compromis et aider le Congrès à « devenir plus productif », espère-t-elle, en reconnaissant néanmoins que le risque de divisions exacerbées existe aussi, puisqu’elles sont majoritairement démocrates.
Preuve de sa volonté d’obtenir des résultats, la nouvelle élue Ayanna Pressley a refusé de parler de victoire: « c’est seulement quand nous serons parvenus à l’équité, la justice et l’égalité que je pourrai prononcer un discours de victoire », a-t-elle lancé à ses supporters à Boston.
Reste que, même avec une centaine d’élues à la Chambre, la proportion de femmes au Congrès ne dépassera pas les 25 %.
Et que les Etats-Unis restent dans le bas du classement des 49 pays à hauts revenus en termes de représentation des femmes, selon une étude de l’institut Pew, qui plaçait les Etats-Unis à la 33e place en 2015.
« Il ne faut pas avoir d’attentes exagérées », souligne Mme Dittmar. « Même si (les femmes) enregistrent des gains substantiels, il y a encore beaucoup à faire pour arriver à un niveau d’égalité ».