Brexit : les banques revoient leur choix entre Paris, Francfort et Dublin

A quelques mois du Brexit, plusieurs établissements étrangers réévaluent leurs projets d’implantations entre les différentes capitales européennes. Paris pourrait bénéficier du rééquilibrage.

A moins de cinq mois du Brexit, les banques refont leurs calculs. Selon nos informations, la première banque américaine, JP Morgan, qui prévoyait  jusqu’à présent 200 transferts à Paris , est en train de reconsidérer ses plans pour donner un rôle plus important à la France. Dans le même mouvement, sa rivale Citi envisage de transférer moins de banquiers à Francfort et davantage à Paris, selon le « Financial Times ». Et Bank of America, qui a choisi comme point d’ancrage la ville allemande, multiplie les annonces d’arrivées de dirigeants mondiaux et européens en France, où elle prévoit 400 transferts.

« Plusieurs établissements étrangers, qui avaient prévu une filiale coeur dans un pays, et une succursale pour leurs activités de marché en France, sont en train de réévaluer leurs options du fait de l’évolution des cadres législatifs, et de la durée mise parfois à obtenir des licences pour leurs filiales dans d’autres pays », avance le ministère des Finances français. En clair, Paris pourrait devenir la  tête de pont des banques étrangères en Europe , selon Bercy.

Toutes les banques n’inverseront pas, à court terme, l’ordre de leurs priorités sur le continent – notamment  JP Morgan -, mais l’équilibre envisagé entre capitales européennes est en train d’être remis en cause. A la capitale française devaient revenir les équipes de trading, commerciales et de front office. Aux autres, la tête faîtière en charge des fonctions réglementaires, de risque et d’enregistrement des opérations de marchés. En Allemagne, en Irlande, ou aux Pays-Bas pour les établissements japonais, les banques disposaient en effet déjà de licences bancaires pleines et entières avant le Brexit.

Une première lecture technique

« Tout le monde est parti avec une lecture technique des choses, témoigne le patron d’une banque anglo-saxonne à Paris. Mais aujourd’hui c’est plus ouvert que jamais. La BCE raidit ses positions et laisse comprendre qu’elle n’acceptera pas que des entités comme Francfort se contentent d’enregistrer les opérations ». Idem pour Dublin, dont la proximité géographique avec Londres fait craindre à certains régulateurs que les entités locales soient des coquilles vides.

« Dans un premier temps, la BCE a dit tolérer certains modèles (‘back to back’…) pour éviter aux entités européennes de porter du jour au lendemain des milliards d’actifs, mais c’est une tolérance très temporaire. In fine, il faudra qu’une banque qui conclut des opérations ait suffisamment de substance », insiste Marc Perrone, chez Linklaters. Or dans le même temps, dit-il, la compétence du régulateur français habitué à superviser des activités complexes de quatre grands groupes bancaires, comme les dérivés, incite à se tourner vers la France.

Questions de gouvernance

La BCE, et notamment le  superviseur allemand à Francfort , « auront eux sans doute une propension plus forte à être ‘data driven’[demander des masses de données, NDLR] et ce d’autant plus que l’entité juridique aura des succursales dans différents pays de l’eurozone, ce qui ne facilite pas la supervision de terrain », corrobore Bruno de Saint-Florent chez Oliver Wyman.

S’y ajoutent des questions de gouvernance. Une succursale parisienne peut dépendre de Francfort vis-à-vis du régulateur pour sa gestion des risques, mais ses équipes de vente réfèrent directement à Londres. Or, note Stephan de Prins chez Avantage Reply, au sein des groupes « la ligne métier, par exemple la banque d’investissement, est souvent plus importante que la dimension ‘entité légale’ de la filiale, c’est-à-dire où l’activité sera comptabilisée ». Pour le régulateur, en revanche, « il serait inconcevable que des succursales prennent directement leurs instructions au départ du groupe basé à Londres, New York ou Tokyo. »

Sujet en mutation

Dans la pratique, conclut-il, « c’est un sujet en pleine mutation car les attentes des superviseurs en matière de gouvernance sont parfois en conflit avec la gestion des bilans et le modèle opératoire global des grands groupes internationaux ». Les autorités de supervision en sont conscientes : « cela pose des questions de gouvernance examinées de très près », dit l’un de ses représentants.

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