Peut-on encore faire confiance aux médias ?

En 2015, le quotidien britannique The Guardian a nommé Katherine Viner au poste de rédactrice en chef. Sous sa direction, le journal prit une nouvelle direction. Alors que précédemment il avait tenté d’équilibrer son côté plutôt bâclé avec des reportages intéressants, il est maintenant solidement ancré dans le système de la presse aux ordres dans le pire sens du terme. Il promeut le néolibéralisme et se vautre dans des histoires de griefs identitaires loufoques. Il devient également le principal instrument de la propagande manipulatrice des services secrets britanniques

Sa récente fake new sur Paul Manafort, Wikileaks et Julian Assange le démontre bien. La documentation est un peu longue mais indique que c’était un faux volontaire.

Le 27 novembre, le Guardian s’apprêtait à publier un article affirmant que Paul Manafort, ancien directeur de campagne de Trump, avait rencontré Julian Assange, éditeur de Wikileaks, à l’ambassade d’Équateur à Londres, à au moins trois occasions. Environ deux heures avant la parution de l’histoire, il a contacté les avocats de Manafort et de Assange pour obtenir leurs commentaires.

Wikileaks de Assange a répondu via son compte Twitter public, qui compte 5,4 millions d’adeptes. Katherine Viner fait partie de ces adeptes :

WikiLeaks @wikileaks – 13:06 utc – 27 nov. 2018
SCOOP : Dans une lettre adressée aujourd’hui aux avocats de Assange, Luke Harding, du Guardian, lauréat du prix Plagiarist of the Year de Private Eye, affirme à tort que l’ancien directeur de la campagne de Trump, Paul Manafort, a tenu des réunions secrètes avec Assange en 2013, 2015 et 2016, dans le cadre d’une histoire que le Guardian a “prévu de publier”.

En attache, le courrier électronique envoyé par Luke Harding du Guardian.

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Une heure et demi après, l’article du Guardian était publié. Il apparaissait à la une et en page intérieure.

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La première version se lisait comme suit :

Manafort a eu des entretiens secrets avec Assange à l’ambassade d’Equateur.

L’ancien directeur de campagne de Donald Trump, Paul Manafort, s’est entretenu secrètement avec Julian Assange au sein de l’ambassade de l’Équateur à Londres et a rendu visite à l’époque où il a rejoint la campagne de Trump, a annoncé le Guardian.

Des sources ont déclaré que Manafort était allé voir Assange en 2013, 2015 et au printemps 2016 –  période au cours de laquelle il a été nommé personnage clé des efforts de Trump pour la Maison-Blanche.

On ignore pourquoi Manafort a voulu voir Assange et ce qui a été discuté. Mais la dernière réunion devrait faire l’objet d’un examen minutieux et pourrait intéresser Robert Mueller, le procureur spécial chargé d’enquêter sur une prétendue collusion entre la campagne de Trump et la Russie.

Une source bien placée a déclaré au Guardian que Manafort était allé voir Assange aux environs de mars 2016. Quelques mois plus tard, WikiLeaks publiait une pile de courriels démocrates volés par des agents du renseignement russe.

Manafort, 69 ans, nie toute implication dans le piratage et affirme que l’affirmation est “100% fausse”. Ses avocats ont refusé de répondre aux questions du Guardian au sujet de ces visites.

L’article n’incluait pas la réfutation publique de Wikileaks adressée à ses 5,4 millions d’adeptes une heure et demie avant sa publication.

L’article du Guardian arrive à un moment critique. Actuellement, le Royaume-Uni et l’Équateur conspirent pour livrer Julian Assange aux autorités américaines. Lundi, l’avocat spécial, Robert Mueller, a déclaré que Manafort avait menti aux enquêteurs, violant ainsi son récent accord de plaider coupable.

La nouvelle affirmation sensationnelle a immédiatement été reprise comme un compte rendu factuel par des journalistes de premier plan et par les principaux médias de masse aux ordres. Il est probable que des millions de personnes ont pris connaissance de cette affirmation.

Mais plusieurs personnes qui avaient suivi le conte de fées du Russiagate et l’enquête Mueller s’étaient immédiatement méfiés de l’affirmation du Guardian.

L’histoire provenait d’une source peu fiable et comprenait des détails qui semblaient peu vraisemblables. Glenn Greenwald a noté que l’ambassade équatorienne est sous haute surveillance par CCTV. Il y a plusieurs gardes et les visiteurs doivent fournir leur identité pour y entrer. Chaque visite est enregistrée. Si Manafort avait vraiment rendu visite à Assange, on le saurait depuis longtemps :

En résumé, le Guardian a publié aujourd’hui un article dont il savait qu’il se rependrait comme une traînée de poudre, au bénéfice viral du journal et de ses journalistes, même s’il présente des lacunes énormes et des aspects très sommaires.

