Les Gilets jaunes pris en étau entre le gouvernement et les violences

La spontanéité du mouvement des Gilets jaunes fait sa force mais elle place aussi les manifestants en position délicate, entre des casseurs violents et un gouvernement qui saisit l’occasion pour décrédibiliser une protestation sans mot d’ordre clair

Passée la journée de mobilisation et ses violences extrêmes dans la capitale, le mouvement des Gilets jaunes est appelé à se poursuivre. Au gré des rassemblements, des blocages et des manifestations, il peine toutefois à s’organiser de manière cohérente, ce qui fait sa faiblesse, tout en lui garantissant paradoxalement une certaine force.

Reste que la crise bien réelle qui s’amorce appelle une réponse politique, et que le gouvernement semble désemparé face à la complexité, à la dispersion et à la spontanéité de ce phénomène qu’il peine à appréhender. En témoigne notamment le rendez-vous d’une délégation de Gilets jaunes avec Edouard Philippe qui a viré au fiasco le 30 novembre dernier. De leur côté, les Gilets jaunes sont parcourus par une contestation des porte-paroles plus ou moins officiels dont ils se sont dotés de manière erratique.

Ces paramètres tendent à brouiller l’objet des revendications des manifestants. Si certains tiennent un discours plutôt social, demandant une hausse du pouvoir d’achat ou un rétablissement de l’ISF, d’autres affichent des slogans anti-taxes et hostiles à l’impôt quel qu’il soit, faisant écho à des inspirations plus libérales. Nombre de Gilets jaunes affichent des motifs de colère divers (fermeture des services publics, exaspération face aux médias, mal-logement…) A cela se mêlent enfin des appels à la démission d’Emmanuel Macron, à un changement de régime, ou à l’abolition du capitalisme… Bien loin des traditionnelles manifestations avec un mot d’ordre clair et précis, les Gilets jaunes sont éminemment multiformes par leurs profils autant que par leurs attentes.

Les violences : une aubaine pour le gouvernement ?

Face à cette colère sans homogénéité qui semble agréger des frustrations concurrentes voire contradictoires, le gouvernement saisit l’opportunité : il peut d’autant plus mettre l’accent, selon une stratégie de communication politique très classique, sur les débordements de quelques-uns, plutôt que sur les revendications politiques de la majorité, dénoncées comme confuses et diluées. Et les casseurs, simultanément accusés d’être d’extrême-droite ou d’extrême-gauche, apparaissent alors comme un prétexte tout trouvé pour l’exécutif.

Là encore, contrairement aux manifestations syndicales bénéficiant d’un service d’ordre et d’une structuration qui, si elle n’empêche pas les débordements, permet de marquer la frontière entre le cortège et les casseurs, les Gilets jaunes se retrouvent victimes de la nature même de leur mouvement. Les violences commises en marge des rassemblements contre la loi Travail en 2016, pour extrêmes qu’elles aient été, n’ont pas fait oublier le mot d’ordre politique de ceux-ci, malgré les efforts de l’exécutif pour assimiler manifestants et casseurs. Les violences du 1er décembre, quant à elles, prennent au dépourvu les Gilets jaunes eux-mêmes, dont beaucoup s’expriment pacifiquement.

Alors qu’Emmanuel Macron convoque ce 2 décembre une réunion d’urgence à l’Elysée au lendemain des scènes de guérilla urbaine à Paris, qui ont marqué une nouvelle escalade dans le conflit des Gilets jaunes, la commission des Lois du Sénat a annoncé de son côté qu’elle entendrait «les explications» de Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur et de son secrétaire d’Etat Laurent Nunez, le 4 décembre prochain. La couleur est annoncée : la réaction du gouvernement est d’ordre sécuritaire.

«Il y aura évidemment le constat sur la journée d’hier et puis il y aura les mesures qui peuvent être prises pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de rituel qui s’instaure dans le pays et que les samedis que nous allons vivre, ne donnent pas lieu à ce que nous avons pu observer hier», a ainsi déclaré sur BFMTV Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement au lendemain du 1er décembre. Puisqu’il n’est pas précisément interpellé sur un dossier précis, le gouvernement prend tout le loisir d’éluder la question politique et de se concentrer sur le maintien de l’ordre.