Mandaté par l’UE pour négocier le Brexit avec Londres, le Français Michel Barnier peut se targuer d’un succès indéniable avec le projet d’accord dévoilé mercredi: il s’est révélé un avocat pugnace des intérêts des 27 et a forcé le respect de ses interlocuteurs britanniques.
C’est un Michel Barnier sourire aux lèvres qui s’est présenté devant la presse à Bruxelles pour révéler la teneur de l’accord de divorce.
« Quel est mon sentiment aujourd’hui ? Surement pas de l’autosatisfaction (…). Mais nous avons beaucoup et bien travaillé », a-t-il déclaré.
Européen convaincu, le Savoyard n’avait rien à perdre en acceptant cette mission difficile le 1er octobre 2016. Agé de 67 ans, battu par Jean-Claude Juncker dans la course à la présidence de la Commission européenne lors du congrès du Parti Populaire Européen (PPE) en mars 2014, il avait été politiquement enterré par son camp en France.
L’Europe l’a tiré de l’oubli.
« Barnier a fait preuve de beaucoup de souplesse dans les négociations et d’une grande science politique. Son job, c’était que les 27 restent groupés et qu’on puisse avoir avec les Britanniques des discussions franches », commente Jean-Dominique Giuliani, de la Fondation Robert Schuman.
« Les 27 lui ont toujours montré un soutien et une confiance totales », souligne une source européenne.
Jean-Claude Juncker a d’abord nommé Michel Barnier en février 2015 conseiller spécial pour la politique de défense et de sécurité, avant de lui confier la très difficile négociation du Brexit après la décision des Britanniques de quitter l’UE en juin 2016.
– « Personnalité torturée » –
Sa nomination avait fait hurler les europhobes, mais les Britanniques ne se sont pas montrés aussi négatifs à l’époque. « Nous aurions pu avoir bien pire que le pragmatique et expérimenté Barnier », avait commenté Syed Kamall, chef de la délégation du parti conservateur britannique au Parlement européen.
L’eurodéputé avait même jugé l’anglais de Michel Barnier « assez bon pour lui permettre de traiter directement avec ses interlocuteurs ».
Le choix de Michel Barnier avait été justifié par son parcours. Il a siégé dans plusieurs gouvernements de droite en France dans les années 1990 et 2000, avec des portefeuilles variés (Affaires européennes, Environnement, Agriculture etc), a été commissaire européen à deux reprises, chargé des Politiques Régionales et du cadre financier (1999-2004), puis responsable du Marché Intérieur et des Services (2009-2014).
« Il connaît les problèmes britanniques sur lesquels on va devoir négocier », avait expliqué M. Juncker.
Le Français a réussi à passer au travers des critiques. « Mais il a fallu à plusieurs reprises refixer la ligne des négociations », nuance un diplomate.
« Derrière un air lisse se cache une personnalité torturée. C’est un inquiet et il a besoin d’être conseillé. Il tire sa force d’une équipe de collaborateurs en qui il a une totale confiance », explique un de ses proches.
Grand, d’une élégance très britannique, l’homme aime le contact, les échanges. Il écoute, argumente, cherche à convaincre. Depuis sa prise de fonctions, il a sillonné les pays de l’Union à trois reprises, rencontré leurs dirigeants, mais aussi leurs opposants.
– Nouvelle carrière ? –
Une démarche de candidat en campagne qui a nourri les spéculations sur ses ambitions et laissé penser que « M. Brexit » n’aurait pas renoncé totalement à devenir le prochain président de la Commission pour succéder à Jean-Claude Juncker en 2019.
Vice-président du PPE, Michel Barnier a surpris en refusant de mener la campagne du parti pour les européennes.
« Il est de mon devoir et de ma responsabilité de poursuivre les négociations sur le Brexit jusqu’à la fin », avait-il expliqué dans un courrier à Joseph Daul, président du PPE. « J’ai voté oui à l’adhésion du Royaume-Uni lors du référendum organisé en France en 1972 et je n’ai jamais regretté ce vote, parce que l’Union fait la force », se plait-il à rappeler.
Un accord mené à bien sur le Brexit pourrait-il donner un nouvel élan à sa carrière ?
« Cela le positionne pour la suite comme un président de la Commission potentiel. La désignation de l’Allemand Manfred Weber, qui n’a aucune expérience gouvernementale à haut niveau, comme chef de file de la droite européenne pour les élections de mai 2019 est bonne pour lui », estime Jean-Dominique Giuliani.