De plus, l’auteur principal de l’histoire, Luke Harding, est connu pour être un fraudeur notoire, un agent de renseignement russophobe, ayant un grief personnel contre Assange et Wikileaks. Il y a un an, un article important de Moon of Alabama intitulé : De Snowden au Russia-gate – La CIA et les médias – mentionnait Harding :

Les personnes qui promeuvent le non-sens de “l’influence russe” sont des agents politiques ou des hackers. Prenons l’exemple de Luke Harding, du Guardian, qui vient de publier un livre intitulé Collusion: réunions secrètes, argent sale et comment la Russie a aidé Donald Trump à gagner. Il a été démonté dans une interview de Real News (vidéo) à propos du livre. L’intervieweur a souligné que le livre ne contenait absolument aucune preuve à l’appui de ses affirmations. Quand on lui demande une preuve de son assertion, Harding dit, de façon défensive, qu’il ne fait que “raconter des histoires” – autrement dit : c’est de la fiction. Harding avait précédemment écrit un livre sur Edward Snowden qui ressemblait à un simulacre identique. Julian Assange l’a qualifié de “travail de scribouillard dans le sens le plus pur du terme”. Harding est également connu comme plagiaire. Lorsqu’il travaillait à Moscou, il copiait des histoires et des passages du défunt journal Exile, dirigé par Matt Taibbi et Mark Ames. The Guardian avait dû publier des excuses.

La nouvelle histoire du Guardian ressemble à une autre tentative faiblarde de relier la prétendue malversation russe à Assange et à la publication par Wikileaks des courriels de la DNC. Assange et d’autres personnes impliquées nient l’existence d’une telle relation. Il n’existe aucune preuve publique à l’appui de telles allégations.

Peu de temps après la publication de la fake new du Guardian, Paul Manafort a émis un démenti sans équivoque :

“Je n’ai jamais rencontré Julian Assange ni aucun de ses proches”, indique le communiqué. “Je n’ai jamais été contacté par personne en rapport avec Wikileaks, que ce soit directement ou indirectement. Je n’ai jamais contacté Assange ou  Wikileaks sur quelque sujet que ce soit. Nous examinons toutes les options juridiques contre le Guardian qui a continué avec cette histoire même après avoir été informé par mes représentants que c’était un faux.”

À 16h05, le Guardian modifiait discrètement l’histoire .

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Des mises en garde ont été ajoutées au titre et dans plusieurs paragraphes. Aucune note éditoriale n’a été jointe pour informer les lecteurs des modifications (ici en italiques et soulignées) :

Manafort a eu des entretiens secrets avec Assange à l’ambassade équatorienne, selon des sources

On ignore pourquoi Manafort aurait voulu voir Assange et ce qui avait été discuté. Mais la dernière réunion apparente devrait faire l’objet d’un examen minutieux et pourrait intéresser Robert Mueller, le procureur spécial chargé d’enquêter sur une prétendue collusion entre la campagne Trump et la Russie.

Pourquoi Manafort aurait pu rechercher Assange en 2013 n’est pas clair.

Manafort, 69 ans, nie toute implication dans le piratage et affirme que l’affirmation est “100% fausse”. Ses avocats ont d’abord refusé de répondre aux questions du Guardian concernant les visites.

Un paragraphe a été ajouté pour inclure le démenti de Wikileaks :

Dans une série de tweets, WikiLeaks a déclaré que Assange et Manafort ne s’étaient pas rencontrés. Assange a décrit l’histoire comme étant un canular.

À 16h30, sous le feu des autres médias et journalistes, le Guardian publiait une déclaration:

Cette histoire s’appuyait sur plusieurs sources. Nous avons soumis ces allégations aux représentants de Paul Manafort et de Julian Assange avant leur publication. Aucun des deux n’a répondu pour nier les visites en cours. Nous avons depuis mis à jour l’histoire pour refléter leurs dénégations.

Cette affirmation défensive du Guardian est, comme son histoire, évidemment totalement fausse. Wikileaks a publiquement démenti les affirmations du Guardian une heure et demi avant la première publication de l’histoire. Manafort affirme que ses avocats avaient informé le Guardian que le récit était faux avant que le journal «ne publie ce récit».

À 21h05, une troisième version était publiée, incluant le démenti de Manafort.

Une demi-heure plus tard, Julian Assange ordonnait à ses avocats de poursuivre le Guardian en justice pour diffamation. Wikileaks a lancé une souscription pour financer le procès.

Un jour après la calomnie du Guardian, le Washington Times rapporta que les passeports de Manafort, apportés comme pièces dans l’enquête de Mueller, montraient qu’il ne s’était pas rendu à Londres au cours des années où le Guardian avait affirmé qu’il était venu rendre visite à Assange.

