Près de huit ans après le début de la guerre en Syrie, Salim refuse toujours d’accomplir son service militaire, à l’instar de nombreux druzes de la province de Soueidaa, faisant fi de l’appel pressant lancé récemment par Damas.
« Je ne veux pas être impliqué dans le bain de sang syrien », lâche le jeune homme de 27 ans originaire de cette province du sud, s’exprimant sous un pseudonyme par crainte de représailles.
Depuis 2011, la communauté druze a essayé de se tenir à distance du conflit. Des dizaines de milliers de jeunes hommes ont ainsi refusé de servir dans l’armée, s’engageant plutôt dans des milices locales pour assurer la défense de leur région.
Ils n’ont toutefois jamais pris les armes contre le régime, qui de son côté, a largement fermé les yeux sur le service militaire obligatoire, jusqu’à cet appel à la mi-novembre du président Bachar al-Assad.
Quelques jours après la libération d’otages druzes enlevés par le groupe Etat islamique (EI) à Soueida, il a exhorté les jeunes hommes de cette province à faire leur service militaire.
« Je ne veux pas tuer les gens de Hama, de Homs, ou de n’importe quelle autre province, pour qu’untel reste au pouvoir », poursuit Salim.
Avant le conflit, les jeunes syriens étaient tenus d’effectuer un service militaire allant de 18 mois à deux ans, à l’issue duquel ils devenaient réservistes. Mais la configuration a changé avec la guerre. Ainsi, un groupe d’appelés de 2010 a été démobilisé en mai dernier seulement, après huit années passées au sein de l’armée.
« Intimidation inutile »
Pour éviter les ennuis, Salim ne sort pas de Soueida, évitant les barrages militaires de l’armée qui est uniquement déployée autour de la province.
En juillet dernier, lui aussi a pris les armes, à l’instar d’autres habitants, pour repousser une série d’attaques menées par l’EI qui ont fait plus de 260 morts.
Dans la foulée de cet assaut le plus meurtrier qu’ait connu la communauté druze depuis le début de la guerre, les jihadistes avaient enlevé une trentaine de femmes et d’enfants, dont les survivants ont été libérés par l’armée le 8 novembre.
En rencontrant des ex-otages et leurs familles, le président Assad avait saisi l’occasion pour envoyer un message politique. « Celui qui se dérobe au service militaire (…) a une part de responsabilité dans la mort ou l’enlèvement de toute personne », a-t-il lancé.
« Le régime nous dit: soit Daech soit le service militaire », résume Salim, qui dénonce un discours menaçant.
Pour l’analyste Khattar Abou Diab, le discours d’Assad est une « intimidation inutile ». « Il veut utiliser les habitants de Soueida comme de la chair à canon pour d’autres batailles à l’avenir », soutient-il.
La communauté druze, une branche hétérodoxe de l’islam chiite, se concentre essentiellement à Soueida et représentait avant le conflit près de 3 % de la population syrienne.
En 2014, alors que la guerre faisait rage, les habitants de Soueida ont maintes fois encerclé des centre de détention où se trouvaient des proches ayant refusé de faire leur service militaire, jusqu’à obtenir leur libération.
« Machine à tuer »
Affaibli à l’époque par la multiplication des fronts, le régime de Damas a laissé faire, pour « contenir toute éventuelle contestation », dans le cadre d’une politique « très prudente à l’égard des minorités », explique le directeur du média syrien en ligne Soueida24, Nour Radwan.
Malgré la présence de la police du régime, l’insécurité règne dans la province de Soueida, selon des militants qui y voient une manière pour Damas de faire pression sur les habitants.
« Le régime a recours à d’autres moyens pour punir Soueida: l’EI à la place des barils (d’explosifs) et le désordre et les crimes au lieu des arrestations », assène le militant Hamam al-Khatib.
Quelque 30.000 Druzes sont en âge d’effectuer leur service militaire, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Les autorités de Damas, par l’entremise d’officiers russes, ont demandé aux figures locales de la communauté de convaincre les jeunes de rallier l’armée, en échange de quoi le régime mettrait fin à la menace de l’EI, selon la même source.
Retranchés à Tloul el-Safa, une poche désertique entre les provinces de Soueidaa et de Damas, les jihadistes ont fini par quitter ce secteur samedi et se sont retirés vers le désert de Homs, en vertu d’un accord négocié par le régime, selon l’OSDH.
Mais les jeunes de Soueidaa n’ont pas changé d’avis.
« La guerre se poursuit (…), nous ne sommes pas une machine à tuer », lance Oudaï el-Khatib, 25 ans.
« Les jeunes de Soueida qui n’ont pas accompli leur service militaire, et j’en fait partie, sont ceux qui ont fait face à l’assaut de l’EI, sans que l’armée ne nous aide ».