L’histoire était complètement fausse et le Guardian savait que c’était le cas. Il a ignoré et omis les démentis que les sujets de l’histoire avaient publiés avant sa publication.

Le Guardian est devenu le principal véhicule pour les opérations de désinformation du gouvernement britannique visant à diffamer la Russie. Assange et Snowden ont été salués comme des collaborateurs russes. Il colporte sans discernement l’histoire de Russiagate et les affirmations absurdes sur Skripal qui sont toutes deux manifestement concoctées par les services de renseignement britanniques. Cela semble être devenu son objectif principal.

Comme le note Disobediant Media (les mots en gras sont dans l’original) :

Bien que la plupart des lecteurs dotés d’une capacité de pensée critique fonctionnelle puissent facilement rejeter la calomnie du Guardian, le fait que celui-ci ait publié cet article et que Luke Harding opère toujours, sans le plus infime respect pour son rôle en tant que journaliste, malgré ses antécédents frauduleux, nous dit quelque chose de terrifiant à propos du journalisme.

Ce n’est pas un hasard si Luke Harding est toujours employé : c’est en raison de sa loyauté constante à l’égard de l’establishment, en particulier de l’appareil de renseignement britannique, qui détermine son «succès» parmi les médias traditionnels. Harding n’est pas un problème ou un écart par rapport à la norme, mais une personnification de celle-ci.

Jonathan Cook, un ancien écrivain du Guardian, avance un argument similaire :

La vérité est que le Guardian n’a pas commis d’erreur dans cette dernière histoire attaquant Assange, ni dans sa campagne beaucoup plus longue pour le diffamer. Avec cette histoire, il a fait ce qu’il fait régulièrement lorsque des intérêts prétendument vitaux pour la politique étrangère occidentale sont en jeu – il régurgite simplement un récit occidental au service de l’élite.

Son travail consiste à créer un consensus à gauche sur les attaques contre les principales menaces à l’ordre néolibéral existant : …

Le Guardian n’a pas commis d’erreur en dénigrant Assange sans la moindre preuve. Il a fait ce pour quoi il est conçu.

Nous avons précédemment montré que le Guardian utilisait même des thèmes de propagande fasciste pour salir le peuple russe. Il publie ouvertement les caricatures et la rhétorique de Goebbels contre le plus grand État d’Europe. Il n’y a plus aucune ligne qu’il n’ose franchir. Malheureusement, les autres médias «occidentaux» ne valent guère mieux.

Quelques heures après sa publication, l’article du Guardian a été démasqué comme une infox. Cela n’a pas empêché d’autres médias d’ajouter à la calomnie. Politico a permis à “un ancien officier de la CIA”, écrivant sous un pseudonyme, de suggérer – sans aucune preuve – que le Guardian avait été dupé, non pas par le MI5 / 6 ou ses sources d’espionnage équatoriennes, mais par la  désinformation russe :

Plutôt que d’être le sensationnel pistolet fumant reliant directement la campagne Trump à WikiLeaks, le rapport est peut-être autre chose : une campagne de désinformation. Est-il possible que quelqu’un ait fomenté cette histoire comme moyen de discréditer les journalistes ?

Harding est probablement une cible majeure pour tous ceux qui participent à l’opération des renseignements russes contre les institutions démocratiques occidentales.

Si cette dernière histoire sur Manafort et Assange est fausse, c’est-à-dire si, par exemple, les sources ont menti à Harding et Collyns (ou si les sources elles-mêmes ont été abusées et ont donc pensé qu’elles étaient véridiques dans leurs déclarations aux journalistes), ou si le document des services de renseignements équatoriens est un faux, l’explication la plus logique est qu’il s’agit d’une tentative visant à donner de Harding une mauvaise image.

Il n’y a aucune preuve dans le baratin de Politico qui appuie ses suggestions et ses revendications. Ce sont des infox concernant un faux reportage. Il incluait également la fausse affirmation selon laquelle Glenn Greenwald aurait collaboré avec Wikileaks sur les papiers Snowden. Cette revendication a ensuite été retirée.

Nous avons observé un schéma similaire dans l’affaire Skripal. Lorsque des services de renseignement «occidentaux» sont pris au piège de la désinformation, ils accusent la Russie d’être à l’origine du faux.

Malheureusement, on ne peut plus se fier à aucun média occidental pour diffuser la vérité. The Guardian n’est que l’un des nombreux médias qui colportent diffamations et désinformations sur les «ennemis» des «intérêts occidentaux» au pouvoir. Il nous appartient à tous de les démystifier et d’éduquer le public sur leurs manigances.